Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
C’est l’histoire d’une femme hors normes : par son caractère rude, autoritaire, l’oeil vif, se mettant souvent en colère en jurant avec des « noms d’oiseaux » ; ensuite par sa posture physique : grande et belle rousse, très élégante quand elle se parait de bijoux et apparaissait en manteau d’Astrakan lors des fêtes familiales.







Eugénie, née le 6 juillet 1874, avait reçu une belle instruction dans une famille courageuse et âpre au gain. Son ambition et sa rigueur au travail la prédisposaient à réussir sa vie. Sa vie de femme, elle la commença avec son mari François Chéry comme fermière à La Borde jusqu’en 1914. Elle avait alors 40 ans. Il est remarquable que ce couple, en 24 ans (Eugénie est décédée en 1938) a, à force de travail, pu acheter quatre fermes autour de La Borde. La première, La Champinière en 1907 ; ensuite La petite Champinière (les bâtiments ont aujourd’hui disparu), puis La Closerie du Pont, et La Guillonnière, sur la route de Tour-en-Sologne. À cela s’ajoute la maison familiale à Cheverny (La Petite Bourdonnière), avec ses vignes et ses champs de céréales.

Le quotidien
Le couple eut à lutter, en cette fin de XIXe siècle, contre le phylloxera et le mildiou. Il n’était pas rare de voir Eugénie traiter ses vignes cep par cep au sulfate de cuivre contre le mildiou les nuits de clair de lune, et au furet (1) rempli de poudre de pyrèthre (2) contre le phylloxera... Elle était pieds nus car les traitements rongeaient les chaussures. Fin 1900, elle reçut même une médaille en récompense de son acharnement pour avoir contribué à sauver les vignes des Huards et de La Bervinière qui s’étendaient jusqu’à La Bijourie.
Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Deux fois par semaine, Eugénie cuisait son pain vers quatre heures du matin, battait son beurre et plumait les poulets pour les vendre au « marché au beurre » qui se déroulait rue Basse à Blois chaque fin de semaine. Elle s’y rendait en carriole tirée par son cheval, « contre vents et marées » depuis Cour- Cheverny, après avoir traversé la forêt.
Un jour de décembre, elle dut conduire en urgence une bonne vers l’hôpital pour accoucher. Elle franchit l’octroi de l’entrée de la ville à toute vitesse, sans obtempérer, en injuriant copieusement le gardien qui constatait qu’elle roulait trop vite. Finalement, c’est Eugénie qui accoucha sa bonne dans la carriole, sous la neige, au milieu du pont de Blois.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Une femme très cultivée et raffinée
Eugénie et son mari élevèrent leurs quatre enfants dans le respect de la discipline et du travail. Elle aimait l’art et investissait sa « mitraille d’or » du marché en achetant des objets d’art, des bronzes, des porcelaines, des meubles et des tableaux...
Elle aimait aussi les belles voitures : elle fut certainement la première à acheter une Peugeot Torpédo et une 301 familiale. Toujours en avance sur son temps, elle fit installer le chauffage central à La Champinière en 1935.

Eugénie fut terrassée par une attaque cérébrale en 1938, à 64 ans. Elle n’eut pas le temps de communiquer à son époux et à ses enfants la cachette de son « bas de laine » : une peau d’anguille remplie de Louis d’or dissimulée dans un mur de La Champinière (?).

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
François Chéry, l’époux d’Eugénie
François, dit « Titi Chéry », était un mari jovial, doux et courageux. Il était né le 29 janvier 1870 à La Bervinière. Il avait 11 mois quand il perdit son père lors d’une épidémie de variole. François fut élevé parmi des demi frères et soeurs, sa mère s’étant remariée avec un certain François Cazin... Il faut bien constater que les couples de l’époque se formaient à une dizaine de kilomètres à la ronde. On apprend, en consultant les archives, que la famille de François habitait déjà La Champinière en 1706, tous vignerons tour à tour dans diverses closeries de Cour-Cheverny. L’opportunité voulut que François Chéry et son épouse Eugénie rachetèrent La Champinière en 1907. Ils eurent quatre enfants :

