Cour-Cheverny et la famille Ouvrard

Dominique Ouvrard est né en 1953 à Cour-Cheverny et y a toujours habité ; il a donc une bonne connaissance du village et de ses habitants. Il nous a ouvert ses archives et permet ainsi à La Grenouille de compléter certains sujets déjà publiés dans nos colonnes et de découvrir de nouvelles informations concernant nos villages en général et sa famille en particulier.

La famille Ouvrard à Cour-Cheverny
Dominique nous a évoqué sa longue carrière d’électricien chauffagiste : après trois ans d’apprentissage aux établissements Boireau à Cour-Cheverny, il a passé 40 ans, de 1972 à 2012, au service de l’entreprise de Bernard Sinet, devenue « Entreprise Nouvelle Sinet » en 2000. Cette entreprise a été reprise en 2014 par Axel Féron sous le nom Sogeclima sas. Et la boucle est bouclée, car c’est Dominique qui a formé Axel comme apprenti dans les années 2000…

La famille Ouvrard à Cour-Cheverny
Une histoire de famille
Nous commençons par découvrir cette photo datant de 1923 ou 24, prise devant la boutique de son arrière-grand-père Vrain (1) Alphonse Pelletier, installé comme bourrelier au 57 (2) rue Nationale à Cour-Cheverny, avec leur petit-fils Serge, le père de Dominique. Le bâtiment ancien, vétuste, a été démoli dans les années 70 et un nouvel immeuble a été reconstruit au même endroit, où s’est installée la librairie maison de la presse Lesage. Le restaurant « La Station » y est ouvert depuis quelques années.

La famille Ouvrard à Cour-Cheverny
Un mariage qui se présentait mal
La fille d’Alphonse et de Victorine, Marie- Louise (1891-1926), épousera Georges Ouvrard (1887-1968).
Ce mariage est un petit miracle, ou le résultat d’une volonté farouche du couple pour s’unir, car l’affaire se présentait mal, comme nous l’indique une lettre du beau-frère de Georges (le mari de sa soeur), adressée aux parents de la future mariée deux ans auparavant (voir cicontre)… Cette correspondance présente un caractère intime, mais nous avons fait le choix de la publier, avec l’autorisation de Dominique, car elle permet d’évoquer certains usages d’il y a plus d’un siècle et depuis longtemps révolus.… Son contenu peut surprendre, mais il faut savoir qu’à cette époque, selon la loi du Code civil napoléonien de 1804, il fallait, pour se marier, le consentement des parents de la demoiselle si elle avait moins de 21 ans, et de ceux du monsieur s’il avait moins de 25 ans (3). On peut donc c o m p r e n d r e que l’auteur de cette lettre a agi en son âme et conscience, en assumant les responsabilités qui étaient les siennes vis-à-vis de Georges. Et ce n’est que deux ans et demi plus tard, le 6 mai 1911, que Marie-Louise épouse Georges à la mairie de Cour-Cheverny...

« Châtellerault [la famille Ouvrard est originaire de la Vienne], 18 décembre 1908 Monsieur Pelletier, Ayant eu connaissance de plusieurs lettres de votre demoiselle écrites à mon beaufrère Georges Ouvrard dont j’ai été le tuteur, je viens vous informer, comme vous le savez probablement déjà, qu’il vient de s’embarquer pour Saïgon. Je n’ai pas l’honneur de vous connaître, mais cependant je me fais un devoir de vous donner un conseil, c’est celui de faire renoncer votre demoiselle aux projets de mariage qui ont été faits sans mon accord avec mon beaufrère. …/… D’abord, vous savez qu’il n’a pas l’âge de se marier et d’autre part son engagement de 5 ans dont il lui reste 3 à faire ne lui permettrait pas de se lier. C’est par là qu’il aurait du reste, dû commencer ; son âge et le temps lui restant à faire aux Colonies auraient dû l’empêcher, s’il était sérieux, de faire des promesses qu’il sait ne pouvoir tenir. Certes Georges est un bon garçon, mais il n’a rien de ce qu’il faut pour se mettre en ménage, il est excessivement volage et je ne serais pas autrement surpris que vous vous en aperceviez bientôt. En outre, il ne sait pas travailler et il est incapable de gagner sa vie et il n’a aucune instruction. C’est du reste la raison pour laquelle le conseil de famille s’est réuni en vue de le faire s’engager pour y faire sa carrière militaire car dans la vie civile il ne gagnait pas sa vie. Le but de ma lettre est de vous faire connaître que son engagement a été très difficile à contracter, mais puisqu’il y est, ce serait pour lui une mauvaise affaire que de le laisser entraîner par une amourette, qui l’empêcherait de s’engager. La situation serait ensuite très délicate et pourrait lui faire regretter, mais un peu tard, de n’avoir pas écouté les bons conseils que je lui ai toujours donnés depuis cinq ans qu’il a perdu sa mère et qu’il était chez moi, et je me demande ce qu’il pourrait bien faire lorsqu’il serait libéré avec entre les mains aucun moyen de gagner sa vie. Excusez-moi de la permission que je prends pour vous écrire exactement la situation, mais j’estime qu’étant donné ma qualité d’ex-tuteur de Georges, je devais vous fournir ces renseignements qu’il a probablement omis de vous donner. Je termine en vous laissant le soin d’en informer votre demoiselle et de lui faire comprendre qu’il serait préférable également pour elle de rompre la relation déjà établie, peut-être à la légère ; je dis à la légère car j’estime que lorsque l’on ne s’est vu que deux fois, on n’est pas suffisamment fixé pour établir des relations. Je vous présente, Monsieur, mes salutations empressées. Signé L. B. »
La famille Ouvrard à Cour-Cheverny

La famille Ouvrard à Cour-Cheverny
Comme évoqué dans la lettre de son beau-frère, le registre matricule militaire de Georges (où sa profession de sellier est mentionnée) nous indique qu’il s’engage pour cinq ans au 3 e régiment d’infanterie coloniale (3 e RIC) basé à Rochefort le 19 décembre 1906, puis passe au 11 e RIC, puis au 7 e RIC, puis dans la réserve de l’armée en décembre 1911. Moins de trois ans plus tard, il est rappelé à l’activité par décret de mobilisation du 1er août 1914 et intègre le 3 e RIC le 3 août 1914. Il sera démobilisé le 29 mars 1919.

