Château Gaillard à Cour-Cheverny

Château Gaillard est une demeure dis­crètement implantée sur les hauteurs de Cour-Cheverny, au lieudit du même nom, non loin des Péraudières. Ni château ni manoir, elle a cependant un certain charme qui nous a donné envie d’en savoir un peu plus à son sujet.

Château Gaillard à Cour-Cheverny
Le propriétaire actuel, Alain Drufin, nous a mis en relation avec Colette Auzonne, la descendante d’un ancien propriétaire, nous permettant ainsi de retrouver une page de l’histoire de ce lieu.
Les documents retrouvés aux Archives dépar­tementales du Loir-et-Cher semblent indiquer que la construction date de 1887, mais le cadastre napoléonien de 1813 nous montre que des bâtiments d’habitation existaient déjà avant cette date à cet emplacement.
Sur une carte postale ancienne de Château Gaillard, figure une personne devant la grille d’entrée, en partance pour la chasse : il s’agit de Léon Giffault, le propriétaire des lieux à cette époque, avec son épouse et sa fille Marie.
Château Gaillard à Cour-Cheverny
Léon Giffault est né en 1874 à Montreuil, s’est marié en 1896 avec Madeleine Charbonnier (1877-1957) et est décédé à Paris en 1933. Fils d’un artisan peintre, il était installé lui aussi comme peintre-décorateur au 37 ave­nue d’Orléans à Paris 14e.
Engagé volontaire dans l’armée pour trois ans en 1893 (à 19 ans) au 13e régiment d’infanterie de Vincennes, il passe dans la réserve de l’armée active en 1896. Sa fiche matricule militaire indique qu’il participera ensuite à la campagne contre l’Allemagne du 16 décembre 1914 au 3 décembre 1915, puis sera « renvoyé dans ses foyers », pour des raisons de santé, le 4 décembre 1915. Il participera de nouveau à la campagne contre l’ennemi du 29 mars 1916 au 7 mars 1918, mais est classé, pendant cette période et toujours pour les mêmes raisons, « Service auxiliaire » en mai 1916, et « détaché comme agriculteur » à Cour-Cheverny du 26 mai 1917 au 9 novembre 1917.

Installé à Château Gaillard en 1911
Léon Giffault devient propriétaire de Château Gaillard en 1911, qu’il achète à Léontine Menu Confolent. On ignore la raison pour laquelle il a acheté à Cour-Cheverny, mais il connaissait sans doute déjà la région puisque son épouse était originaire de Vatan dans l’Indre. Il quitte donc la région parisienne à cette époque, mais aussi son métier, les produits chimiques de la peinture lui étant devenus nocifs. Dans l’annuaire de 1926, il est indiqué « Giffault, propriétaire-viticulteur, Château-Gaillard ».
La soeur de Léon Giffault étant décédée très jeune (à 25 ans), celui-ci était très attaché à sa nièce, Magdeleine Cherbetian, épouse Bavouzet, et à sa petite nièce Viviane, épouse Auzonne, dont la fille Colette nous a transmis quelques documents qui nous permettent d’illustrer la vie en ce lieu dans les années 1930-1940, dont un joli tableau peint par Viviane Auzonne vers 1938.

Château Gaillard à Cour-Cheverny
Souvenirs de l’Occupation
On retrouve dans le journal autobiogra­phique de Jacqueline Bavouzet (1), fille de Magdeleine, soeur de Viviane et petite nièce de Léon Giffault, l’évocation d’un épisode de l’Occupation en ce lieu : « Lors de l’exode de 1940, avant de nous réfugier à la ferme de Nono dans le Berry, nous avions fait escale à «Château Gaillard», le nom de leur propriété de Cour-Cheverny, près de Blois. Une grande maison en forme de château, plus qu’un vrai château. Et nous avions été heureux - oui, on peut le dire ainsi malgré les malheurs du temps - de nous y retrouver tous ensemble, avec Guite et ses enfants, pour quelques jours. L’oncle était déjà mort. Ce n’est pas sans une certaine émotion que j’entends encore aujourd’hui dans ma tête le grincement de la grille du perron et le chant de l’éolienne de la propriété. C’est lors de ce séjour à Château Gaillard que nous avons vu notre premier allemand. Un officier autrichien qui venait réquisitionner la maison. Lorsqu’il a vu toute la famille, nous six, Guite et ses quatre enfants, sans compter la tante et Marie, il n’a pas insisté. Il était beau, élégant, plus que correct, courtois. Nous en sommes restés sidérés, avec un certain malaise même. Il était si loin de l’idée du «boche» que nous nous étions faite».

