La Taverne Berrichonne à Cour-Cheverny

Situé dans le bas du bourg, cet établissement est en place depuis sans doute plus d’un siècle...
La Taverne Berrichonne à Cour-Cheverny
La Taverne Berrichonne - Photo Nicole Baron
« La Grenouille » a rencontré Nicole Baron, fille de René et Yvette Robert qui ont tenu l’hôtel restaurant pendant plus de 20 ans.

Nicole Robert : « Mes parents tenaient dans leur jeunesse un commerce de bar, restau­rant, épicerie et dépôt de pain à Bannay dans le Cher. Ils ont ensuite décidé de s’installer à Cour-Cheverny en achetant La Taverne de Cheverny (ainsi nommée dans l’acte de vente) en 1952, en lui donnant le nom de « Taverne Berrichonne », et l’ont tenue jusqu’à leur retraite qu’ils ont prise en 1975 ».

Activités multiples : hôtel, restaurant, bar
N. R. : « L’hôtel comportait sept chambres dont cinq pour la location. Près de la phar­macie (qui se situait à l’époque dans le bas du bourg), un couple de retraités (M. et Mme Martin), avait aménagé l’étage de leur maison en chambres que mes parents louaient pour leurs clients. Le restaurant pouvait servir une trentaine de couverts, et souvent beaucoup plus pour les banquets et les repas de baptême, de communion ou de mariage. Le dimanche de Pâques, nous recevions plus de 100 personnes pour le déjeuner et les gens faisaient la queue, attendant qu’une place se libère ; je me souviens que mon père donnait des tickets pour prendre son tour… Pour certains week-ends, comme celui de Pâques, ou pour les repas de famille (mariages, com­munions…), mes parents embauchaient des "extras" : cuisiniers, serveuses, plongeuses…
La clientèle était très variée : des routiers, des représentants de commerce qui s’arrêtaient déjeuner le midi ou le soir et prenaient une chambre, des ouvriers en pension le temps d’un chantier, des familles qui venaient voir leurs enfants en colonie de vacances à La Sistière quand il n’y avait plus de place au Pavillon Vert (1), ou rendre visite à un des leurs en séjour à La Borde. Nous recevions également des touristes, souvent en cars, qui revenaient régulièrement chaque année, ainsi que les Petits Chanteurs à la Croix de Bois qui donnaient un spectacle au château.
Je crois savoir que, durant les premières années, mes parents ont eu du mal à redres­ser l’établissement car les Courchois le fré­quentaient peu, du fait que leurs prédéces­seurs louaient des chambres l’après-midi pour quelques heures…, lui donnant ainsi une mauvaise image… ».

Pas de vacances ou très peu…
N. R. : « Mes parents travaillaient 7 jours sur 7, toute l’année…, du petit déjeuner jusqu’au dîner… Ils n’ont pris que quelques semaines de vacances à la fin de leur carrière. Ils employaient plusieurs personnes pour le ser­vice et le ménage. Maman cuisinait : sans être gastronomique, c’était une cuisine simple et de bonne qualité, avec des produits achetés dans le village ou à Blois. Papa tenait le bar. Il aimait bien raconter des histoires et mettait de l’ambiance parmi les clients…, surtout les jeunes qu’il aimait beaucoup et réciproquement.
Mes parents faisaient également dépôt pour l’envoi et la réception de colis SNCF.
Sur la façade, figurait un panneau "Auto-école Le Fur", indiquant le lieu de rendez-vous de cette auto-école de Blois pour les clients du village.
Nous avions le téléphone, très rare à cette époque, et nous servions souvent de télé­phone public… J’entends encore mon père interpeller le voisin André Auger : "Dédé ! téléphone !"... ».

Le bas du bourg très animé
N. R. : « La kermesse "du bas du bourg" avait lieu chaque année le premier dimanche de septembre, avec tir à la carabine, loterie et un bal "Moulins Rouges" (2). Cette fête annuelle a pris fin lorsque la clinique de La Borde a créé sa kermesse au début des années 60.
Mes parents appréciaient les jeunes qui fré­quentaient le bar surtout le week-end pour jouer au billard, gratuitement, en attendant d’aller au bal vers 21 heures, au Café de Paris à Cour-Cheverny ou dans les villages alentour. Ils trouvaient là une ambiance cha­leureuse et familiale.
Je me souviens de deux jeunes hommes, tout propres, qui venaient chaque samedi prendre un verre après être passés aux Bains Douches de Cour-Cheverny tenus par Mme Daridan et qui se trouvaient tout près de chez nous, au début de la rue Denet.
Chaque début d’année, René Mollinger, l’hor­loger-bijoutier de la place Victor Hugo, invitait chez nous tous les René du village à une galette, dans laquelle il avait glissé comme fève une pièce d’or… Mon père l’a un jour gagnée : il me l’a donnée et je me suis offert une bague que j’ai toujours gardée… ».

L’heure de la retraite
N. R. : « Mes parents vendirent l’établisse­ment en 1975. Quelques années plus tard, La Taverne Berrichonne changeait de nom, et devenait La Vieille Auberge, aujourd’hui tenue par Thierry Cartault ».