Durant ces dix années de vie militaire, Il participe à une campagne en Cochinchine (4) de décembre 1908 à octobre 1910 (période de paix), puis aux campagnes contre l’armée allemande en France en 1914 et 1915, puis vraisemblablement sur le front d’Orient (Dardanelles et Balkans) de 1916 à 1918. Dans les années 20, Georges reprend la succession de son beau-père comme bourrelier, toujours rue Nationale à Cour-Cheverny, ce qui nous prouve qu’il avait acquis certaines compétences, contrairement à ce qu’affirmait son tuteur quelques années auparavant…
Georges Ouvrard a été évoqué plusieurs fois dans nos lignes (5), notamment dans une chanson de 1930 écrite par Henri Lecomte, et dans une autre de 1945 (auteur inconnu). Un témoin de l’époque dit de lui : « Il faisait partie de la troupe de théâtre et ne savait pas souvent son rôle ou n’avait pas bonne mémoire ». Il était également pompier volontaire et aussi « tambour de ville », annonçant régulièrement les informations locales aux quatre coins du village, comme certains anciens s’en souviennent encore, dans les années 50. Il animait également certaines ventes aux enchères chez des particuliers. Tous ces éléments et les témoignages à son sujet permettent de le classer parmi les citoyens dévoués et bons vivants du village…

La famille Ouvrard à Cour-Cheverny
Serge, le fils de Georges et Marie-Louise, naît le 29 juin 1921
Serge aura une enfance difficile, car il perd sa mère à l’âge de cinq ans. Une photo de 1936 nous le montre faisant partie de l’Étoile Sportive de Cour-Cheverny section ping-pong (créée en 1930).
Ses attestations de travail nous indiquent qu’après avoir été employé chez Maître Liège, notaire au 6 boulevard Munier, il devient, le 15 septembre 1937, à 16 ans, comptable chez Roger Marionnet, courtier en vins installé dans la grande maison située à l’angle de la rue Barberet et de la rue Gambetta et dans le bâtiment de la place Gambetta occupé ensuite par le magasin l’Union et aujourd’hui par le cabinet médical.

La famille Ouvrard à Cour-Cheverny
Les années de guerre
En 1942, Serge Ouvrard est réquisitionné, comme des centaines de milliers de travailleurs français, par le Service du Travail Obligatoire (STO) instauré par l’Allemagne nazie occupant la France à cette époque, et imposé par un décret du Gouvernement de Vichy. Il part le 10 novembre 1942, et est affecté à l’usine Electromechanick de Alt-Habendorf (6) en Tchéquie, occupée à l’époque par les Allemands. Il en reviendra le 15 juin 1945, rapatrié au centre de Hayange en Moselle. Comme la plupart des hommes ayant vécu cette réquisition, il parlera très peu à ses proches de ces 31 mois passés loin de son village natal…

La famille Ouvrard à Cour-Cheverny
Retour au village
Il reprend ensuite son métier de comptable chez Roger Marionnet, puis aux établissements Roussely, négociant en vins à Angé et dans plusieurs entreprises des environs. Il épouse Marie-Thérèse Lucas (7) le 22 mars 1952 à Villeau en Eure-et-Loir, commune de naissance de son épouse. Le couple habitait au n° 2 (maintenant le n° 7) boulevard Carnot à Cour-Cheverny, dans la maison qui porte encore aujourd’hui le nom de « La Mal tournée ». C’est l’occasion de préciser que cette dénomination n’a rien de péjoratif : elle exprime simplement le fait que la façade de cette maison est perpendiculaire au boulevard Carnot, contrairement aux autres maisons du boulevard qui sont orientées dans l’autre sens…
Comme pour son père, nous avons déjà évoqué Serge Ouvrard dans nos colonnes, notamment en tant que membre du groupe des Joyeux Fantaisistes créé par Georges Berrué, Gilbert Trousselet et Pierre Bellanger (7) dans les années 30.
Serge Ouvrard décède le 5 février 1978 à l’âge de 57 ans.
La famille Ouvrard à Cour-Cheverny

Merci à Dominique Ouvrard de nous avoir permis de compléter la mémoire de nos villages au travers de l’historique de sa famille. 

