Eugénie, née le 6 juillet 1874, avait reçu une belle instruction dans une famille courageuse et âpre au gain. Son ambition et sa rigueur au travail la prédisposaient à réussir sa vie. Sa vie de femme, elle la commença avec son mari François Chéry comme fermière à La Borde jusqu’en 1914. Elle avait alors 40 ans. Il est remarquable que ce couple, en 24 ans (Eugénie est décédée en 1938) a, à force de travail, pu acheter quatre fermes autour de La Borde. La première, La Champinière en 1907 ; ensuite La petite Champinière (les bâtiments ont aujourd’hui disparu), puis La Closerie du Pont, et La Guillonnière, sur la route de Tour-en-Sologne. À cela s’ajoute la maison familiale à Cheverny (La Petite Bourdonnière), avec ses vignes et ses champs de céréales.
Merci à Hélène Bidault-Rutard, qui nous fait profiter des fruits de
ses recherches afin de porter à la connaissance des lecteurs de La Grenouille
l’histoire des familles Gendrier- Chéry, ses ancêtres, qui se sont implantés de
longue date sur les communes de Cheverny et de Cour-Cheverny.
Merci à Pierrette Cazin et à Alain Chéry pour leurs témoignages.
(1) Furet : Sorte de fumigateur à poudre à usage manuel, employé
autrefois par les vignerons pour chasser des vignes les insectes volants et
rampants.
(2) Pyrèthre : L’extrait de pyrèthre végétal, plante herbacée apparentée
au chrysanthème, agit par contact avec un effet choc contre les insectes
volants et rampants.
Le matin du 21 août 1944, un convoi allemand venant de Cour- Cheverny se dirige vers Blois. En traversant la forêt, il est attaqué par un groupe de maquisards, très inférieur en nombre, qui se retire rapidement. La colonne allemande contourne alors la forêt et se dirige vers Mont-près-Chambord. Elle incendie des maisons et massacre les habitants. Puis la colonne se dirige vers Huisseau, Chambord, La-Ferté-Saint-Cyr. On déplorera 31 victimes pour cette seule journée.
Le docteur Jean Grateau était à l’époque jeune médecin établi à Cour-Cheverny. Il était venu procéder à un accouchement à Montprès- Chambord. Au retour, sur son vélo, il croisa un groupe de FFI à proximité du lieudit « Le Plein », fermes de la famille Martineau-Chéry. Les FFI se mettaient en position pour attendre la colonne d’Allemands qui se dirigeait vers le bourg. Le docteur les mit en garde en vain sur le fait que les Allemands étaient beaucoup mieux armés, plus nombreux, et prêts à des représailles sur la population en cas d’attaque. La suite fut dramatique... Peut-être rien n’aurait-il changé en renonçant à l’attaque car on ignorait les intentions des Allemands.
Propos recueillis par Pierrette Cazin
Témoignage de Rolande Chéry
Lundi 21 août 1944. Début de matinée, très humide, coup de feu vers
9 heures. Nous sortons dehors et nous apercevons une rangée de militaires
allemands fusils braqués tout le long du fil utilisé par le cordier du village.
Nous sommes rentrés et nous avons entendu des coups de feu toute la matinée.
À notre porte, il y avait des pommiers et divers matériels
agricoles, les Allemands avaient installé là une cuisine, la Croix Rouge et une
petite mitrailleuse et un autre engin de ce genre. C’était l’heure du repas et
un officier allemand est entré chez nous révolver au poing pour demander du
poivre que nous n’avions pas, il a tiré deux coups de feu dans la cuisine où
nous étions tous, ma mère, mon petit frère de six ans, une petite fille de 13
ans venue chercher du lait, et moi-même.
Une balle s’est logée dans la patte de la table, l’autre a atteint
le chien. Heureusement les deux hommes présents, Louis Martineau et Jean
Mauguin, 16 ans, qui travaillaient chez nous, ont sauté par une fenêtre et ont
couru (très vite) à travers les balles vers la forêt. Par chance personne n’a
été blessé.
Après avoir cru entendre leur départ, nous sommes sortis prudemment et
avons aperçu ma tante (madame Amiot) les bras au ciel. Ils ont tué Raymond et
Daniel (ses deux fils) et mis le feu avec une bombe incendiaire a un de ses
bâtiments et à celui de leur voisine ; tout fut perdu. Une autre voisine
(madame Morin) est là. Passe Pierre Daridan auquel elle apprend que les
Allemands ont tué ses deux frères (Roland et Maurice) et sa mère. Le pauvre
repart en titubant, mais il n’a pas le temps d’aller bien loin, il rencontre
George Morin, et là, face aux Allemands, on devine la suite ...
Je le revoie et l’entend toujours; ils furent tués tous les deux
dans les minutes suivantes, je ne l’ai pas vu, mais entendu deux coups secs qui
restent à jamais gravés dans mes oreilles. Après un moment, je suis sortie dans
la cour et à la vue des deux corps allongés, j’ai fait demi-tour.
Le lendemain, très pénible, Louis Mauguin est venu, très mal en point
ayant perdu sa femme, ses trois enfants et un ami, monsieur Mérillon. C’était
très pénible, tout le monde était très compatissant à ces drames et
impuissant...
Le jour des obsèques, je gardais mon petit frère et ma cousine de cinq
ans dont le père Raymond Amiot et l’oncle avaient été tués, avec une grande
angoisse car la peur était là, surtout celle de voir revenir les soldats ...
Je suis la seule survivante capable de me souvenir de ces maudits moments
et ces tristes souvenirs restent gravés dans ma mémoire comme pour tous ceux
qui les ont vécus.
Ce témoignage fut donné à Pierrette Cazin peu avant le décès de
Rolande Chéry. C’est à force de pugnacité qu’elle l’obtint car les événements
dramatiques relatés eurent lieu dans la maison natale de Pierrette.
L’acte de bravoure de Louis Martineau
Dans sa lettre, Rolande explique que les deux jeunes de 16 ans qui travaillaient
à la ferme, Louis Martineau et Jean Mauguin, échappèrent aux allemands en
sautant par la fenêtre. Ils réussirent à échapper aux balles en courant à
travers les vignes situées derrière la ferme et se réfugièrent dans la forêt.
L’action remarquable de Louis Martineau fut de sauter sur un vélo
trouvé à l’extrémité d’un rang de vigne et d’aller prévenir la population de Mont-près-Chambord
qui était en train de décorer leur village avec des pancartes sur lesquelles on
pouvait lire : « Mont libéré ! ». Il parcourut le bourg pour prévenir la
population de retirer toutes les pancartes et de se cacher en criant : « Les
boches tuent tout le monde ! ». Lorsque la colonne allemande traversa le
bourg, il était désert... De ce fait, il n’y eut pas d’autres victimes.
Louis rentra à travers champs et par la forêt pour retrouver son copain
Jean Mauguin. Il découvrit alors l’ampleur de la tragédie qui avait eu lieu un
peu plus tôt...
Propos recueillis par Pierrette Cazin
La Grenouille n°67 - Avril 2025
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