Château Gaillard à Cour-Cheverny
Château Gaillard à Cour-Cheverny
Une autre configuration des lieux
Autrefois, on accédait à la propriété par le sud, par le chemin se raccordant à la voie de La Charmoise. L’accès actuel par la voie des Péraudières n’était alors qu’un petit chemin. En regardant bien, on distingue actuelle­ment, au bord de cette voie rurale (nommée Château Gaillard), une petite pièce d’eau cachée dans la végétation. Elle est désignée comme « vivier » dans les actes notariés et Viviane a souvent évoqué à sa fille des pro­menades en barque et des parties de pêche à la grenouille sur la « grande mare ». La pro­priété était entourée de nombreuses vignes, dont certaines faisaient partie du domaine (une cuvée « Château Gaillard » est même mentionnée dans le menu du déjeuner familial du 1er janvier 1914) et possédait plusieurs vergers dont on distingue encore quelques vestiges. Il y avait également à cet endroit de nombreuses pâtures (dont certaines commu­nales), sur de très petites parcelles, qui ont été progressivement regroupées, notamment lors du remembrement des années 50-60.

Château Gaillard à Cour-Cheverny
Changement de propriétaires
À la fin des années 50, la propriété sera vendue par la famille Giffault à M. et Mme Bouhourdin, qui la revendront en 1964 à Alain Drufin et à sa soeur Françoise. Cette vente comportait 7 ha de terrain, le « château », plusieurs dépendances et un chai avec son pressoir. La ferme située le long de la voie des Péraudières, qui faisait autrefois partie du domaine, n’a pas été intégrée à cette vente. La maison a d’abord été habitée par la mère d’Alain, Éliane, et par sa soeur, celui-ci ne fréquentant les lieux qu’une fois par an, car voyageant dans le monde entier du fait de son activité professionnelle dans le BTP.
Dans ces années-là, Alain a lui-même arraché les pieds de vignes du domaine, ceux-ci étant devenus trop vieux et inexploitables. De plus, des primes étaient accordées à cette époque par l’État pour cet arrachage, dans le cadre d’une politique de régulation de la production viticole. De nombreux arbres ont maintenant rempli ces espaces, mais on distingue encore çà et là l’emplacement des rangs de vigne.
Château Gaillard à Cour-Cheverny
Françoise pratiquait beaucoup l’équitation dans les années 70, participait à des concours et à quelques chasses à courre, sa mère s’occu­pant de la nourriture du cheval et de l’entretien de l’écurie pendant la semaine. Elles avaient fait aménager une écurie, un paddock et un manège pour l’entraînement. Suite à la dispa­rition brutale de Françoise en 1983, sa mère a habité seule le « château » jusqu’en 1999 (et une des dépendances était occupée par un locataire qui entretenait le jardin), date à laquelle elle est entrée en maison de retraite.
La demeure principale est aujourd’hui occu­pée par des locataires à l’année. Alain et son épouse ont fait aménager une habitation moderne dans l’ancien chai, et ont créé un gîte dans une dépendance qui a accueilli de nombreux touristes jusqu’en 2019.

P. L.

Merci à Alain et Annie Drufin et à Colette Auzonne de nous avoir permis d’écrire ces quelques lignes.

(1) Notons que Louis Debourdeau (père de René, le beau-frère de Jacqueline et Viviane) était propriétaire du château de La Taurie à Cour-Cheverny de 1919 à 1930.

La Grenouille n°56 – Juillet 2022

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