P. L.

(1) Vrain est un prénom rencontré dans le Loiret, en fait dans toute la Beauce, surtout avant 1850, avec sa déclinaison féminine Vraine et un dérivé Vrine (nominis.cef.fr).
(2) La numérotation de la rue Nationale a changé depuis cette époque : c’est aujourd’hui le n° 66.
(3) La loi a été définitivement abolie en 1933.
(4) La Cochinchine est une ancienne colonie française, annexée en 1862 par le traité de Saïgon. En 1887, la colonie de Cochinchine est intégrée à l’Indochine française lors de la formation de celle-ci (Wikipédia).
(5) Voir « Les grandes heures de Cheverny et Cour- Cheverny en Loir-et-Cher… et nos petites histoires » - Éditions Oxygène Cheverny 2018 – page 179 : « Les commerces et les artisans de Cour-Cheverny – Revue chantée ».
(6) Alt-Habendorf est la traduction allemande de Stráž nad Nisou, nom actuel de la ville, située à 90 km au nord de Prague.
(7) Marie-Thérèse Ouvrard, âgée aujourd’hui de 95 ans, est une lectrice assidue de la Grenouille et fidèle adhérente de notre association Oxygène Cheverny depuis de nombreuses années.
(8) Voir « Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher : À la poursuite de notre histoire » - Éditions Oxygène Cheverny 2022 - page 235 « Les Joyeux Fantaisistes ».

La Grenouille n°64 - Juillet 2024

Les Trudelles

De la mairie de Cour-Cheverny aux Trudelles (1), en passant par l’Angleterre

Les Trudelles à Cour-Cheverny
Emma Hindmarsh, citoyenne anglaise rési­dant à Swindon dans le Wiltshire (à 120 km à l’ouest de Londres) a récemment ques­tionné La Grenouille au sujet de quelques-uns de ses ancêtres, suite à ce qu’elle avait découvert sur notre blog à la lecture de l’article intitulé « Michel Cazin : un enfant du pays au service de la science » (2). Et comme c’est souvent le cas, ce question­nement permet d’enrichir notre mémoire locale au travers de l’histoire de plusieurs familles de nos villages.

Il s’agit principalement de la famille Cazin, du moins une branche, car la généalogie Cazin est si vaste qu’on peut facilement s’y perdre…, mais aussi des familles Michel et Destouches…
La grand-mère d’Emma, Marjorie Mary English (1907-2001) était mariée à Léon Jean Sparshott (1906-1978), lui-même fils d’Ernest Edward Sparshott (1870-1945) et de Justine Félicie Emma Michel (1863-1946). Celle-ci, née à Montbozon en Haute Saône, était venue en Angleterre comme professeur de français en 1891 ou avant, et y avait rencontré son futur époux, qu’elle épousa en 1898.

Les Trudelles à Cour-Cheverny
C’est là que se fait le lien avec la famille Cazin, car Justine Félicie Emma Michel n’est autre que la soeur de Charles Léon Michel, père d’Emma Nadine Michel, épouse d’Augus­tin Cazin et mère de Michel Cazin, éminent scientifique né à Cour-Cheverny, dont nous avons évoqué le parcours dans l’article cité précédemment…
Mais le lien ne s’arrête pas là, car une soeur de Charles Léon et de Justine Félicie Emma, Marie Eulalie Michel, a épousé en 1894 Louis Léon Cazin (1857-1945), appelé dans la famille « l’oncle Léon ».
Ces données généalogiques sont compli­quées mais elles nous ont permis de décou­vrir de nouveaux éléments de notre histoire locale, au travers notamment de la vie de Léon Cazin et de sa famille…

D’autres liens entre les familles Cazin, Michel et Destouches
Seules les familles concernées pourront s’y retrouver, mais quelques détails ci-dessous permettront à certains de trouver quelques repères…
Les arbres généalogiques de ces familles se relient et se croisent de plusieurs façons… « L’oncle Léon » est le fils de Louis Janvier Cazin (1824-1899), dont le frère, Michel Pierre, est l’arrière-arrière-grand-père de François, Bernadette et Pascal Cazin, bien connus à Cheverny et cousins de Philippe et Olivier Cril dont le père André a également été évoqué dans nos écrits…(2).
La soeur de Léon Cazin, Marie Aline Louise, épouse en 1871 Jean Gustave Alexandre Destouches. Leur fils, Louis Henri épou­sera Marguerite Michel (autre soeur de Charles Léon) en 1906. Leur fils, Jean-Louis Destouches (1909-1980), mènera un grande carrière de physicien, notamment auprès de Louis de Broglie, et aura une influence impor­tante dans la carrière de Michel Cazin (2).

Les Trudelles à Cour-Cheverny

Léon Cazin, pharmacien
On retrouve une partie du parcours de Léon Cazin sur le site internet des Laboratoires pharmaceutiques CDM Lavoisier (3) : « Léon Cazin est né à Blois le 27 mai 1857. Il obtient en 1882 son diplôme de pharmacien [Pharmacien de première classe de l’Internat des Hôpitaux de Paris] et entre dès 1894 dans la société Chaix et Rémy. Il y occupe un poste clé, étant notamment en charge du déploiement de l’activité à l’étranger. Dans les années 1910, il monte en grade et devient pharmacien en chef des laboratoires, dont il finit par reprendre l’activité en 1919 pour former Cazin et Compagnie. Il décide de s’as­socier avec Henri Hugon, alors jeune phar­macien fraîchement diplômé. En quelques années, tous deux parviennent à développer la gamme des produits des Laboratoires. Après le décès de son associé dans le courant des années 1930, Léon Cazin cède peu à peu ses droits dans la société qui a entre-temps pris le nom de Laboratoires Chaix, Hugon et Cazin ». Le dirigeant actuel, Philippe Truelle est l’arrière-petit-fils d’Henri Hugon.

