Quand les avions décollaient de Cour-Cheverny

L’aéro-club du Blésois a été créé le 6 mai 1930, avec pour but de « créer une ému­lation parmi tous ceux qui s’intéressent à l’essor du domaine de l’air ». C’était le premier du département.

Plan de l''aérodrome de Cour-Cheverny - Photo AD41
L’association était présidée par Georges Bégé, fils du comte et de la comtesse Maurice et Jeanne Bégé, propriétaires du Domaine de La Borde qui appartenait à la famille depuis trois générations.
L’aérodrome s’installe sur un terrain à l’est du domaine, en limite du territoire de la com­mune de Cour-Cheverny, le long de la rue des Béliers (Tour-en-Sologne), non loin de la route qui relie Clénord à Tour-en-Sologne. Généralement, les avions décollaient dans le sens sud-nord sur une piste de 400 m de long. Ce terrain est aujourd’hui la propriété de la clinique de La Borde qui s’est installée sur le domaine en 1953.


 Georges Bégé, personnalité locale
Georges Bégé devant son avion - Photo AD41
Gilbert Portier, habitant de Tour-en-Sologne, nous évoque ses souvenirs d’enfance, quand il habitait chez ses parents, dans la fermette qu’ils avaient achetée à la famille Bégé, après avoir été locataires dans une autre ferme du domaine : « M. Bégé est un personnage dont on se souvient ! un homme très grand, qui présentait bien, pas fier, et qui aimait bien le contact avec le voisinage et son personnel ; le domaine de La Borde occupait de nombreux employés, et donnait du travail aux agricul­teurs locaux, notamment pour entretenir et maintenir en très bon état les bois, les cultures ou les étangs et je participais à ces travaux avec mon père. On voyait souvent passer M. Bégé dans ses belles voitures. C’était un bon vivant, toujours prêt à partager de bons moments avec tout le monde et à tirer le gibier avec son fusil à un coup... ».
Georges Bégé obtient le « brevet d’aptitude de pilote d’avions de tourisme » le 9 octobre 1933, avec 10 autres camarades. Notons éga­lement que Georges Bégé, conseiller munici­pal de Cour-Cheverny depuis 1931, occupa la fonction de « conseiller municipal faisant fonction de maire » de 1941 à 1944.

Georges Bégé, deuxième à partir de la droite, à côté 
de l’évêque, lors d’une fête de l’aviation - Photo AD41
L’Aviation Populaire
À cette époque, c’était le début de l’aviation populaire, qui avait pour but de former des jeunes gens au pilotage et à la mécanique en vue de servir de vivier pour l’armée de l’air. La formation intégrait également la connaissance de la météorologie, de la lecture de cartes, et bien d’autres éléments pour maîtriser le pilotage. Certains cours avaient lieu dans des salles du château de La Borde, d’autres au siège de Blois (à une certaine époque, l’asso­ciation aura son siège à Blois, au 3 rue des Juifs). On pratique également à cette époque le vol à voile (avions planeurs).
On cherchait à baisser le prix de l’heure de vol, et les avions possédaient des moteurs de faible puissance. Le « 1er degré » (le brevet était constitué de deux degrés) coûtait environ 2 500 francs, soit 5 mois du salaire moyen d’un employé de bureau.

Le pilotage à Cour-Cheverny
Avec le concours de son ami Raoul Lemeignen, Georges Bégé s’occupe activement de l’aéro-club. Équipé d’un hangar et de plusieurs avions, le club développe une certaine activité à Cour-Cheverny, ponctuée de nombreuses
« fêtes de l’aviation » (on ne parlait pas encore de meetings). C’était l’époque des records de durée, de distance, de vitesse ou d’altitude, ou des concours de précision pour les atter­rissages et pour des lâchers de messages (sac de sable de 200 grammes, lâché à une altitude minima de 50 mètres), et bien sûr des acrobaties (les loopings, ou « boucler la boucle ») et des baptêmes de l’air. De nombreuses manifestations avaient lieu éga­lement à Vineuil, sur le terrain de Pimpeneau. Parallèlement, le club mène également une activité d’aéromodélisme.
L’aviation de tourisme commence à se déve­lopper à cette époque. M. Bégé tentera plu­sieurs fois d’obtenir les autorisations admi­nistratives pour rendre l’aérodrome public, ou « privé agréé », et pouvoir accueillir ainsi des avions en escale, mais en fait l’aérodrome restera privé.
Raymond Mauler ouvre une école de pilotage et devient le chef pilote de l’aéro-club de Cour- Cheverny. Jean Capy lui succéde ensuite à ce poste. Raymond Mauler était un des plus fins pilotes français, ancien de l’Aérospostale (entré en 1921 dans cette compagnie). Avec Maurice Baud, ils furent les premiers français à réaliser en 1928 un raid Paris-Le Cap et retour : 35 000 km en une quarantaine d’étapes, à 120 km/h de moyenne. Ce type de raid n’était pas un voyage touristique : il s’agissait de tester les matériels, repérer les sites d’atterrissage, cartographier certaines zones, etc.
Dans les archives du club, on retrouve parmi les pilotes des noms courchois bien connus : Bégé, Bricaud, Lemaignen, Benoistel, …

De nombreuses célébrités de l’aviation ont fréquenté le terrain de Cour-Cheverny, parmi lesquelles Dieudonné Coste, Henri Farman (pilote et constructeur d’avions) ou encore Maryse Bastié, titulaire de nombreux records (nationaux et mondiaux) de pilotage et connue également pour son activité à la Croix Rouge et son combat pour le droit de vote des femmes en 1936.