- Jeanne, qui habita La petite Bourdonnière (Cheverny) ;
- René, qui habita La Champinière ;
- Maurice, qui habita La Guillonnière ;
- Hélène, qui habita La closerie du Pont.
François Chéry accomplit ses obligations militaires dans le Blésois en 1914-1918.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Retour aux sources de la famille Chéry
La branche que nous allons suivre est celle de René Chéry (né en 1900), qui eut trois enfants : Renée Chéry Martineau, Rolande Chéry Gendrier , Raymond Chéry.
En 1942, René Chéry prit le risque de cacher dans sa ferme un jeune qui avait l’obligation de partir au STO (Service de travail obligatoire) en Allemagne. Il ne fut jamais dénoncé par la population comme « réfractaire ». Ce jeune s’appelait Raoul Martineau (père de Pierrette). René le garda comme ouvrier à la ferme. Raoul devint son gendre en épousant sa fille Renée à 21 ans. De mémoire de Pierrette, ce fut compliqué car Raoul n’avait pas de dot à offrir...
François Chéry fut terrassé en 1939 (un an après son épouse Eugénie) par une crise cardiaque dans un moment festif suite aux retrouvailles d’un copain de régiment. Il fut enterré à Cour-Cheverny, comme ses aïeux depuis cinq siècles.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Témoignage d’Alain Chéry
Le début de vie d’Alain Chéry, marqué par l’adversité, ressemble beaucoup à celui de son arrière -grand-père François. Tous deux perdirent leur père dans leur première jeunesse. Quand Alain, à l’âge de onze ans, se retrouve le dernier de la lignée Chéry, il prend conscience qu’il ne peut compter que sur lui. Il mettra très vite toute son énergie pour relever le challenge qui s’ouvre à lui. Il veut prouver à tous qu’il relèvera la tête et réussira comme ses parents et grands-parents à la sueur de son front en se levant tôt le matin.
Encore aujourd’hui, 50 ans après, Alain est toujours combatif et fier de s’en être sorti...
Dans l’action, il prit conscience très vite que seul, ce serait très difficile, et qu’il fallait jouer collectif pour limiter le coût des matériels. Ce fut son combat à partir de 1993, lorsqu’il créa la coopérative des utilisateurs de matériel agricole (CUMA) dont il fut le président pendant plus de trente ans. Cet engagement constitue véritablement un exploit, car rassembler des dizaines de viticulteurs pour se partager équitablement du matériel selon les besoins d’exploitations toutes différentes les unes des autres sur un temps aussi long, en dit beaucoup sur la pugnacité d’Alain. La CUMA commença avec une dizaine de cultivateurs pour terminer avec 45 exploitants.
Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Alain peut être fier, au moment de transmettre à son fils Baptiste, d’avoir doublé sa superficie viticole en ayant rénové les bâtiments et son outil de production. Dans la pièce de dégustation, vous pourrez voir la photo d’Eugénie et de François entourés des enfants, prise devant le perron de La Champinière, dans un arbre généalogique géant, ainsi que les plans de la propriété de La Guillonnière qu’il a acquis auprès de son grand oncle Maurice. Alain a entrepris de la restaurer, à l’orée de la retraite, en gardant en mémoire l’époque où son père organisait des veillées « greffage de vignes » avec Marcel Gendrier. Ils partageaient ensuite les plants qu’ils avaient préparés pour augmenter leurs surfaces d’exploitations.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
P. D.

Merci à Hélène Bidault-Rutard, qui nous fait profiter des fruits de ses recherches afin de porter à la connaissance des lecteurs de La Grenouille l’histoire des familles Gendrier- Chéry, ses ancêtres, qui se sont implantés de longue date sur les communes de Cheverny et de Cour-Cheverny.

Merci à Pierrette Cazin et à Alain Chéry pour leurs témoignages.

(1) Furet : Sorte de fumigateur à poudre à usage manuel, employé autrefois par les vignerons pour chasser des vignes les insectes volants et rampants.
(2) Pyrèthre : L’extrait de pyrèthre végétal, plante herbacée apparentée au chrysanthème, agit par contact avec un effet choc contre les insectes volants et rampants.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Les évènements tragiques du 21 août 1944

Le matin du 21 août 1944, un convoi allemand venant de Cour- Cheverny se dirige vers Blois. En traversant la forêt, il est attaqué par un groupe de maquisards, très inférieur en nombre, qui se retire rapidement. La colonne allemande contourne alors la forêt et se dirige vers Mont-près-Chambord. Elle incendie des maisons et massacre les habitants. Puis la colonne se dirige vers Huisseau, Chambord, La-Ferté-Saint-Cyr. On déplorera 31 victimes pour cette seule journée.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière


21 août 1944, entre Cour-Cheverny et Mont-près-Chambord
Le docteur Jean Grateau était à l’époque jeune médecin établi à Cour-Cheverny. Il était venu procéder à un accouchement à Montprès- Chambord. Au retour, sur son vélo, il croisa un groupe de FFI à proximité du lieudit « Le Plein », fermes de la famille Martineau-Chéry. Les FFI se mettaient en position pour attendre la colonne d’Allemands qui se dirigeait vers le bourg. Le docteur les mit en garde en vain sur le fait que les Allemands étaient beaucoup mieux armés, plus nombreux, et prêts à des représailles sur la population en cas d’attaque. La suite fut dramatique... Peut-être rien n’aurait-il changé en renonçant à l’attaque car on ignorait les intentions des Allemands.