Léon Cazin, maire de Cour-Cheverny de 1908 à 1919 et conseiller d’arrondissement
Suite aux élections municipales des 3 et 10 mai 1908, le conseil municipal (composé à l’époque de 16 membres) élit Léon Cazin au poste de maire. Le village compte à cette époque 664 électeurs inscrits (2 220 aujourd’hui). Léon Cazin sera ensuite réélu en 1912 : le mandat de maire était alors de 4 ans (il passera à 6 ans en 1929). Du fait de l’état de guerre que subit la France, les élec­tions prévues en 1916 n’auront pas lieu ; les mandats de maires sont prolongés jusqu’en 1919, date à laquelle le mandat de Léon Cazin prendra fin après 11 ans d’exercice, et c’est Gustave Brinon qui lui succédera.

Nous n’avons pas trouvé la trace d’événe­ments significatifs dans les comptes-rendus des conseils municipaux de cette époque, et curieusement, la guerre n’y est pratique­ment jamais évoquée… Notons cependant, qu’au cours de l’année 1919, sur propo­sition du Maire, le Conseil décide à l’una­nimité d’envoyer à Monsieur Clémenceau, Président du Conseil, l’adresse suivante : « Le Conseil municipal de Cour-Cheverny adresse à Monsieur Clémenceau, Président du Conseil, l’hommage de son admiration et de sa reconnaissance pour son dévouement à la Patrie et l’énergie avec laquelle il a assuré la victoire de la France. Il envoie également les témoignages de son administration aux armées victorieuses de la République et à celles des alliés ».
Léon Cazin est également élu conseiller d’ar­rondissement le 18 septembre 1910, repré­sentant le canton de Contres, arrondissement de Blois (4), en l’emportant dans 11 des 17 communes du canton. Léon Cazin devait avoir une vie bien remplie, compte tenu de ses activités professionnelles importantes à Paris, de ses deux mandats d’élus et de ses nombreuses activités personnelles…

Propriétaire aux Trudelles
En 1977, dans une lettre à sa fille Nadine qui s’apprête à venir en France visiter notre région, Léon Jean Sparshott évoque ses souvenirs de jeunesse des années 1910-1920 : « La maison où j’ai passé la plupart de mes vacances en France s’appelait "Les Trudelles", à Cour- Cheverny. C’était une grande maison entiè­rement isolée en pleine campagne. C’était à environ deux ou trois miles (pour autant que je m’en souvienne…) de la petite ville de Cour- Cheverny…/… ».
Léon Cazin avait hérité du domaine des Trudelles à la mort de son père en 1899, qui lui-même l’avait acquis aux environs de 1870, ainsi que plusieurs terres auprès de différents propriétaires, puis des bâtiments auprès de M. Vallières, propriétaire vigneron. Le domaine ne comportait alors qu’une petite maison d’habitation et des dépendances où étaient élevés quelques animaux. Léon Cazin fait démolir l’habitation pour construire une nouvelle maison aux environs de 1902, qui comporte 20 ouvertures comme l’indiquent les registres du cadastre consultés aux Archives départementales du Loir-et-Cher. Il continue ensuite à agrandir son domaine en rachetant différentes terres alentour.

Les Trudelles à Cour-Cheverny
Souvenirs de vacances aux Trudelles, entre 1910 et 1920
Léon Jean Sparshott complète ses souvenirs : « Je me souviens de trois longues vacances aux Trudelles. La première en 1912 alors que j’avais six ans, quand j’y ai passé plusieurs mois à me remettre d’une coqueluche qui m’avait bien affecté. La coqueluche et la toux m’avaient fatigué le coeur, et cela a fait éclater les vaisseaux sanguins de mes yeux. Je me souviens que le blanc de mes yeux était abso­lument rouge sang, et plusieurs personnes sur le trajet ont demandé à ma mère si j’étais aveugle.
Les secondes vacances ont eu lieu en 1914 lorsque la guerre a éclaté [l’Allemagne déclare la guerre à la France le 3 août 1914 à 18 heures]. Charles [son frère aîné] et moi étions tous les deux là et avons dû être renvoyés chez nous en toute hâte. Les troisièmes vacances se sont déroulées en 1920, et Charles et moi étions de nouveau là-bas ensemble.
Mon oncle possédait beaucoup de terres, principalement des vignes et des bois. Il fabri­quait son propre vin, rouge et blanc, et distillait sa propre eau-de-vie. Il fabriquait également une liqueur de cassis qui était mon breuvage préféré. Il élaborait également un parfum de rose (distillé je crois dans le même alambic que pour l’eau-de-vie) à partir de pétales de roses de la grande roseraie et produisait aussi du cidre.
Il élevait deux vaches, des poules, des canards et des pintades, et il y avait un grand étang à poissons dans les bois. Tous les fruits et légumes étaient cultivés sur place.
Mes dernières vacances en France remontent à 1922, mais elles se passèrent dans la maison de ville de mon oncle à Blois, car il avait cédé les Trudelles à Nadine [la nièce de son épouse] et son mari [qui était aussi son neveu]. Cette maison se trouvait sur la rive sud de la Loire sur le port de plaisance, Quai Villebois …/…. Pendant que j’étais là-bas, je pense qu’il a dû acheter une autre maison. À la même époque, les Destouches achetèrent une maison très proche. Ces deux maisons se trouvaient sur le quai Ulysse Besnard qui se trouve sur la rive nord de la Loire…/….
Le château de Cheverny n’était pas ouvert au public à cette époque, mais je me souviens d’une visite privée en famille. En dehors de la magnifique approche et de la belle façade, je me rappelle d’une grande pièce chargée de bois ciré et de tapisseries ou de tableaux.
J’espère que tu apprécieras ton voyage et que tu pourras visiter certains des endroits que j’ai connus. Tu goûteras sans doute aux vins de Loire. Bien que nous buvions habituellement les vins des Trudelles, mon oncle ouvrait, lors d’occasions spéciales, une bouteille de Vouvray pétillant. Je n’ai jamais eu l’occasion de boire du Vouvray pétillant depuis, mais j’ai souvent bu du Vouvray tranquille (5) qui est très agréable ».
Léon Cazin a également voyagé avec son épouse en Angleterre dans les années 1920, comme en témoignent les belles photos de famille que nous a transmises Emma Hindmarsh.

