Cet article
est consacré au thème de l’amour au château de Cheverny et est complémentaire à
celui dédié à la marquise de Montglas et à la période du XVIIe s., paru dans La
Grenouille n° 46.
Le château
actuel a été construit par Henri Hurault au début du XVII e s. Comme Charles
Antoine de Vibraye l’a rappelé le 12 septembre 2019 lors de l’inauguration des
statues du sculpteur Gudmar Olovson édifiées dans le jardin de l’amour : «
C’est l’amour qui unissait Henri Hurault et sa seconde épouse, Marie Gaillard, qui
est à l’origine de cette construction.... ».
Satyre dardé par Amour |
La
décoration, principalement confiée au peintre Jean Mosnier (2) participe
à ce que l’on retrouve au XVII e s. dans de nombreux châteaux. Dans une thèse
consacrée à ce siècle, qui vit la naissance du Romantisme et du culte de
l’amour, Gabriele Quaranta, de l’Universita di Roma, évoque plus
particulièrement les liens unissant les écrivains, les poètes et les peintres
renommés de l’époque qui furent chargés de la décoration des châteaux et des
belles demeures aristocratiques.
Cupidon bandé par l'Occasion |
Cette thèse
traite plus particulièrement de la décoration intérieure des châteaux de Berny (3)
et de Cheverny qui s'inspire du poème de la Maison d’Astrée (4).
Citons
Gabriele Quaranta
« Au XVII e
siècle en France, des dizaines de demeures merveilleuses, bâties par une aristocratie
momentanément réconciliée, se dressaient dans les campagnes du royaume, tandis
que les pages des livres se remplissaient d’édifices littéraires. Dans leurs
ouvrages, les écrivains évoquaient des châteaux célèbres autrefois, mais
aujourd’hui disparus et connus seulement grâce à la poésie encomiastique (5).
Parmi les
lieux réels et littéraires à la fois, il faut sans doute compter le château de
Berny. Cette demeure a aujourd’hui disparu, cependant, sa mémoire nous est
transmise par « La Maison d’Astrée » de Tristan l’Hermite (4)...».
Mais notre
propos est de parler de Cheverny et du poème de la Maison d’Astrée. Gabriele
Quarenta écrit :
Cupidon dardant l'aimant fugitif |
« Le
château de Cheverny offre un équivalent quasi matériel du texte de Tristan.
Dans le salon au rez-de-chaussée, nous trouvons en effet huit panneaux en bois
avec emblèmes d’amour, peints en camaïeu gris sur un fond or. Altérés et
réemployés dans un décor réalisé entre les années 1830-1840, ils dérivent par
contre, de toute évidence, d’une boiserie du XVII e siècle. La plupart des
panneaux sont cachés par le mobilier. Il s’agit donc des points de vue
thématique et typologique de peintures très semblables à celles décrites par
Tristan... » (à propos de la chambre d'Amour du château de Berny). Quatre
d’entre elles dérivent de l’école hollandaise :
- « Cupidon
bandé par l’Occasion (6) » ;
- « Cupidon
dardant l’aimant fugitif » ;
- « Cupidon
apprenant les secrets d’amour à Hercule déguisé en Omphale », évolution
ultérieure du mythe d’Hercule et d’Omphale (6) ;
- « Cupidon
attisant le feu d’amour tandis qu’un camarade essaie les flèches ».
À Cheverny,
les références iconographiques s’ouvrent aussi aux influences italiennes
Cupidon attisant le feu de l'amour tandis qu'un camarade essaie les flèches |
Gabriele
Quaranta poursuit : «... Les images du "Satyre dardé par Amour" et
de "Cupidon vaincu et lié par un camarade" dérivent en effet de la
tradition qui remontait aux médaillons de la Galleria Farnese à Rome. Il n’a
pas encore été possible de trouver les sources des autres emblèmes, cependant,
il est évident que ces derniers appartiennent au répertoire de la Renaissance
("Cupidon se baigne à la source d’Amour") ; il devait donc exister à
Cheverny un décor composé de boiseries inspiré de l’emblématique d’amour qui
faisait partie d’un ensemble plus vaste dont il formait le "lambris
d’appuy".
Il est
vraisemblable que la salle abritait d’autres images. Les huit tableaux de
Cheverny ne sont donc que les vestiges d’un ensemble complexe désormais perdu.
Toutefois, il nous autorise à supposer un décor qui a réellement existé... ».