Bernadette Gaveau se souvient aussi
Sur la terrasse de la Taverne Berrichonne à Cour-Cheverny en 1958

« J’ai travaillé une saison, en 1958, à La Taverne Berrichonne, pour des travaux de ménage le matin et le service du midi, et j’en garde un très bon souvenir. C’est aussi là que, cette même année, j’ai fait mon repas de mariage. Je confirme qu’il régnait une bonne ambiance dans ce quartier animé… M. et Mme Sançois, présents sur la photo de groupe, habitaient Paris et venaient en vacances chez la soeur de Madame qui logeait et travaillait au Béguinage qui, déjà à cette époque, accueillait des hôtes ».

Photo ci-dessus : Sur la terrasse de la Taverne Berrichonne en 1958 avec, de gauche à droite : Mme et M. Sançois, Bernadette Gaveau, la nièce de M. et Mme Sancois et leur fille Geneviève, Yvette et René Robert. Au second plan, l’apprenti boucher de la boucherie Château, Pierre Vanneau (appelé Pierrot, marié plus tard avec Mauricette, une serveuse de l’établissement), qui apporte le rosbeef du jour... Photo prêtée par Bernadette Gaveau.

Propos recueillis par P. L.

Claude Auger, natif de Cour-Cheverny, nous a également apporté son témoignage sur cette époque et ce quartier.
Ma famille a bien connu ce quartier du bas du bourg de Cour-Cheverny, mon père y étant installé comme serrurier ferronnier. Il avait fait son apprentissage à Chitenay où il était passé compagnon. Après deux ans de service militaire dans un régiment de cavalerie basé à Orléans, il a participé à la guerre 1939/1940. Son régiment montait au front à cheval avec le sabre et le mousqueton face aux blindés ennemis. Il a été fait prisonnier à Domrémy (Domrémy-la-Pucelle, là où Jeanne d’Arc a vécu son enfance) et a passé cinq longues années prisonnier en Allemagne où il a été forcé de tra­vailler dans une centrale électrique : huit années de jeunesse perdues à cause de la folie des hommes, et il n’a pas été le seul…
Mon père a fait partie des ACPG (Anciens combattants prisonniers de guerre) de Cour- Cheverny (président : Maurice Poisson), dont le repas annuel du 8 mai se tenait souvent à la Taverne Berrichonne.
Il a été artisan serrurier ferronnier de 1957 à 1980, installé dans son atelier à proximité immédiate de la Taverne, où il a formé de nombreux apprentis parmi lesquels Michel Ducolombier, Jean Descombes, Raymond Leroux, Jean-Claude Mathon, Jean-Claude Touchain, Guy Robert, sous la houlette très professionnelle de Claude Leclerc ouvrier qualifié qui s’est ensuite installé à son compte à Cheverny.
Il s’est très longtemps occupé de l’ESCCC dont il a été un ardent dirigeant jusqu’au début des années 1980.
La Taverne Berrichonne à Cour-Cheverny
La Taverne Berrichonne
Nous habitions, mes parents, ma soeur et moi, dans une maison jouxtant immédiatement l’atelier, avec l’électricité, mais sans l’eau cou­rante avant la création du réseau communal d’adduction d’eau (3). Ma mère Gisèle, outre ses tâches familiales, s’occupait de l’admi­nistration, de la gestion et des finances de la petite entreprise. Le maire de l’époque était le colonel Brunet, dont l’épouse a enseigné le solfège à quelques garnements dont je faisais partie, qui se reconnaîtront… : ils habitaient le bas du bourg…
Mon père était un homme jovial, qui contri­buait à l’animation de ce quartier très vivant, avec ses nombreux commerçants et arti­sans, et notamment la pharmacie Bense- Branchu, l’épicerie Chartrain, la bourrellerie de M. Quatrehomme, la maison de la presse de M. et Mme Lesage, la boulangerie, la boucherie Château, l’épicerie Aquilina et les bains-douches tenus rue Denet par madame Daridan.
Chaque année, en septembre, était organisée "l’assemblée du bas du bourg" : bal parquet "Moulins Rouges", stand de tir et buvette étaient les principales animations. Ils attiraient de nombreux habitants, et notamment des jeunes. Les appelés y participaient en tenue militaire.
D’autres quartiers du village organisaient le même genre de fêtes, notamment "l’assem­blée de la Pentecôte", qui se déroulait place de la Mairie et "l’assemblée de la gare", sur le boulevard Carnot.
Tout ceci me laisse le souvenir d’un quartier où il faisait bon vivre, et d’une époque où la solidarité n’était pas un vain mot…

Claude Auger.

La pharmacie à Cour-Cheverny - Photo Michel Sauger
La pharmacie - Photo Michel Sauger
Merci à Nicole Robert, Claude Auger et Bernadette Gaveau pour leurs témoignages et leurs documents.

(1) Voir le livre « Les grandes heures de Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher… et nos petites histoires » Éditions Oxygène Cheverny 2018 - page 194.
(2) Les « bals parquets Moulins Rouges », créés en 1945 dans l’Indre par Marius Martin ont sillonné la Région Centre de village en village jusqu’en 1978 pour y implan­ter ces parquets qui pouvaient accueillir 250 danseurs (Source : La Nouvelle République - 2012).
(3) Le réseau d’eau a été créé en 1956, du moins dans ce quartier.


La Grenouille n°46 – Janvier 2020




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci de nous donner votre avis sur cet article, de nous transmettre un complément d'information ou de nous suggérer une correction à y apporter