Les Trudelles à Cour-Cheverny
Le domaine des Trudelles change de pro­priétaire
Le domaine des Trudelles sera vendu en 1922 par Louis Cazin, et plusieurs propriétaires se succéderont ensuite : Mme Goudard, puis M. et Mme Guichard, et Mme Berthe Brialix en 1929. Jean Dardouillet, neveu de Mme Brialix, et son épouse Arlette deviendront propriétaires en 1988 et y habiteront plus de 30 ans. Jean et Arlette, tous deux décédés en 2023, furent pendant de nombreuses années de fidèles adhérents de notre association Oxygène Cheverny. Cet article est aussi pour nous l’occasion de les remercier pour la générosité dont ils ont fait preuve envers La Grenouille.

P. L.

(1) Pour en savoir plus sur l’origine du nom de ce lieu, voir « Les grandes heures de Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher… et nos petites histoires » - Éditions Oxygène Cheverny 2018 – page 293 : « Les toponymes ».
(2) Voir « Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher… À la poursuite de notre histoire » - Éditions Oxygène Cheverny 2022 - page 203 « Michel Cazin – Un enfant du pays au service de la science » – page 164 « André Gabriel Cril, un commerçant dont on se souvient ».
(3) La société, devenue aujourd’hui « Les Laboratoires CDM Lavoisier » a son siège social à Paris ; son site de production s’installe à Blois en 1964 et est transféré en 1990 à La Chaussée Saint-Victor. www.lavoisier.com/fr/dirigeants
(4) À cette époque le conseil d’arrondissement était formé par des conseillers élus sur les territoires des cantons, élus pour 6 ans. Leurs attributions étaient réduites et ils intervenaient surtout dans la répartition des contributions directes. Les conseils d’arrondissement ont été suspen­dus par l’acte dit loi du 12 octobre 1940 et n’ont jamais été réactivés.

(5) Un vin tranquille est un vin qui n’est pas effervescent.

La Grenouille n°64 - Juillet 2024

Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny

Dans le précédent numéro de La Grenouille, nous avions évoqué le Café de la Gare à Cour-Cheverny, ouvert de 1935 à 1970 environ, et vous avions promis une prochaine tournée des autres établissements de la commune… Nous y voici ! En route pour ce parcours en douze étapes (dont trois dans ce numéro). Certains de ces établissements ont aujourd’hui disparu, et d’autres sont toujours en activité, en ayant changé de nom pour certains...

Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny
Le Café du Commerce
Voisin du Café de la Gare, à l’autre angle de la rue Barberet et de la rue Leroy, était installé le Café du Commerce. Plus ancien que le Café de la Gare, on le retrouve sur une carte postale datée de 1905… Jean-Yves Augé, taxidermiste à la retraite (1), nous indique que ce café a été créé par son arrière- grand-père puis tenu par son grand-père Gabriel. L’établissement comprenait également une épicerie, avec un accès par deux portes différentes, que l’on distingue sur la carte postale, et encore visibles aujourd’hui sur la façade de la maison. Cet établissement a été fermé avant la Seconde guerre mondiale.

(1) Voir « Les grandes heures de Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher… et nos petites histoires » - Éditions Oxygène Cheverny 2018 – page 195 : « Le taxidermiste ».

Le Café de la place de la Gare
Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny
Un autre café se situait boulevard Carnot, à l’angle de la place de la gare, avec sa terrasse et les jeux de boules tout proches : le Café de la place de La Gare. Il a été ouvert par Charles et Madeleine Croiset en 1932, comme nous l’a indiqué leur fille Mauricette âgée aujourd’hui de 85 ans et habitant Montluçon.
Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny
« C’est M. Marionnet, courtier en vins, chez qui travaillait mon père, qui a fait construire la maison pour en faire un café. C’est là que se sont installés mes parents et le récépissé de déclaration du « Café restaurant situé à Cour- Cheverny, Place de la Gare » qui date de 1932 est au nom de mon père, qui a ensuite créé une entreprise de transport. Il est décédé en 1951 et c’est ma mère qui a tenu seule le café jusqu’au début des années 70. Elle s’est remariée en 1958 avec M. Houry, qui possédait un petit magasin de ferblanterie (pièces de quincaillerie, bouteilles de gaz, etc.) rue Barberet. J’ai toujours connu Maman dans ce petit café, avec un joli comptoir et son dessus en zinc et un emplacement pour faire du froid avec des blocs de glace. Mais Maman utilisait plutôt le puits pour mettre au frais les bouteilles et le beurre qu’elle y descendait dans un seau ; elle allait aussi tirer le vin à la cave. Elle servait beaucoup de repas, notamment pour les voyageurs de la gare. Tous les ans à Pâques avait lieu la fête place de la gare avec son bal parquet et le « Mur de la mort » dont le spectacle des motos qui roulaient sur les murs m’impressionnait beaucoup. Je me souviens également de M. Martin, le chef de gare, et de sa famille que j’appréciais beaucoup, et de l’instituteur des garçons, Lucien Simon, qui me ramenait à l’école sur le cadre de son vélo à 13 h13… ». Un ancien du village se souvient aussi que dans les années 50, il admirait les chevaux regroupés place de la gare, lors de la visite annuelle du vétérinaire, pendant que les propriétaires attendaient au café…
Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny

Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny
Le Café de la Mairie
Nous n’avons pas d’informations concernant cet établissement situé autrefois à l’angle de la rue Gambetta (auparavant rue Neuve ou rue de l’Église) et de la rue Martinet.… À cet emplacement se sont installés ensuite les commerces de réparation de vélos et cyclomoteurs de la famille Buron en 1949, de Gérard Travers en 1975, puis celui de Jacques Gosnet en 1989 (2)

(2) Voir « Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher… À la poursuite de notre histoire » - Éditions Oxygène Cheverny 2022 - page 177 « La famille Buron ».

Le Café de Paris, rue Nationale à Cour-Cheverny 
Témoignage de Patrice Duceau
Avant la dernière guerre, le Café de Paris appartenait à Clovis Leloup, père de René Leloup, mon beau-père, qui y exerçait le métier de cafetier-coiffeur. Ma belle-mère, Denise Leloup, durant la captivité de son mari René, a tenu le café pendant l’occupation allemande.

Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny
Après la guerre, le Café de Paris était un des lieux de réjouissances du week-end, en particulier pour ses bals du dimanche. Les amateurs de danse arrivaient parfois de plusieurs dizaines de kilomètres pour passer leur dimanche à Cour-Cheverny. Mes beaux-parents étaient très appréciés pour organiser ces moments de détente après les années de privations.
Mes premiers souvenirs du Café de Paris datent du début des années 1960. Des projections de films de cinéma occupaient la grande salle derrière le café avant qu’elle devienne salle de billard. À l’angle de cette salle se trouvaient deux flippers et plus tard, au milieu de la salle, un baby-foot. Une cafetière était posée au bout du comptoir, sous la rampe d’escalier, à la disposition des clients.
Pour accéder aux toilettes, au fond du jardin, il fallait traverser la première salle, puis la seconde, puis tout le jardin.
Le lieu privilégié de notre adolescence
C’était l’époque des « yéyés », de Johnny Hallyday, des Beatles, des Rolling Stones... celle des premières rencontres avec les copines du coin et des concours de babyfoot avec mon ami Jean-Mary Grateau. Les perdants payaient les consommations. Jean-Mary et moi étions plutôt bons à cet exercice et il nous arrivait de passer tout une après-midi sans jamais payer ! Notre réputation « d’imbattables » au baby-foot faisait des envieux et les équipes d’autres villages venaient nous affronter. Le patron se réjouissait de cette fréquentation qui consommait.
Au baby-foot, je jouais à l’avant et Jean- Mary à l’arrière. Nous étions très complémentaires. Nous avalions une menthe à l’eau après chaque victoire. C’était le temps de l’insousciance...
Il m’arrivait parfois de regarder, avec mon ami Jean-Claude Aubry, le mari de Marie- Jocelyne, notre coiffeuse, les matchs du Tournoi des Cinq Nations de l’époque dans la cuisine avec le patron M. Delaveau.

Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny

Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny

Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny

Le Café de Paris est tenu depuis 2003 par Patrick Biour. La salle de café et son comptoir ont belle allure, avec de jolies boiseries anciennes et de nombreuses publicités d’époque. On peut également y voir le tableau d’affichage du club de foot qui y avait là son siège dans les années 70, et l’indication « Billard français et anglais » au-dessus de la double porte qui donnait accès à la salle de bal et cinéma qui sert aujourd’hui de réserve.

Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny


Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny












Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny




Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny



Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny

P. L.

La Grenouille n°63 - Avril 2024


Du Café du siècle au Comptoir Courchois

Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny
L’actuel Comptoir Courchois s’appelait autrefois le Café du Siècle. En 1956, ses nouveaux propriétaires l’ont rebaptisé « Le Till’Ico ». On raconte que ce nom a une origine amusante… Le fils du propriétaire, qui se nommait Philippe Nicot, avait du mal à prononcer son nom, et son expression « Till’Ico » a été utilisée pour nommer le café de ses parents. Puis le Till’Ico a été tenu de 1965 à 1989 par Solange Mathot (mère de Christiane Ducolombier), qui y a créé le point de vente PMU. Elle organisait également des bals le dimanche après-midi. Gérard Roussay, qui l’a tenu de 1994 à 1997, l’a appelé le Saint Cloud. Plusieurs propriétaires se sont ensuite succédé, puis Isabelle et Nicolas Clausener l’ont tenu à partir de 2004. Stéphane Gousset, propriétaire depuis novembre 2022, l’a baptisé Le Comptoir Courchois.

P. L.

Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny

 







Quand Cour-Cheverny faisait son cinéma

Rétrospective sur les cafés de Cour-Cheverny
Monique Baillon nous raconte les moments qu’elle a vécus à la salle de cinéma du Café du Siècle dans les années 1952-1954.
En 1949, Pierre et Marcelle Bellanger (née Besnard), les parents de Monique Baillon, ont acheté le fonds de commerce du Café du Siècle à Gilliane Loyeau (café-bar, salle de cinéma). En 1952, après le décès de son époux, Marcelle tiendra seule l’établissement jusqu’en 1954. Début 1954, elle se remarie avec Marcel Bortot et vend le fond de commerce ainsi que le cinéma. Pendant deux ans et demi, ils iront de bourg en bourg pour projeter des films avec l’aide du cousin Daniel. En 1956 tout s’arrête et le Till’lco prendra le relais du bar mais ne continuera pas le cinéma.

