L'étang de La Rousselière (et ses petites histoires) avant la construction du golf

C’est la plus importante surface en eau des communes de Cheverny et de Cour- Cheverny. Avec une surface de près de 20 hectares en eau (à laquelle il faut rajouter les roselières et les zones marécageuses adjacentes), cette tache bleue est bien visible vue du ciel et sur les cartes IGN. Bien moins connu que le golf qui le borde et que le restaurant situé dans ce bel écrin, ce plan d’eau a naturellement pris le nom de la ferme près de laquelle il a été creusé. Il est alimenté, entre autres, par un mince ruisseau qui provient de l’ouest de la route allant de Contres à Cheverny, qui prend le nom de Courpin après avoir traversé l’étang des Barentins puis le Grand Étang. 





Auguste Bourgeois et son fils Michel
à La Rousselière en 1958
Créé à l’emplacement d’un ancien étang encore en eau en 1829 (il figure sur la carte de Cassini du XVIIIe siècle), mais asséché ensuite par Paul de Vibraye pour des raisons sanitaires (comme dans beaucoup d’endroits en Sologne), qui décida alors de le mettre en culture(1), il a été cultivé jusque vers 1870, où il fut de nouveau abandonné et gagné par une friche marécageuse. C’est Philippe de Vibraye qui, juste après la deuxième Guerre Mondiale, entreprit les travaux de remise en eau. Cet étang avait alors comme objectif principal la production piscicole. Depuis, bien d’autres fonctions lui ont été reconnues. Tout d’abord, un véritable intérêt de zone naturelle, où rapidement une faune aquatique diverse s’est installée. Les oiseaux tout d’abord, sédentaires et migrateurs, et notamment tous les canards indigènes. Ils y ont constitué une faune cynégétique recherchée. Mais aussi les sauvagines (2), tels loutres et rats musqués, y avaient pris leurs quartiers. Ensuite, alors que ce but n’était pas recherché, un attrait touristique et récréatif lui fut attribué. C’était à l’époque un but de promenade dominicale très prisé des habitants de nos deux communes. Plus tard, ce plan d’eau a même été le théâtre de courses de hors-bord, et de la pratique du ski nautique, ainsi que d’une zone de baignade. Aujourd’hui, cet étang sert de cadre bucolique à ce magnifique ensemble golf-restaurant.
Auguste Bourgeois

La bonde














Les veilles de pêche
Déjà, la veille de la pêche, des curieux venaient voir le site même de l’étang presque à sec. On y sentait cette forte odeur de poisson et de vase si caractéristique des étangs en pêche. On pouvait déjà deviner les mouvements des grosses carpes qui affleuraient. Aussi, la dernière nuit qui précédait la pêche, une surveillance y était assurée par les gardes. J’ai eu l’occasion d’y passer une partie de la nuit en accompagnant mon père. Cette veille s’effectuait dans un petit local semi-enterré derrière la digue, juste à côté des bassins de réservation. Je me souviens très bien que M. Dufraisse, le fermier de la Rousselière, venait nous y rejoindre et passait quelques heures en notre compagnie. Il apportait une bouteille de vin et des gâteaux que nous grignotions autour du petit poêle rond tout en devisant à la lueur de la lampe à pétrole. En ces premiers jours de décembre, les nuits étaient déjà froides, et la chaleur que nous procurait ce poêle était appréciée, malgré son excès de fumée. De temps en temps, nous sortions surveiller le niveau de l’eau, en contrôlant le débit des vannes, et pour inspecter les environs. On s’assurait qu’aucun bruit suspect ou lumière ne venaient trahir la présence d’un braconnier téméraire. Afin de s’assurer que la grille de retenue du poisson restait libre de tout embâcle(5), nous descendions l’escalier latéral à la bonde. Mon père plongeait alors l’épuisette au pied de celle-ci en raclant les barreaux de la grille ; ce faisant, il remontait l’épuisette frémissante de vie. Il réitérait l’opération afin de sortir quelques poissons intéressants que M. Dufraisse pouvait rapporter en rentrant chez lui. Vers le milieu de la nuit, M. Bouquin, l’autre garde, venait assurer la relève et nous pouvions rentrer nous coucher. Il fallait que le lendemain dès huit heures, l’étang soit en pêche. Pour amener ce niveau d’eau optimal au jour J, le début de la vidange avait commencé huit jours plus tôt.
Auguste Bourgeois avait établi, avec l’expérience de plusieurs pêches, un protocole de vidange qui agissait sur les quatre vannes de la bonde de façon chronologique et dont il avait établi un croquis avec indications précises comme indiqué sur le schéma ci-dessous.

