Château Gaillard est une demeure discrètement implantée sur les hauteurs de Cour-Cheverny, au lieudit du même nom, non loin des Péraudières. Ni château ni manoir, elle a cependant un certain charme qui nous a donné envie d’en savoir un peu plus à son sujet.
Les
documents retrouvés aux Archives départementales du Loir-et-Cher semblent
indiquer que la construction date de 1887, mais le cadastre napoléonien de 1813
nous montre que des bâtiments d’habitation existaient déjà avant cette date à
cet emplacement.
Sur
une carte postale ancienne de Château Gaillard, figure une personne devant la
grille d’entrée, en partance pour la chasse : il s’agit de Léon Giffault, le
propriétaire des lieux à cette époque, avec son épouse et sa fille Marie.
Engagé
volontaire dans l’armée pour trois ans en 1893 (à 19 ans) au 13e régiment d’infanterie
de Vincennes, il passe dans la réserve de l’armée active en 1896. Sa fiche
matricule militaire indique qu’il participera ensuite à la campagne contre
l’Allemagne du 16 décembre 1914 au 3 décembre 1915, puis sera « renvoyé dans
ses foyers », pour des raisons de santé, le 4 décembre 1915. Il participera de
nouveau à la campagne contre l’ennemi du 29 mars 1916 au 7 mars 1918, mais est
classé, pendant cette période et toujours pour les mêmes raisons, « Service
auxiliaire » en mai 1916, et « détaché comme agriculteur » à Cour-Cheverny du 26
mai 1917 au 9 novembre 1917.
Installé
à Château Gaillard en 1911Léon
Giffault devient propriétaire de Château Gaillard en 1911, qu’il achète à
Léontine Menu Confolent. On ignore la raison pour laquelle il a acheté à
Cour-Cheverny, mais il connaissait sans doute déjà la région puisque son épouse
était originaire de Vatan dans l’Indre. Il quitte donc la région parisienne à
cette époque, mais aussi son métier, les produits chimiques de la peinture lui
étant devenus nocifs. Dans l’annuaire de 1926, il est indiqué « Giffault,
propriétaire-viticulteur, Château-Gaillard ».
La
soeur de Léon Giffault étant décédée très jeune (à 25 ans), celui-ci était très
attaché à sa nièce, Magdeleine Cherbetian, épouse Bavouzet, et à sa petite
nièce Viviane, épouse Auzonne, dont la fille Colette nous a transmis quelques
documents qui nous permettent d’illustrer la vie en ce lieu dans les années
1930-1940, dont un joli tableau peint par Viviane Auzonne vers 1938.
Souvenirs
de l’OccupationOn
retrouve dans le journal autobiographique de Jacqueline Bavouzet (1), fille de Magdeleine,
soeur de Viviane et petite nièce de Léon Giffault, l’évocation d’un épisode de
l’Occupation en ce lieu : « Lors de l’exode de 1940, avant de nous réfugier
à la ferme de Nono dans le Berry, nous avions fait escale à «Château Gaillard»,
le nom de leur propriété de Cour-Cheverny, près de Blois. Une grande maison en
forme de château, plus qu’un vrai château. Et nous avions été heureux - oui, on
peut le dire ainsi malgré les malheurs du temps - de nous y retrouver tous
ensemble, avec Guite et ses enfants, pour quelques jours. L’oncle était déjà
mort. Ce n’est pas sans une certaine émotion que j’entends encore aujourd’hui
dans ma tête le grincement de la grille du perron et le chant de l’éolienne de
la propriété. C’est lors de ce séjour à Château Gaillard que nous avons vu
notre premier allemand. Un officier autrichien qui venait
réquisitionner la maison. Lorsqu’il a vu toute la famille, nous six, Guite et
ses quatre enfants, sans compter la tante et Marie, il n’a pas insisté. Il
était beau, élégant, plus que correct, courtois. Nous en sommes restés sidérés,
avec un certain malaise même. Il était si loin de l’idée du «boche» que nous
nous étions faite».
Une
autre configuration des lieuxAutrefois,
on accédait à la propriété par le sud, par le chemin se raccordant à la voie de
La Charmoise. L’accès actuel par la voie des Péraudières n’était alors qu’un
petit chemin. En regardant bien, on distingue actuellement, au bord de cette
voie rurale (nommée Château Gaillard), une petite pièce d’eau cachée dans la
végétation. Elle est désignée comme « vivier » dans les actes notariés et
Viviane a souvent évoqué à sa fille des promenades en barque et des parties de
pêche à la grenouille sur la « grande mare ». La propriété était entourée de
nombreuses vignes, dont certaines faisaient partie du domaine (une cuvée «
Château Gaillard » est même mentionnée dans le menu du déjeuner familial du 1er janvier 1914) et
possédait plusieurs vergers dont on distingue encore quelques vestiges. Il y
avait également à cet endroit de nombreuses pâtures (dont certaines communales),
sur de très petites parcelles, qui ont été progressivement regroupées,
notamment lors du remembrement des années 50-60.
Changement
de propriétairesÀ
la fin des années 50, la propriété sera vendue par la famille Giffault à M. et
Mme Bouhourdin, qui la revendront en 1964 à Alain Drufin et à sa soeur
Françoise. Cette vente comportait 7 ha de terrain, le « château », plusieurs
dépendances et un chai avec son pressoir. La ferme située le long de la voie
des Péraudières, qui faisait autrefois partie du domaine, n’a pas été intégrée
à cette vente. La maison a d’abord été habitée par la mère d’Alain, Éliane, et
par sa soeur, celui-ci ne fréquentant les lieux qu’une fois par an, car
voyageant dans le monde entier du fait de son activité professionnelle dans le
BTP.
Dans
ces années-là, Alain a lui-même arraché les pieds de vignes du domaine, ceux-ci
étant devenus trop vieux et inexploitables. De plus, des primes étaient
accordées à cette époque par l’État pour cet arrachage, dans le cadre d’une
politique de régulation de la production viticole. De nombreux arbres ont
maintenant rempli ces espaces, mais on distingue encore çà et là l’emplacement
des rangs de vigne.
Françoise
pratiquait beaucoup l’équitation dans les années 70, participait à des concours
et à quelques chasses à courre, sa mère s’occupant de la nourriture du cheval
et de l’entretien de l’écurie pendant la semaine. Elles avaient fait aménager
une écurie, un paddock et un manège pour l’entraînement. Suite à la disparition
brutale de Françoise en 1983, sa mère a habité seule le « château » jusqu’en
1999 (et une des dépendances était occupée par un locataire qui entretenait le
jardin), date à laquelle elle est entrée en maison de retraite.
La
demeure principale est aujourd’hui occupée par des locataires à l’année. Alain
et son épouse ont fait aménager une habitation moderne dans l’ancien chai, et
ont créé un gîte dans une dépendance qui a accueilli de nombreux touristes
jusqu’en 2019.
P.
L.
Merci à Alain et Annie Drufin et à Colette Auzonne de nous avoir permis d’écrire ces quelques lignes.
(1) Notons que Louis Debourdeau (père de René, le beau-frère de Jacqueline et Viviane) était propriétaire du château de La Taurie à Cour-Cheverny de 1919 à 1930.
La Grenouille n°56 – Juillet 2022
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