Quelques images du cinéma restent dans la mémoire de Monique Baillon
Une porte cochère qui jouxtait le café conduisait à une grande salle destinée à la projection de films proches du cinémascope en pellicule 8 mm sur un écran de 2,50 x 1,50 m. Les jours de cinéma et de fêtes communales Fernande Besnard venait lui prêter main forte. Le cousin de la famille installait le projecteur à la cave. Dans la grande pièce aménagée en salle de cinéma, huit rangs de chaises pliantes en bois blanc étaient disposées, soit une cinquantaine de places assises au sol. En surélévation, les « tribunes » étaient garnies de banquettes recouvertes de velours rouge, destinées à accueillir le « gratin » du village... Les enfants, en particulier, se réjouissaient de découvrir sur l’écran surtout des films d’aventure types westerns, péplums... avec les héros de cette époque incarnés par John Wayne, Charlton Heston (Ben-Hur), Victor Mature, Peter Fonda... pour ne citer que quelques productions américaines. Et les classiques français tels « Fanfan la Tulipe » avec Gérard Philipe et Gina Lollobrigida... La programmation, très familiale, changeait chaque semaine.
La billetterie se trouvait dans une petite salle, à l’arrière, tenue par Marcelle. Les billets roses et bleus que l’on y achetait étaient déchirés à l’entrée. L’entracte était un moment important pour le commerce : l’occasion de consommer diverses boissons, même du vin et de la bière. Pour les enfants c’étaient les esquimaux et diverses friandises (bonbons, chocolats...) qu’ils ne manquaient pas de réclamer...
Après la séance de cinéma, la salle se transformait en salle de danse style « bal musette » animé par un orchestre, tous les samedi soir et le dimanche en matinée jusqu’en 1970, année où l’établissement fut acheté par M. Rillet.
On pouvait aussi se livrer aux jeux de société dans l’arrière-salle. Une table de ping-pong était à disposition. À noter qu’il était interdit de fumer.

Propos recueillis par Cornélia Dégremont


La Grenouille n°64 - Juillet 2024

Le domaine de Sérigny

Le domaine de Sérigny à Cour-Cheverny
En 1506, le domaine de Sérigny appartenait à Louise du Mesnil puis, bien plus tard, à la famille de Michel Bégon. Michel Bégon est né à Blois en 1638. Administrateur et officier de plume dans la marine sous Colbert, il meurt à Rochefort en 1710. Il donna son nom à une fleur célèbre : le bégonia. À cette époque, la famille Bégon possédait, en plus du domaine de Sérigny, le domaine de La Sistière au nord et le domaine des Murblins à l’ouest. L’actuel château de Sérigny n’existait pas. Sa construction date du XIXe siècle.

De 1890 au début du XXe siècle, la famille Adeline était propriétaire d’un vaste domaine de 200 hectares qui comprenait Sérigny et s’étendait au sud jusqu’à la ferme de La Louettière avec son immense potager (sur la route de Fontaines-en-Sologne) et limité à l’est par la route de La Charmoise. Au nord, en limite des terres de la famille Lemaignan, la ferme du Rouvre assurait l’exploitation agricole du domaine. À l’ouest, la propriété s’arrêtait au chemin de Chercherelle avec les terres des Murblins.
Les Adeline étaient en famille avec les Lemaignan du domaine « Gué-la-Guette » sur la commune de Fontaines-en-Sologne. Raoul Adeline était le cousin germain de Raoul Lemaignan. Il avait fait fortune, comme une autre grande famille locale, les Bégé, en fournissant les chevaux et leurs équipements aux armées napoléoniennes.
La Louettière brûla complètement vers 1920. Les Adeline vendirent la plus grande partie du domaine de Sérigny en 1930 à la famille Herbelot, sauf La Louettière qui venait d’être reconstruite.
La Louettière fut ensuite habitée et amémagée par la famille Guéden, propriétaire des magasins du Printemps vers 1960.
Le domaine de Sérigny à Cour-Cheverny

1964-1984
Pierre Vallée achète le domaine en 1964. Il était PDG de la société Eiffel. À l’époque de M. Vallée, les affaires vont bon train pour cette société qui construit des ouvrages d’art métalliques dans le monde entier et en particulier en Afrique. Puis la société Eiffel cesse son activité. L’agence Eiffage est créée dans la foulée. C’est cette société que rachètera plus tard l’entreprise Goyer de Fougères-sur- Bièvre.
Pierre Vallée avait deux fils (Jean-Marie et Thierry) et trois filles que l’on pouvait rencontrer régulièrement à Cour-Cheverny le weekend. Leur luxueuse Mercedes blanches 300 SL décapotable et son intérieur tendu de cuir rouge, ne passait pas inaperçue au village...
Les Vallée, passionnés de chevaux, possédaient de grandes et belles écuries à Sérigny. Il leur arrivait souvent de suivre les chasses à courre avec l’équipage de Cheverny. Les fils étaient de bons vivants. Jean-Jacques Bricault, alors propriétaire du restaurant Les Trois Marchands, se souvient d’un étrange pari : les deux frères, après un repas constitué de langouste, turbot, filet de boeuf, fromage et dessert décidèrent de repartir dans la foulée pour le même menu... en sens inverse...En 1984, Pierre Vallée décide de mettre le domaine en vente. Il sera morcelé : la ferme du Rouvre sera vendue avec quatre hectares, une centaine d’hectares seront acquis par le comité d’entreprise du Crédit Agricole et une trentaine d’hectares vendus à divers particuliers. Le domaine de Sérigny se réduisit ainsi à 63 hectares.