Propos recueillis par Pierrette Cazin

Témoignage de Rolande Chéry
Lundi 21 août 1944. Début de matinée, très humide, coup de feu vers 9 heures. Nous sortons dehors et nous apercevons une rangée de militaires allemands fusils braqués tout le long du fil utilisé par le cordier du village. Nous sommes rentrés et nous avons entendu des coups de feu toute la matinée.
À notre porte, il y avait des pommiers et divers matériels agricoles, les Allemands avaient installé là une cuisine, la Croix Rouge et une petite mitrailleuse et un autre engin de ce genre. C’était l’heure du repas et un officier allemand est entré chez nous révolver au poing pour demander du poivre que nous n’avions pas, il a tiré deux coups de feu dans la cuisine où nous étions tous, ma mère, mon petit frère de six ans, une petite fille de 13 ans venue chercher du lait, et moi-même.
Une balle s’est logée dans la patte de la table, l’autre a atteint le chien. Heureusement les deux hommes présents, Louis Martineau et Jean Mauguin, 16 ans, qui travaillaient chez nous, ont sauté par une fenêtre et ont couru (très vite) à travers les balles vers la forêt. Par chance personne n’a été blessé.
Après avoir cru entendre leur départ, nous sommes sortis prudemment et avons aperçu ma tante (madame Amiot) les bras au ciel. Ils ont tué Raymond et Daniel (ses deux fils) et mis le feu avec une bombe incendiaire a un de ses bâtiments et à celui de leur voisine ; tout fut perdu. Une autre voisine (madame Morin) est là. Passe Pierre Daridan auquel elle apprend que les Allemands ont tué ses deux frères (Roland et Maurice) et sa mère. Le pauvre repart en titubant, mais il n’a pas le temps d’aller bien loin, il rencontre George Morin, et là, face aux Allemands, on devine la suite ...
Je le revoie et l’entend toujours; ils furent tués tous les deux dans les minutes suivantes, je ne l’ai pas vu, mais entendu deux coups secs qui restent à jamais gravés dans mes oreilles. Après un moment, je suis sortie dans la cour et à la vue des deux corps allongés, j’ai fait demi-tour.
Le lendemain, très pénible, Louis Mauguin est venu, très mal en point ayant perdu sa femme, ses trois enfants et un ami, monsieur Mérillon. C’était très pénible, tout le monde était très compatissant à ces drames et impuissant...
Le jour des obsèques, je gardais mon petit frère et ma cousine de cinq ans dont le père Raymond Amiot et l’oncle avaient été tués, avec une grande angoisse car la peur était là, surtout celle de voir revenir les soldats ...
Je suis la seule survivante capable de me souvenir de ces maudits moments et ces tristes souvenirs restent gravés dans ma mémoire comme pour tous ceux qui les ont vécus.

Ce témoignage fut donné à Pierrette Cazin peu avant le décès de Rolande Chéry. C’est à force de pugnacité qu’elle l’obtint car les événements dramatiques relatés eurent lieu dans la maison natale de Pierrette.

L’acte de bravoure de Louis Martineau
Dans sa lettre, Rolande explique que les deux jeunes de 16 ans qui travaillaient à la ferme, Louis Martineau et Jean Mauguin, échappèrent aux allemands en sautant par la fenêtre. Ils réussirent à échapper aux balles en courant à travers les vignes situées derrière la ferme et se réfugièrent dans la forêt.
L’action remarquable de Louis Martineau fut de sauter sur un vélo trouvé à l’extrémité d’un rang de vigne et d’aller prévenir la population de Mont-près-Chambord qui était en train de décorer leur village avec des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « Mont libéré ! ». Il parcourut le bourg pour prévenir la population de retirer toutes les pancartes et de se cacher en criant : « Les boches tuent tout le monde ! ». Lorsque la colonne allemande traversa le bourg, il était désert... De ce fait, il n’y eut pas d’autres victimes.
Louis rentra à travers champs et par la forêt pour retrouver son copain Jean Mauguin. Il découvrit alors l’ampleur de la tragédie qui avait eu lieu un peu plus tôt...

Propos recueillis par Pierrette Cazin

La Grenouille n°67 - Avril 2025

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