Le temps des réquisitions

(Mémoires Comte DUFORT - Episode n° 8)
Le comte Dufort se retrouve donc à déjeuner, avec cet énergumène de Velu, en compagnie de son intendant avant de procéder au contrôle de tous les écrits, au château, en présence du contrôleur de Cheverny.
Il est aisé à toutes les personnes présentes de constater que Velu ne sait pas lire et que, par conséquent, le contrôle devrait bien se passer ; c’est Bimbenet qui lit les actes de titres de féodalité en omettant volontairement de citer les choses répréhensibles, et Velu de lui dire : “c’est bon, passe, passe ! “.

Par deux fois, Velu se montre même très arrangeant avec la famille Dufort ; il faut dire que personne n’a été regardant sur la quantité de vin consommée pendant le déjeuner ! En visitant l’appartement de madame Dufort et le contenu de son secrétaire particulier, il aperçoit un parchemin de titres féodaux. Velu croise alors le regard du comte Dufort avec interrogation et fait mine de ne rien voir. Puis, dans le cabinet du comte, Velu fouille dans le bureau. Il y trouve un tableau encore cacheté. Velu dit alors au comte : “c’est qui ?” et Dufort de lui répondre : “c’est quelqu’un auquel je suis très attaché”. Velu répond : “même si c’est Louis XV, puisqu’il est cacheté, qu’il y reste !” 
La visite se termine. Velu demande au comte de lui apporter de l’encre et une plume pour que Bimbenet puisse remplir un procès-verbal après son inspection à l’intention du club des Jacobins. Velu et Dufort signent un rapport très conciliant qui ne compromet pas la famille Dufort. 
Si cet épisode de la Révolution se termine bien, au quotidien il en est autrement. Les réquisitions deviennent constantes et pèsent durement sur l’ensemble de la population. Le domaine de Cheverny, qui est l’un des plus vastes, est mit à forte contribution ; tous les jours, Blois réquisitionne blé, avoine, foin, par voitures entières ; le comte Dufort et son fils s’exécutent sans contester le prix très fantaisiste car les révolutionnaires responsables de la charge sont juges et parties, se recommandant toujours de la Nation alors qu’ils font leur propre fortune. La moindre contestation des paysans ou des propriétaires engendre l’incarcération quand ce n’est pas la peine de mort ! 
Quand les moissons sont ainsi toutes récupérées, les chevaux, les selles et tous les cuirs sont à leur tour confisqués. Ensuite, on saisit les draps, les tissus, comme les chanvres, les tentures, les habits, vestes, culottes, chemises, drapeaux pour finir par l’argenterie. Mais c’est la réquisition de tous les cochons qui porte le plus grand préjudice à la population des campagnes et qui aboutit à une sorte de “Saint-Barthélemy des cochons”. Chacun tue le sien et le met dans son saloir car on ne réquisitionne que les cochons vivants pour les conduire à Paris. 
À Cheverny, la grande allée du château conduisant vers la grille d’honneur est jalonnée de grandes bornes et chaînes décoratives afin d’éviter de fouler les pelouses ; un matin, le comte Dufort trouve deux sans-culottes qui se promènent dans le parc, puisque tout l’espace est devenu libre à la circulation ; ils viennent poser des scellés sur les maisons des prêtres que l’on persécute. Ils s’adressent à Dufort : “voilà encore des marques de despotisme et de féodalité”, en lui montrant les bornes et les chaînes ; “on va te les faire abattre par la société de Blois !” Dufort anticipe alors les événements. Il fait enterrer dans le parc les bornes et les chaînes ainsi qu’une cloche de la famille Hurault avec une vierge en marbre de la chapelle, avant que tout ne soit détruit. 

A suivre…

Sources :
  • “Les Chanceliers de Cheverny”, par le comte Henri de Vibraye, éditions Émile Hazan
  • “Mémoires du Comte Dufort de Cheverny : La Révolution”, éditions Plon, 1909 
  • “La terre de Cheverny”, par Paul de Vibraye, éditions Lecesne, Blois 1866
  • “Le Loir-et-Cher de la préhistoire à nos jours”, par Croubois, Denis, Loisel, Sauvage, Vassort, éditions Bordessoules, 1985
Le Colvert - La Grenouille n°9 - Janvier 2011

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