L’aéro-club du Loir & Cher possédait plusieurs avions et notamment :
Le Caudron Luciole 140 CV devant  le hangar 
de l'aérodrome de La Borde - Photo AD41
• le Potez 60 F-ANOP, biplace à aile parasol,
• le Caudron Aiglon F-ANVM, biplace à aile basse,
• le Caudron 232 F-AMRY à cabine fermée,
• le Caudron Pelican F-ANKM lui aussi à cabine fermée,
• le Caudron Luciole F-ARLH, un biplace biplan,
• le Salmson Cri-Cri, à aile parasol et moteur en étoile de 60 CV.
Un avion d’occasion coûtait à cette époque environ 25 000 francs.
En 1935, le projet de création d’un aérodrome à Blois (dans le secteur de Villebarou) pro­voque de nombreuses discussions au sein du club, avec même un risque de scission.
Dans un entretien au journal « Loire - Hebdomadaire des bords de Loire » en mai 1936, Georges Bégé précise son aventure :
Le Salmson « Cri-Cri » au démarrage 
à La Borde - Photo AD 41
« Notre club, d’abord aéro-club Blésois, puis ensuite aéro-club du Loir-et-Cher, a été fondé en 1930 par quelques fervents, je dirais même fanatiques de l’aviation. La première année a été entièrement consacrée au recrutement d’adhérents. Nous avons trouvé un engoue­ment au sein de la jeunesse et aussi auprès d’anciens de l’aviation, retrouvant à nos réu­nions l’esprit de camaraderie créé pendant la guerre par l’escadrille. Nous avons organisé, en 1930, un rallye-ballon et une conférence de propagande par notre camarade le colonel Pierre Weiss qui, en des phrases vibrantes, a déclenché, si je puis dire, le mouvement. Depuis ce jour, le nombre d’adhérents n’a fait qu’augmenter ».
Georges Bégé précise dans cet entretien qu’à cette époque, l’aéro-club du Loir-et-Cher compte 1 000 adhérents ! Chiffre étonnant mais, à cette époque, l’aéro-club regroupait sans doute des adhérents pratiquant le pilo­tage, mais aussi des non pilotes qui adhé­raient pour soutenir le club, venant de tout le département et des départements voisins. Le club déployait son activité sur plusieurs aérodromes.
Commentaire du journaliste à propos de l’ins­tallation de l’aérodrome : « Ce que la grande modestie de M. Bégé empêche de dire, c’est que ce terrain de La Borde a été entièrement aménagé, nivelé, drainé, ratissé par ses soins, et je l’en félicite bien sincèrement ici ». Sans doute aussi avec l’aide du personnel du Domaine et les agriculteurs locaux…

Changement d’époque
Vers 1938-1939, l’armée de l’air s’installe au Breuil en créant un nouvel aérodrome, sur la commune de La-Chapelle-Vendômoise. Elle a pour projet d’équiper, à partir de la 19e escadre de bombardement basée à Bordeaux, deux escadres (soit quatre groupes de bom­bardement en piqué) avec le nouvel avion Loire-Nieuport LN-411. Il est prévu qu’elle s’installe à Blois au début de 1940, mais la guerre en décidera autrement...
Durant la guerre de 39/45, les avions du club sont réquisitionnés par l’armée.
À part une timide tentative d’aéromodélisme en 1942, seule activité autorisée par l’occu­pant, l’aéro-club est mis en sommeil à cette époque et l’activité de l’aérodrome de Cour- Cheverny prend fin aux environs de cette date. En 1945/1946, l’aréo-club du Loir-et-Cher s’installe sur le terrain du Breuil et prend le nom de « Air Club Blois Vendôme ». Raymond Mauler reprend ses fonctions de chef pilote au sein du club Blois Vendôme. Quant aux pilotes de La Borde, certains vont rejoindre l’armée de l’air et entamer une formation de pilote, navigateur, mitrailleur ou mécano.
Le 1er juin 1946, Georges Bégé quitte la pré­sidence de l’aéro-club du Loir-et-Cher et M. Lafarge lui succède, puis M. Loiseau en 1948. Le 15 octobre 1949, c’est M. Benoistel, médecin à Cour-Cheverny, qui prend la présidence du club. Georges Bégé a continué à pratiquer le pilotage pour son plaisir et effectué de nombreux voyages touristiques en Europe et au-delà.

Tous ces héros de l’aviation ont écrit une belle page de notre histoire locale…

Sources :
  • Archives de l’Aéro Club Blois-Vendôme.
  • Site internet : aero-passion.pagesperso-orange.fr
  • Archives départementales.
  • Informations et/ou témoignages transmis par Gilles Bégé (fils de Georges), Josiane et Jean-Claude Grateau, Gilbert Portier et Renée Gorisse, que nous remercions vivement.
Le Triton - La Grenouille n° 37 - Octobre 2017

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