L’architecture du château de Troussay : un jeu avec l’histoire

Jennifer Lusseau- Thèse Louis de La Saussaye - Troussay - Cheverny
Jennifer Lusseau
En décembre 2015, Jennifer Lusseau a sou­tenu à l’univer­sité de Tours une thèse de doctorat en Histoire de l’art intitulée “La vision de l’archi­tecture de la Re­naissance dans l’oeuvre de Louis de la Saussaye”.
Cet ouvrage, très intéressant, permet à La Grenouille de compléter les informations publiées précédemment concernant le châ­teau de Troussay, son auteur ayant autorisé la publication de quelques extraits.

Présentation
Louis de la Saussaye (1801-1878), est l’un des personnages les plus emblématiques du Blésois du XIXe siècle. Outre ses activités profession­nelles en tant que membre de l’Institut, doyen des facultés de Lyon et de Poitiers, il se fait connaître comme archéologue, puis numismate de renom­mée mondiale (il crée en 1836 la Revue numisma­tique française) et se tourne ensuite vers l’histoire des grandes demeures de sa région natale.
Il s’est également consacré à une étude ethnolo­gique de la Sologne qu’il a parcourue maintes fois, et a joué un rôle politique important dans sa région.

Si Louis de la Saussaye a passé sa vie à com­prendre l’histoire de sa région, il a aussi oeuvré pour le bien-être de la communauté. Sa philan­thropie se manifeste soit à travers des services rendus à la communauté, soit dans son action pour aider les plus démunis.

À partir de 1834, il se passionne pour les châ­teaux de la Loire et publie une notice sur le domaine de Chambord, puis une histoire du châ­teau de Blois, et un guide historique et artistique de Blois et ses environs, ouvrages qui eurent un important succès et connurent de nombreuses éditions au cours desquelles il enrichit progressi­vement la connaissance architecturale de ces dif­férents édifices. Ces investigations très poussées lui permettront de trouver ensuite de nombreuses sources d’inspiration pour la restauration du châ­teau de Troussay.

Troussay - Cheverny - Porc épic
Porc-épic sur la façade nord
du château de Troussay,
provenant de l’hôtel Hurault de Vibraye.
En 1828, Louis de la Saussaye devient proprié­taire de Troussay, et va entreprendre la restaura­tion de ce domaine « laissé fort à l’abandon ». On peut en fait parler d’une reconstruction, car tout en préservant la physionomie du vieux Troussay, il a introduit sur les façades et dans le château des éléments de décor des XVe et XVIe siècles pro­venant d’autres châteaux de la région et d’hôtels particuliers de Blois alors en cours de démolition et en a créé d’autres s’inspirant de châteaux de la région. C’est ainsi qu’on peut observer de fortes ressemblances de certains éléments architectu­raux avec le château royal de Blois. Les travaux de Jennifer Lusseau permettent d’illustrer l’esprit de cette reconstruction avec quelques images qui montrent des similitudes entre le château de Troussay et d’autres édifices de la région, notam­ment le château de Blois et les anciens hôtels particuliers blésois.

Extraits de la thèse de Jennifer Lusseau concernant la restaura­tion du château de Troussay par Louis de la Saussaye

Troussay : une mise en application de sa vision de l’architecture de la Renaissance.
Troussay - Cheverny - Vitraux
Vitraux de l’attique du château 
de Troussay provenant 
de l’hôtel Sardini à Blois
« Ce château a subi au XIXe siècle une véri­table transformation dans son décor et dans sa physionomie, même si Louis de la Saus­saye cherche à s’en défendre. Toutefois, cette restauration s’inscrit bien dans son époque et met clairement en avant l’image qu’il se fait et qu’il nous a donné à voir dans ses ouvrages de l’architecture de la Renaissance et met également en lumière d’autres périodes de l’architecture (…) Le château est en effet un « petit musée lapidaire » de par les différents éléments architecturaux que son propriétaire a sauvés de la destruction et réutilisés pour décorer sa demeure (...).
Ce savant mélange des styles est convention­nellement appelé « architecture éclectique » et est un type d’architecture très pratiqué au XIXe siècle. Alors que les architectes de l’éclectisme cherchent souvent des références à travers toute la France et l’Europe (...) celles de Louis de la Saussaye et de son ami et architecte Jules de la Morandière se limitent principale­ment à des références régionales... ».