Le mythe de vénus (cheminée de la salle des gardes) |
Par rapport
au poème, les fragments picturaux de Cheverny représentent un témoignage
concret puisqu’il atteste l’existence d’une boiserie très semblable à celle
attribuée à la chambre d’Amour du château de Berny et à la Maison d’Astrée.
Ce
rapprochement est d’autant plus plausible du fait que madame de Puisieux était
la cousine d’Henri Hurault et qu’elle se liera ensuite à la cour de Gaston
d’Orléans, milieu fréquenté par Cécile Élisabeth de Montglas, amie de la grande
Mademoiselle (duchesse de Montpensier).
« Le
château de Cheverny est un lieu qui se fait donc remarquer par ses choix décoratifs
très soignés. Les peintures confiées au peintre Jean Mosnier au début des
années 1630, donc postérieures de quelques années à celles de Berny, proposent
à nouveau le thème de la célébration d’amour (7). D’autres peintures qui ont
survécu aux nombreuses transformations le démontrent. Servant de décoration à
la grande cheminée de la salle des gardes, une courte série de cinq tableaux,
véritable Unicum (8), traduit dans l’image la réécriture romanesque du mythe de
Vénus et Adonis... » (les amours des déesses que Jean Puget de la Serre publia en
1627).
La mort d'Adonis(cheminée de la salle des gardes) |
En
conclusion
Cet
ensemble décoratif que l’on retrouve au château de Cheverny, et notamment les
huit panneaux aux emblèmes d’amour qui établissent le lien avec le château de
Berny, « sont le fruit, non seulement d’une élaboration poétique, mais aussi
d’une culture qui était capable d’instaurer un dialogue complexe et créatif
entre texte écrit, illustration de livres et images picturales. Nous assistons
donc à un échange profond entre décor, création architecturale et création
littéraire : celle-ci ne précède pas nécessairement les autres, mais chacun de
ces arts se fait tour à tour protagoniste d’un discours commun auquel il
apporte sa contribution ».
La création
au début du XXIe s. (2019) du « Jardin de l’Amour » à Cheverny perpétue donc
l’esprit qui a présidé, pour ses bâtisseurs, à la construction du château au
XVIIe s. : l’esprit de l’amour repris par Charles Antoine et Constance de
Vibraye, propriétaires actuels du domaine de Cheverny.
F.P.
(1)
Consulter l’article sur le site : https://www.academia.edu/2533352/De_la_Maison_d_Astr%C3%A9e_aux_tableaux_de_Cheverny_embl%C3%A8mes_po%C3%A8mes_et_Chambres_d_Amour_au_temps_de_Tristan_in_Cahiers_Tristan_L_Hermite_XXXII_2010_ pp._24-38
(2) Jean
Mosnier (ou Monier) est un peintre français (1600-1656) remarqué par la reine
Marie de Médicis, qui l’employa à la décoration du Palais du Luxembourg à
Paris. Il participa à la décoration de nombreux châteaux dont ceux de Blois et
de Cheverny.
Extrait du poème de la Maison d'Astrée |
(4) Une
poésie que Tristan L’Hermite publia dans Les Vers héroïques. (Paris, J.-B.
Loyson et N. Portier, 1648). D’après une notice ajoutée au bas du texte, elle
daterait de la première moitié des années 1620. François L’Hermite, sieur du
Soliers, dit Tristan L’Hermite, né à Janaillat (Creuse) au château de Soliers,
dans la Marche, en 1601 et mort à Paris le 7 septembre 1655, est un poète et
dramaturge français.
(5)
Encomiastique : du latin encomium « éloge », du grec « louer ». Qui concerne la
composition, l’écriture, ou la prononciation d’éloges (Wikipedia).
(6)
L'Occasion - Mythologie : divinité qu'on représente sous la forme d'une femme
nue, chauve par derrière, avec une longue tresse de cheveux par devant, un pied
en l'air, et l'autre sur une roue, tenant un rasoir d'une main, et de l'autre
une voile tendue au vent.
(7)
Magdeleine Blancher, le Bouhet (« Le château de Cheverny - Petite monographie
des grands edifices de la France ») estime que les peintures des lambris du
salon du rez-de-chaussé datant du XII e s., ne seraient pas de la facture de
Jean Mosnier.
(8) Unicum
:Chose unique dont on ne peut trouver d'autres exemples, qu'on ne peut
reproduire. - Trésor de la langue Française informatisé (TLFi).
La Grenouille n°47 - Juin 2020
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