Le domaine de Sérigny à Cour-Cheverny

Le drame de 1996
M. Van Eckout rachète le domaine en 1985. Promoteur immobilier sur toute la France, il affiche le nom de sa société, Vaneck, sur de nombreux immeubles parisiens. Lui aussi fréquentait le restaurant Les Trois Marchands, à Cour-Cheverny. Il venait y dîner avec son épouse, une grande dame de 1,80 m, directrice du Théâtre national de Paris (TNP).
Patrice Duceau, garagiste à Cour-Cheverny le connaissait. Il raconte : « Un samedi soir de novembre 1996, je dînais en famille au restaurant Les Trois Marchands. M. Van Eckout occupait la table voisine avec sa fille, qui devait avoir une quinzaine d’années. Nous nous saluâmes en papotant sur quelques banalités du moment. Le lendemain, je ressentis un choc en apprenant son suicide ».

Le domaine de Sérigny à Cour-Cheverny
À partir de ce jour, le château de Sérigny fut brutalement abandonné. Il devint le repère de jeunes locaux qui squattèrent l’endroit autour de feux de cheminées au milieu des packs de bière.
L’hiver suivant, en l’absence de chauffage, les canalisations d’eau gelèrent jusqu’à éclater. Tous les planchers et les plafonds du château furent inondés. Des centaines de m3 d’eau se répandirent partout pendant plusieurs jours. Suite à ce gâchis, le château resta abandonné pendant trois ans, jusqu’à l’arrivée du propriétaire actuel.
Les nouveaux propriétaires, Loir-et-Chériens et ruraux de souche, ont rénové le domaine de Sérigny avec une vision guidée par un « bon sens paysan ». Ainsi vivent en harmonie chevaux, canards, oies, chiens et autres locataires de la faune locale... La nature, la simplicité, le calme entre les étangs et la forêt peuplée de chevreuils et de sangliers y règnent avec pour philosophie : « Pour vivre heureux, vivons cachés ».

P. D.

Merci à Thierry Vallée pour son témoignage à propos de sa famille, qui est venu compléter ou préciser nos informations.

Le domaine de Sérigny à Cour-Cheverny

Le domaine de Sérigny à Cour-Cheverny

Le domaine de Sérigny à Cour-Cheverny

La Grenouille n°62 - janvier 2023

Le Café de la Gare à Cour-Cheverny

Le Café de la Gare à Cour-Cheverny
Le patrimoine de nos villages est également constitué de ses commerces et notamment de ses cafés… La Grenouille a déjà évoqué quelques-uns de ces établissements, et a reçu récemment de quoi compléter cette série… 

Le Café de la Gare à Cour-Cheverny
Sylvain Breton, natif de Cour-Cheverny, nous a évoqué le café de ses grands-parents, André Jules Ulysse Bailly né en 1904 et Louise Lucie (née Morin, en 1906) son épouse, qui ont tenu pendant de nombreuses années le « Café de la Gare », situé à l’angle de la rue Barberet et de la rue Leroy à Cour-Cheverny.
Sylvain Breton : « Mes grands-parents ont loué ce café en 1934 ou 1935 à madame Renée Houry. Mon grand-père ayant pratiqué d’autres métiers (notamment tonnelier chez Marionnet, fontainier, homme à tout faire au garage Girault), son épouse a tenu seule le café pendant de nombreuses années. Elle faisait également la cuisine pour ses clients, jusqu’au décès de son mari en 1963. Pour compléter ses revenus, elle travaillait parfois pour la Poste de Cour-Cheverny en distribuant les télégrammes en même temps qu'elle gérait son établissement.
J’ai connu le café dans mon enfance (années 60), notamment à la sortie de l’école, en attendant que ma mère Maryse revienne de son travail à l’accueil de la mairie de Cour- Cheverny, poste qu’elle a occupé plus de trente ans, de 1961 à 1995.
La propriétaire des lieux, madame Houry, n’a pas eu une fin de vie facile, elle vivait tristement dans une pièce très noire, à l’emplacement actuel du garage. Elle était toujours habillée en noir et les cheveux non coiffés. À sa mort en 1968, ma grand-mère avec l’aide de mon oncle Alin (1) rachète la maison.
Le Café de la Gare à Cour-Cheverny
Le café était très petit ; il comportait un comptoir en bois et quelques tables, où je voyais souvent s’installer des joueurs de belote et de 4-21…
Les clients étaient des habitués. Je me rappelle d’un monsieur qui s’installait à une table, toujours la même. Il venait à vélo de la clinique de la Borde. Tous ses objets étaient tenus avec des ficelles sur son vélo. Nous l’appelions "l’écrivain" car il passait son temps à remplir des pages d’écriture. Il donnait à ma grand-mère ses manuscrits qu’elle devait déposer à la Poste…, sans adresse sur les enveloppes…
Le café a fermé à la fin des années 70, ma grand-mère avait plus de 70 ans. Sa licence IV a été vendue à l’antiquaire installé sur la route de Blois qui avait ouvert un cabaret »

P. L. 

Le prochain numéro de La Grenouille vous invitera à une tournée générale des cafés de Cour-Cheverny de l’époque... 

(1) Alin est un prénom rare, dérivé de Alain.

Le Café de la Gare à Cour-Cheverny

La Grenouille n°62 - Janvier 2024