Alice de Sèze naît à Versailles le 8 avril 1853 ; elle
est baptisée le jour même de sa naissance, ce qui lui fera dire plus tard : «
Dès le moment de ma naissance, Seigneur, vous avez pris possession de moi ».
Ses parents, Louis de Sèze et Hortense Fuller s’installent en juin de la même
année au château des Tourelles à Cour-Cheverny, propriété que sa grand-mère a
achetée quelques mois plus tôt.
Elle est la soeur de Marie-Thérèse, Henry, Gaston,
Edouard et Maurice, et l’arrière-petitefille de Raymond de Sèze, conseil du roi
Louis XVI et qui plaida sa défense lors de son procès de décembre 1792, aux
côtés de ses confrères Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes et
François Denis Tronchet.
Image ci-dessus : Aquarelle de Eugène Leliepvre (1908-2013), peintre officiel de l'Armée, peintre de cavalerie – Musée de la guerre de 1870 à Loigny-la-Bataille (Eure et Loir) : Louis de Sèze aux Tourelles, avec le général de Sonis (avec sa jambe de bois), héros de la guerre de 1870 et ami d’enfance de Louis. L’enfant est sans doute une nièce. La scène peut se situer entre 1870 (date à laquelle le général de Sonis a perdu sa jambe à Loigny) et 1881 (mort de Louis de Sèze).
Une enfant bien entourée
Très belle photo d'époque (aux environs de 1880) où l'on voit la mère d'Alice, Hortense Fuller de Sèze (habillée en noir) |
Alice connaît une enfance heureuse dans la
propriété familiale des Tourelles, dans un environnement paisible et proche de
la nature. Ses parents, le comte et la comtesse de Sèze, mènent une vie
relativement retirée. Ils se chargent de l’éducation de leurs enfants, avec tendresse
et dans un idéal chrétien de haut niveau, faisant l’admiration du petit nombre
de privilégiés admis dans le cercle familial.
Dès quatre ans, Alice apprend à lire sous la tutelle
de son frère Henry, son aîné de deux ans, et montre des facultés intellectuelles
très précoces. On la voit souvent en contemplation devant les merveilles de la
nature : une fleur, un oiseau, un insecte, et on la surprend parfois priant
Dieu pour tenter par exemple de rendre un oiseau immortel… Elle étonne également
par ses réparties très pertinentes et surprenantes pour une enfant de six ans,
et qui font souvent référence à Dieu. Ses parents décèlent chez elle une grande
intelligence, un jugement sain, mais aussi des comportements originaux et
inattendus, un entrain qui se transforme souvent en turbulence et une certaine
espièglerie... Ils jugent alors qu’une discipline scolaire rigoureuse lui est indispensable,
et décident, avec beaucoup de tristesse, de lui faire intégrer une école de Blois
tenue par les religieuses Ursulines.
Salon du château des Tourelles |
Changement de décor
Le changement est brutal pour Alice : imaginez une
enfant de huit ans, quittant son foyer familial douillet pour intégrer le monde
clos d’une institution religieuse des années 1860, avec une vie où chaque
détail est réglé à l’avance, sans rien laisser à la libre initiative et encore
moins aux fantaisies…
Mais Alice s’investit dans cette nouvelle vie, et son
énergie la pousse à se soumettre à toutes les manifestations de Dieu à son
égard. C’est dans ce cadre très austère qu’elle envisage pour la première fois
de devenir religieuse, et de consacrer sa vie à la conversion des païens et des
infidèles… Elle confiera, bien plus tard, qu’elle avait à peine 10 ans lorsque naquit
en elle l’idée de se consacrer au service de Dieu dans les missions. Et c’est
au cours d’une retraite prêchée par le Révérend Père Henry de Régnon, en 1865,
qu’elle se met en tête de consacrer sa vie à Dieu.
À douze ans, elle réintègre la propriété familiale
de Cour-Cheverny, pour poursuivre son éducation sous la direction de ses
parents et de sa grand-mère. Elle est maintenant beaucoup plus douce, et ses
réparties, autrefois piquantes, sont désormais empreintes de charité,
de bienveillance et d’encouragements pour son entourage. Elle s’investit
également beaucoup dans la lecture, et particulièrement de textes d’écrivains
mystiques du passé. Au-delà de son affection pour sa famille, elle ne manque
pas une occasion de se dévouer aux habitants alentour, et cette pieuse
abnégation n’échappe pas à son confesseur, l’abbé Quillon, curé de
Cour-Cheverny, qui lui confie des missions auprès d’enfants attardés et ignorants
des environs, pour leur inculquer les bases de l’instruction religieuse.
Les débuts d’une carrière
En 1869, sa soeur aînée Marie-Thérèse intègre le
grand couvent Dominicain d’Oullins près de Lyon ; Alice l’accompagne jusqu’aux
portes de l’établissement et lui fait alors la promesse de poursuivre sa route
au service de Dieu. Son aspiration à la vie missionnaire continue à croître. Au
grand étonnement de ses frères, elle exprime le désir d’apprendre le chinois,
et copie tous les caractères chinois qu’elle peut trouver dans des albums.
C’est au couvent qu’elle avait eu connaissance des cruautés infligées aux chrétiens
de Chine, et cela lui inspirait le désir d’un jour leur venir en aide.
Eclate alors la guerre franco-allemande de 1870, et
l’invasion : la famille est hébergée chez une belle soeur de Louis de Sèze, aux
environs de Laval. Toutes les souffrances de la guerre renforcent chez Alice sa
piété et le désir de consacrer sa vie à soulager les douleurs des autres. De
retour aux Tourelles, elle transforme sa chambre en oratoire et y renouvelle
constamment sa totale oblation (2) d’elle-même.