,
Ses notes précisaient : « Ouvrir progressivement la vanne n° 2 plusieurs jours avant, puis la vanne n° 3 à 48 heures du jour J. S’assurer que la rivière en aval ne déborde pas. Ouvrir la vanne n° 4 à 24 heures de la pêche avec surveillance du niveau d’eau durant le soir de veille et ajuster en fonction de l’arrivée de l’eau d’alimentation. Le matin de la pêche, ouvrir en plein les vannes n° 1 et 4, et 1 heure après, on peut pêcher ». 

Le jour de pêche
Le jour de la pêche était considéré comme un événement festif pour les habitants de nos deux communes. Aucune vente de poisson aux particuliers sur la digue n’était proposée (un pisciculteur local achetait toute la production), mais cependant de nombreux curieux ou des amateurs de belles pièces se pressaient sur la digue aux premières heures de la matinée. Dès 8 heures du matin, branle-bas de combat sur la digue : alors que le jour peine à se lever, les pêcheurs sont à pied d’oeuvre. La plupart des employés du château sont réquisitionnés : jardiniers, cantonniers, fermiers, gardes et le régisseur. Le pisciculteur avait disposé ses véhicules sur la digue et à proximité des bassins de pêche. Ceux-ci étaient équipés de grands réservoirs oxygénés à moitié remplis d’eau, prêts à recevoir le poisson. Les tables de tri du poisson étaient disposées près des bassins de pêche, car on ne pêchait pas directement dans l’étang. Le poisson arrivait par gravité dans ces deux bassins séparés par une grille assurant un premier tri. Les gros poissons restaient dans le premier bassin, les plus petits passaient dans le second.
La Rousselière en 1964
Le déroulement de la pêche
Pendant que tout se mettait en place, le garde levait la grille à l’aide d’un palan, et dès le signal donné, ouvrait la vanne n° 4. Aussitôt, une vague de 30 à 40 centimètres d’eau et de poissons dévalait dans les bassins de pêche. Quand le volume de poissons était jugé suffisant, on refermait partiellement la vanne, et la pêche commençait alors. Armés d’épuisettes, les employés sortaient le poisson soit depuis le bord des bassins, soit en descendant dans les bassins, équipés de cuissardes. On déversait le contenu des épuisettes dans des corbeilles en osier et dans de grandes caisses en bois ajourées pour les gros spécimens. C’était un spectacle extrêmement vivant et sonore, notamment lorsque les corbeilles étaient déversées sur les tables de tri ; ça sautait et ça tapait de la queue avec force bruit. Les trieurs, malgré l’équipement adéquat, étaient rapidement maculés de la tête aux pieds. Les exclamations fusaient et notamment lorsqu’un spécimen remarquable était présenté à une table de tri ou dans une grande caisse. On s’arrêtait quelques secondes pour admirer le trophée et évaluer son poids. Alors, quelques curieux se pressaient pour le voir de plus près et donner leur avis sur le poids et, parfois, un amateur prenait une photo. On triait d’abord les brochets, espèce la plus fragile, ensuite, les grosses carpes et les moyennes, espèce qui fournissait une grande partie de la récolte. Les grosses perches suivaient, puis les tanches et les anguilles, très présentes à l’époque. La friture, composée de gardons, rotengles, perchettes et petites tanches n’était pas triée sur place. Le pisciculteur en faisait son affaire ultérieurement dans ses bassins de revente. De temps en temps, on vidait quelques corbeilles de friture dans un des bassins pour le rempoissonnement ultérieur de l’étang. Lors du tri, on avait soin d’éliminer les espèces indésirables, telles perches arc-en-ciel ou poissons-chats. Dans l’autre bassin, on réservait un quota défini des autres espèces nobles à réintroduire. Chaque espèce triée passait ensuite au pesage où officiait le Régisseur, M. de Berthier, avant d’être déversée dans les tanks oxygénés. Dès que le poisson se raréfiait dans les bassins de pêche, Auguste Bourgeois ouvrait à nouveau la vanne et la refermait quand le volume à pêcher était optimal. En fin de pêche, il ouvrait la vanne n° 1, la plus près du fond, et ainsi de suite jusqu’à la vidange complète de l’étang. En tant qu’écolier, j’ai eu l’occasion, avec des camarades, de courir après la classe jusqu’à cet étang pour assister à la fin de cet événement de la vie locale. La vue palpable de cette vie insoupçonnée de milliers de poissons, qu’on peine à imaginer lorsque l’étang est plein, est un souvenir inoubliable.