Quelques exemples
« En 1864, Louis de la Saussaye fait l’acqui­sition d’un élément de décor qui est la pièce maîtresse de la façade nord du château de Troussay : le porc-épic de l’hôtel Hurault de Vibraye détruit lors de la percée de la rue du Prince impérial à Blois.
En effet, jusqu’en 1850, la ville de Blois avait encore l’apparence d’une ville du Moyen-âge avec ses rues étroites, sinueuses et très escar­pées. Cependant, suite à l’élection d’Eugène Riffault en tant que maire de la ville, de grands travaux urbanistiques ont été entrepris (...) qui ont donc permis à Louis de la Saussaye de sauver de la destruction, en plus de l’emblème de Louis XII, différents éléments de décor, tels que des soubassements de fenêtres ou bien encore des vitraux provenant eux aussi de maisons ou d’hôtels particuliers de Blois dis­parus dans les mêmes conditions que l’hôtel Hurault de Vibraye... »

Troussay - Cheverny - Médaillon
Médaillon du XVIe s. provenant de
 l’hôtel Sardini et replacé sur la fenêtre
de l'escalier principal du château de Troussay
« ...Cette rénovation, qui ne devait au départ consister qu’à maintenir l’édifice debout, prit rapidement le chemin d’une véritable création artistique, fait relativement courant au XIXe siècle. Louis de la Saussaye put mettre en avant ses connaissances de l’architecture de la Renais­sance et par la même occasion sauver de la destruction différents éléments architecturaux. Pour cela, il fait appel à son ami et architecte du Blésois, Jules Potier de la Morandière (1) ». Jen­nifer Lusseau note, à propos de Felix Durban, qu’il « ...appartient à un groupe d’architectes, que l’on nomme la « bande des quatre », constituée avec ses collègues Louis Duc, Léon Vaudoyer et Henri Labrouste et qui forment l’école de l’archi­tecture romantique. Ils font également partie de la première génération des architectes de l’éclec­tisme. Ces deux types d’architecture, sont ceux qui ont été employés lors de la restauration de la demeure de Louis de la Saussaye... ».

(1) Jules Potier de la Morandière fut l’élève de Félix Duban, chargé notamment de la restauration du château de Blois.


Conclusion
« Ce choix de retracer ces différentes époques de l’art est certes un hommage à l’histoire de l’archi­tecture de sa région natale mais surtout, comme Louis de la Saussaye le reconnait lui-même :
« Mon dessein est de restituer l’ancien manoir des Bugy, des Pelluys, des Réméon, à peu près dans les mêmes proportions, mais en l’ornant davantage » (...) Les travaux réalisés, le choix de faire exécuter des copies d’éléments de diffé­rents châteaux du Blésois et de la Sologne, ainsi que sa volonté d’intégrer au décor de véritables morceaux d’histoire montrent bien son désir de rendre hommage à l’histoire de l’architecture de sa région, à laquelle il a consacré une partie de sa vie, et il inscrit, par la même occasion, le châ­teau de Troussay dans un style architectural alors en plein essor à partir du milieu du XIXe siècle : l’architecture éclectique. De plus, cette manière d’appréhender la restauration de son domaine reste quelque chose de totalement marginal dans la région.
Ce type d’architecture associée à la récupération et à l’introduction d’éléments de décors anciens provenant d’autres châteaux ou d’hôtels particu­liers de la région reste néanmoins unique dans le Blésois ».

La thèse de Jennifer Lusseau apporte une vision inédite du château de Troussay en permettant de le situer dans le contexte des tendances architecturales du XIXe s. et en nous faisant connaître son originalité et son caractère unique dans le Blésois. Le vi­siteur pourra également découvrir l’éclec­tisme et le romantisme qui ont présidé à la décoration intérieure au fil des différentes restaurations de l’ancienne demeure com­mencée en 1828.


Le Triton et le Héron - La Grenouille n°34 - Janvier 2017

Troussay - Cheverny - Chapiteau
Chapiteau de la porte d’entrée du château 
de Troussay provenant du château d’Onzain

Troussay - Cheverny - Horloge
Horloge provenant
du château d’Herbault en Beauce


Troussay - Cheverny - Porte
Porte de l’oratoire du châ­teau de Troussay
provenant du château d’Onzain


Troussay - Cheverny - Tour
À gauche, tour de la petite vis de l’aile Louis XII du château de Blois. 
À droite, tour de la façade nord du château de Troussay




Porte de l’oratoire du châ­teau de Troussay provenant du château d’Onzain



Troussay - Cheverny - Lucarne
A gauche, la partie supérieure des lucarnes de l’aile François Ier
du château de Blois. 
A droite la partie supérieure
de la porte d’entrée du château de Troussay.

Troussay - Cheverny - Voûtes
A gauche, les voûtes d’ogives du porche d’entrée
de l’aile Louis XII du château de Blois. À droite,
celle du vestibule du château de Troussay

Troussay - Cheverny - Coquilles
À gauche, coquille du château de Blois.
À droite, fenêtre du 1er étage du château de Troussay.

Troussay - Cheverny - Vitrail
Vitrail de la bibliothèque de Louis de la Saussaye 
représentant le pape des fols et la Mère folle. 
Il provient de l’hôtel dit de Guise à Blois.


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