Après une retraite au couvent des Ursulines en
1871, Alice, âgée de 18 ans, confie à ses parents ses intentions de consacrer
sa vie à Dieu, mais elle ne sait pas encore dans quel ordre elle pourrait
réaliser son désir. Un père Jésuite lui confie une brochure de la Mère Marie de
La Providence, fondatrice des Auxiliatrices, qui la décide à devenir «
Auxiliatrice des âmes du Purgatoire ».
En 1872, à 19 ans, elle quitte le domaine des
Tourelles et intègre le noviciat (3) des Auxiliatrices, 16, rue
de la Barouillère (devenue la rue Saint Jean-Baptiste de La Salle) à Paris, où
l’ordre avait été fondé 16 ans plus tôt. Elle s’y adapte sans difficulté,
maintenant qu’elle peut entièrement se consacrer à sa foi. Sa gaîté et son
entrain lui permettent de prendre rapidement sa place au milieu de ses quarante
congénères. Le jour de la prise de l’habit (4), le 25 décembre 1872,
elle reçoit le nom de « Mère Marie du Bienheureux Ignace d’Azévédo ». D’un
naturel très enjoué et pleine d’entrain, Soeur Ignace a souvent des éclats de
gaîté et de fréquents fous rires qu’il lui est difficile de maîtriser, de ceux
qui affectent les novices les plus ferventes dans les occasions les plus sérieuses.
Elle se fait parfois rappeler à l’ordre à ce sujet. Mais ses consoeurs
remarquent déjà « qu’elle prend le chemin des saints » par son humilité,
son esprit d’obéissance, sa générosité et bien d’autres qualités comme en
témoignent quelques rares écrits retrouvés à son sujet.
Elle commence son juvénat (5) en octobre 1875 à Orléans où vient d’être fondée une nouvelle
maison de l’Ordre.
En mission en Chine
Des Tourelles à Changhaï"... Alice de Sèze 1853-1878 |
Alice exprime à cette époque son désir de partir
pour la Chine, où une mission avait été fondée en 1867 par les Auxiliaires des âmes
du Purgatoire à Changhaï, diocèse de Kiang-Nan. Cette mission se consacrait essentiellement
à la direction et à la formation d’une congrégation chinoise de jeunes filles
et de veuves chrétiennes, à la préparation et à la réception dans l’Église de
personnes désireuses de devenir catholiques, à la prise en charge d’un
orphelinat et à la création d’écoles pour les Chinois et les occidentaux. Des
milliers de petits Chinois ont ainsi été sauvés de la mort et élevés dans la
foi chrétienne.
Alice s’embarque à Marseille pour Changhaï le 8
octobre 1876 après être retournée une dernière fois auprès de sa famille aux
Tourelles. Après un long voyage, elle intègre le couvent de Zi-Ka-Wei, et se
met très rapidement à la tâche dans le cadre de sa mission. Elle apprend le
chinois, qu’elle maîtrise au bout d’un an, y compris pour enseigner le
catéchisme, et continue à faire l’admiration de ses consoeurs comme en
témoignera la Mère Supérieure du couvent à Mme de Sèze. Mais subitement, en
juillet 1878, elle tombe malade, sans doute victime d’un accès pernicieux paludique.
Elle montre une fois de plus une extraordinaire vitalité pour ne pas montrer sa
souffrance. Hélas, elle ne survivra pas à cette crise aigüe et s’éteindra le 26
juillet, à l’âge de 25 ans. Elle sera enterrée à Changhaï, mais le cimetière a
été détruit pendant la Révolution Culturelle entre 1965 et 1968.
Le destin d’une sainte
On a souvent comparé Alice à Sainte Thérèse de
Lisieux (proclamée Sainte Patronne des Missions en 1925), dont la carrière a
été aussi brève puisqu’elle est décédée à vingt-quatre ans (1873-1897), ce qui
fait dire à Jacques de Sèze auteur du livre évoqué ci-dessous, dans sa dédicace
à Claire de La Salle, actuelle propriétaire du Domaine des Tourelles : « Dès
qu’elle aura fait des miracles, on la canonise… et fini pour votre tranquillité…
gare aux pèlerins…».
P.L.
Ce récit est intégralement tiré du livre écrit en 1991
par Jacques de Sèze, « Des Tourelles à Changhaï – Alice de Sèze 1853-1878 »,
lui-même inspiré du chapitre consacré à Alice de Sèze dans un livre rédigé en
anglais intitulé « Gone before » publié en 1911 et qui relate la vie de
trois grandes religieuses de l’Ordre des Auxiliaires des âmes du Purgatoire.
Merci à Patrick de Sèze pour nous avoir autorisé
cette publication, à Claire Collinet de La Salle qui nous a mis sur la piste de
cette histoire singulière , ainsi qu’au musée de la Guerre de 1870 à
Loigny-La-Bataille, et à Sylvie Leliepvre, petite-fille d’Eugène Leliepvre.
(1) Au temps de la concession française (territoire chinois qui fut
sous administration française de 1849 à 1946), le nom français de la ville
s'écrivait « Changhaï » (Wikipédia).
(2) Oblation : action par laquelle on offre quelque chose à Dieu
(Larousse).
(3) Noviciat : temps probatoire à l'engagement dans la vie religieuse,
après lequel on est admis à prononcer les voeux de religion (Larousse).
(4) Prendre l’habit : devenir religieux ou religieuse (Wiktionnaire). (5) Juvénat : période d’études et de formation (Wiktionnaire).
(1) Voir également l'article "Le château des Tourelles à Cour-Cheverny"
La Grenouille n°43 - Avril 2019
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