Pièces de collection ou monuments historiques ?

Des objets remarquables qu’on ne re­marque plus
Panneaux Michelin - La Borde à Cour-Cheverny
On peut passer devant quotidiennement et ne plus les voir tellement ils se sont inscrits dans le décor du lieu… Et puis un jour on se dit : « Mais au fait, des panneaux de ce type, on n’en voit plus, c’est devenu très rare ! ». Et effectivement, vous pouvez parcourir des centaines de kilomètres sans en voir un seul, car ils ont hélas presque tous disparus…, à quelques exceptions près… Il en reste 26 au bord de nos routes du Loir-et-Cher (1), dont font partie ceux (car ils sont deux !) placés en bor­dure de la route départementale 77 indiquant l’entrée de la Clinique de La Borde depuis bientôt 60 ans et en parfait état.

Un objet mythique, témoin d’une époque et d’un savoir-faire très spécifique
Au même titre que les voitures de collection, ces panneaux ont fait partie du paysage de la France des années 1930 à 1970 …, paysage routier, certes, mais paysage quand même ! Les quelques panneaux de ce type qui restent au bord de nos routes sont de véritables té­moins d’une époque que les plus anciens ont bien connue, mais aussi et surtout d’un patri­moine industriel et d’un savoir-faire qui mérite qu’on s’y intéresse de plus près…
Au lendemain de la première Guerre mondiale André Michelin adopte le principe de plaques en lave émaillée plus résistantes et inoxy­dables avec comme support du béton armé. C’est ainsi que prennent forme les « bornes d’angle » avec un pied plus large au sol et plus fin en haut, supportant le « cube de signali­sation », comme ceux (il y en a eu au moins deux successifs) qui ont été implantés place Victor Hugo à Cour-Cheverny, et aujourd’hui disparus.
Panneaux Michelin - La Borde à Cour-Cheverny

Une création de la société Michelin
Ces panneaux de différents modèles étaient fabriqués dès 1908 par la société Michelin, pionnière de la signalisation routière. Les pre­miers objets de ce type étaient des plaques émaillées sur support métallique, indiquant le nom des localités, la désignation et le numéro des routes, et des inscriptions de sécurité comme « Veuillez ralentir » à l’entrée de l’ag­glomération, ou « Merci » à la sortie, ainsi que le nom du sponsor, en l’occurrence Michelin. C’est ainsi que 30 000 plaques émaillées ont été offertes et posées gratuitement dans les municipalités de France entre 1911 et 1914.
C’est en 1931 que ce modèle est officiellement approuvé. Michelin produit également des poteaux, des murs et des panneaux muraux de signalisation, ou de danger et de priorité, toujours avec le nom du fabricant bien visible.

La lave émaillée, une technique très élaborée
Elle fut utilisée dès le début du 19e siècle, et bien avant la circulation automobile (une plaque de rue posée à Paris en 1828 est en­core intacte, comme neuve !). La lave permet en effet des inscriptions d’une durée pratique­ment infinie, l’émail y adhérant parfaitement et n’éclatant pas au choc sur ce support.
Panneaux Michelin - La Borde à Cour-Cheverny
Ce ne fut qu’en 1928, à la suite de longs et nom­breux essais, que fut industrialisée la produc­tion des plaques en lave émaillée. Provenant des carrières du massif Central, les blocs de lave arrivaient équarris à l’usine où ils étaient débités en dalles par un sciage très lent, étant donné la dureté exceptionnelle de la lave (on la surnomme la « pierre éternelle »), permettant d’obtenir des plaques de lave d’environ 15 mm d’épaisseur ; des meules au carborundum (car­bure de silicium, matériau très abrasif), fonc­tionnant sous un double jet d’eau, les débitaient ensuite au format voulu. Après nettoyage à la vapeur, ces plaques étaient rendues parfaite­ment lisses grâce à un mastic spécial, puis étu­vées pour enlever toute trace d’humidité.
À l’atelier d’émaillage, une couche d’émail blanc était d’abord répandue au pistolet à air comprimé sur toute la surface. L’émail ainsi appliqué entrait en fusion dans des fours électriques à environ 900°. Après fusion complète, les plaques étaient retirées du four, refroidies, puis acheminées à nouveau vers l’atelier d’émaillage.
Pour tracer les inscriptions sur ces plaques, l’émail bleu foncé (ou rouge) était ensuite ap­pliqué sur la première couche durcie, avec des pochoirs correspondant aux lettres ou signes que l’on désirait faire figurer sur le futur pan­neau. A l’atelier de cuisson, la plaque était à nouveau traitée afin de durcir la dernière appli­cation d’émail.
Parallèlement, un atelier préparait les supports en béton armé. Les plaques étaient déposées dans des moules, à l’emplacement qu’elles devaient occuper sur l’appareil achevé. Et le scellement des plaques se faisait au cours de la prise du béton, créant ainsi un objet parfai­tement homogène.

La fin d’une époque
Panneaux Michelin - La Borde à Cour-Cheverny
À partir de 1946, les panneaux ne porteront plus le nom du fabricant. La production ces­sera en 1971, et les panneaux de signalisa­tion routière sont maintenant conçus sur des supports métalliques pour la plupart d’entre eux. Mais la technique de la lave émaillée est encore utilisée de nos jours, et quelques entreprises françaises l’utilisent toujours pour fabriquer des plaques indicatrices que vous pouvez rencontrer par exemple dans les lieux touristiques ou sur les tables d’orientation.

P. L. 

Sources : l’essentiel des informations contenues dans cet article sont tirées du site de Philippe de Priester « Les pan­neaux Michelin », lui-même documenté à partir de l’ouvrage de Marina Duhamel-Herz “Un demi-siècle de signalisation routière 1894-1946” Presses de l’école nationale des Ponts et Chaussées - http://www.panneauxenbeton.fr/
Voir aussi la page Facebook consacrée à ces panneaux : Les Panneaux Michelin.

(1) Les panneaux encore en place de nos jours sont re­pérés sur une carte de France sur le site : www.routes. fandom.com/wiki/Cartes_de_localisation_des_panneaux_ Michelin.

La Grenouille n°56 - Juillet 2022










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