Le passage à niveau n°204 à Cour-Cheverny

Le passage à niveau n°204 à Cour-Cheverny
« La Grenouille » a déjà évoqué (1) la ligne de chemin de fer de Blois à Villefranchesur- Cher par Romorantin exploitée de 1883 à 1953 (2) par la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans. Nous nous arrêtons aujourd’hui sur cette ligne, au passage à niveau n° 204, situé chemin des Bons Coeurs à Cour-Cheverny.

La maison de garde barrière est toujours là, en bon état car entretenue et restaurée par ses occupants successifs et notamment par l’actuel propriétaire, Hubert Portier, qui nous l’a fait visiter. Il a acquis cette maison et le terrain attenant il y a quelques années, lui permettant de compléter le domaine contigu qui s’étend sur une vingtaine d’hectares et qu’il possédait déjà depuis une dizaine d’années. 

Le passage à niveau n°204 à Cour-Cheverny
Le passage à niveau n°204 à Cour-Cheverny
Un élément d’un vaste ensemble
Ces maisons de garde barrière étaient toutes bâties selon les mêmes plans, avec quelques variantes locales, notamment pour s’adapter au terrain. La construction des « Maisons de garde » (ou « manoirs de garde » comme il est écrit dans certains documents d’époque) sur la ligne entre « Romorantin et la rivière le Beuvron sur une longueur de 30 680 mètres » avait fait l’objet d’une adjudication en avril 1881. Le projet comprenait la construction de « 28 maisons sans soubassement, 2 avec soubassement et 30 puits avec appareillage de puisage à la poulie ».
La maison a une surface au sol de 40 m2 (8 m x 5 m), avec une pièce et une cuisine au rezde- chaussée et deux pièces à l’étage, plus un cellier de 6 m2 sur le pignon.
C’est Alphonse Bouffard, entrepreneur de chemin de fer à Cour-Cheverny, qui remporte cet important marché, comme l’indique le procès- verbal d’adjudication.
D’autres marchés seront passés, notamment pour l’installation des barrières sur les passages à niveau classés en trois catégories :
• ceux avec un garde établi en permanence (et donc avec une maison de garde),
• ceux peu fréquentés, sans garde en permanence dont les barrières maintenues fermées sont manoeuvrées à la demande par un garde,
• ceux concédés à des particuliers dont les barrières sont fermées à clef et manoeuvrées par eux sous leur propre responsabilité. 

Le passage à niveau n°204 à Cour-Cheverny
Le passage à niveau n°204 à Cour-Cheverny
Un bel endroit…
Sur la propriété, on peut admirer le tracé de l’ancienne voie ferrée, qui s’étend en ligne droite sur environ 500 mètres, bordé de chênes qui forment une voûte et donnent une belle perspective à cet endroit.
On trouve également sur le tracé un ponceau en maçonnerie de pierres de taille, comme il en existait sur la ligne à chaque traversée de ruisseau important…
Plus loin se situe un bel étang d’un hectare et demi, avec à proximité un « gardoir » : c’est un petit bassin d’environ 100 m2 qui sert, comme son nom l’indique, à garder le poisson lorsqu’on procède au curage de l’étang. Au sud-est de la propriété, on distingue encore les percées qui avaient été aménagées dans le bois pour offrir une perspective sur l’étang depuis le château de la Taurie, et qu’on visualise très bien sur les photos aériennes des années 50-65.
À noter que pour la construction de la voie ferrée, le tracé du chemin des Bons Coeurs, appelé à l’époque « Chemin rural n° 58 du Gué du Veau à la route départementale n° 7 », avait été modifié pour croiser la voie à angle droit ; il passait très près de la maison, comme on peut le voir sur les plans et sur la photographie aérienne. Après le démontage de la voie ferrée, le chemin a repris son ancien tracé, tel qu’il est de nos jours. 

Le passage à niveau n°204 à Cour-Cheverny
Un événement tragique 
Le nom du lieudit, « Les Bons Coeurs », a une consonnance heureuse, mais en 1922, la garde barrière de cet endroit a été victime d’un accident que nous relate le Courrier de la Sologne (3) du 26 novembre 1922… Avec sans doute une erreur du journaliste concernant l’heure (« 1 heures » dans le texte…), et peut-être de lieu, car il semble que l’accident ait bien eu lieu au PN 204...
« Fontaine-Soings Écrasée en sauvant son enfant 
Lundi soir, à 1 heures, Mme Marcelline Blot, âgée de 32 ans, mère de 3 enfants, qui regardait son bébé s’ébattre sur la voie à proximité du passage à niveau de Fontaine-Soings aperçut un train s’engager sur la ligne : la malheureuse se précipita sur les rails et réussit à rejeter son enfant en dehors de la voie, mais ne put éviter la locomotive qui l’écrasa. L’enfant n’a eu aucun mal. M. Bonnard, inspecteur du contrôle à la gare d’Orléans, s’est rendu sur les lieux afin de dresser un rapport sur l’accident ».
Marcelline Blot était la garde barrière du PN 204, comme nous l’indique le registre de recensement de 1921. Le mari de Marcelline, Charles Blot, était poseur à la Compagnie des Chemins de fer Paris Orléans. C’est sa petite fille, Jacqueline Delmas, qui nous a fait part de cette tragédie. Le bébé, prénommé Roger et né aux Bons Coeurs en août 1921, était son père, ou plutôt son futur père puisqu’il n’avait alors que 15 mois… Plus tard, Roger deviendra marchand de cycles et motos rue Henri Drussy à Blois. 

Le passage à niveau n°204 à Cour-Cheverny
À une autre époque…
Nous avons également rencontré Anne-Marie Moyer, fille d’Augustine Porcher (1913-2001) et d’Alphonse Bailly (1907-1971), qui a bien connu ce lieu, puisqu’elle y est née en 1952, date à laquelle ses parents ont acheté cette maison à la SNCF. Le recensement de 1951 nous indique qu’ils occupaient cette maison précédemment ; on peut donc supposer que l’un ou l’autre était garde-barrière, mais sans qu’on en ait la certitude. Anne-Marie se souvient qu’elle se rendait à pied chaque jour à l’école de Cour-Cheverny, en longeant le tracé de l’ancienne ligne de chemin de fer : un beau parcours quotidien de 3 500 mètres à l’aller, et au retour… Le trajet s’est fait ensuite à vélo… 

Merci à Hubert Portier, Jacqueline Delmas et Anne-Marie Moyer qui nous ont permis d’évoquer le passé de ce passage à niveau n° 204. 

P. L. 

(1) Voir le livre « Les grandes heures de Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher et nos petites histoires ». Éditions Oxygène Cheverny - 2018 - page 88 : « La Gare de Cour-Cheverny ».
(2) Rappelons que le pont du chemin de fer sur la Loire a été bombardé le 11 juin 1944 et qu’ensuite les trains ont circulé depuis Vineuil. Le dernier train est passé à Cour- Cheverny en octobre 1953.
(3) « Le Courrier de la Sologne - journal hebdomadaire de Romorantin » est paru de 1872 à 1944.

Le passage à niveau n°204 à Cour-Cheverny

Le passage à niveau n°204 à Cour-Cheverny

La Grenouille n°66 - janvier 2025

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