Les courses de hors-bord 
Dans le courant des années cinquante, les fêtes de toutes natures sont à leur apogée, y compris les manifestations nautiques. J’ai eu l’occasion d’assister, sur l’étang de la Rousselière, à une course de bateaux à moteur comme on disait à l’époque. Le mouvement de ces hors-bord bruyants, colorés et rapides, était un vrai spectacle, inédit pour la plupart d’entre nous. Il était difficile de suivre le classement, mais j’ai le souvenir précis des vagues géantes qu’ils provoquaient lors des virages juste devant la bonde où l’eau était projetée sur les spectateurs, pas toujours ravis de se faire doucher.
On voyait alors que les pilotes prenaient un malin plaisir à réitérer ces manoeuvres. Le ski nautique y a aussi été pratiqué, et notamment par le docteur Benoistel qui s’y adonnait en famille. L’été, il laissait son bateau amarré aux tubes de protection de la bonde, sans le moindre système antivol. Mais c’était une autre époque… 

La canicule de l’été 1959
L’été 1959 fut particulièrement chaud et sec. Mon père m’envoyait garder nos vaches dans la peupleraie bordant l’étang, seule zone présentant de l’herbe encore verte en cette saison. Passant tous les jours devant ce « chouette » bateau, la tentation fut plus forte que la crainte. Attiré par une envie d’aventure nautique, j’entrepris de détacher le bateau et, malgré le risque de me faire surprendre par le garde, je sautai dans le hors-bord. À l’aide de la rame de secours, je m’éloignai de quelques mètres de la digue. Super sensation, mais cet engin est difficile à manoeuvrer à la rame, après un demi-tour laborieux, je regagnai le port d’attache. Après avoir rattaché le bateau avec précaution, je retrouvai, encore tremblant, les vaches qui s’étaient avancées dans les peupliers. Ce même été, cet étang fut le théâtre de nombreuses baignades, notamment avec quelques camarades de 14-15 ans, que je retrouvais les dimanches après-midi, jour de repos du vacher. Chacun venait avec la bouée de l’époque : une chambre à air de 2 CV !... Au début, nous allions où nous avions pied, puis, rapidement, au bout de quelques séances, carrément devant la bonde. C’est ainsi, qu’à la fin de l’été 1959, nous avions suffisamment d’assurance pour nous passer des bouées… ; c’était notre piscine à nous, gratuite, sans chlore et sans maître-nageur !

C’était cela, l’étang de la Rousselière... Mais c’était au 20e siècle ! 

Michel Bourgeois

(1) Comme en témoignent les écrits de Paul de Vibraye dont nous parlerons dans un prochain article…
(2) La sauvagine désigne couramment les animaux aquatiques tels que ragondins, rats musqués et loutres.
(3) Le rotengle (Scardinius erythrophthalmus) est une espèce de poissons d’Europe et d’Asie de la famille des Cyprinidae (Wikipédia).
(4) La foulque macroule (Fulica atra) est une espèce d’oiseaux, petits échassiers de la famille des Rallidae. Fulica est un genre d’oiseaux de la famille des Rallidae (Wikipédia). (5) Le terme embâcle désigne une accumulation d’objets obstruant un cours d’eau (Wikipédia).
   

La Grenouille n°53 - octobre 2021

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci de nous donner votre avis sur cet article, de nous transmettre un complément d'information ou de nous suggérer une correction à y apporter