Le manoir de Chantreuil

L’histoire du manoir de Chantreuil est intimement liée à celle du domaine de Cheverny et des familles Vibraye.
C’est l’épouse du Marquis Philippe de Vibraye, Jeanne Ida Pruvost de Sauty, qui en fit l’acquisition. Notre recherche commence à partir des enfants de Raoul de Vibraye (1861-1951), marié à Antoinette de Coudecoste (1871- 1959). De cette union naîtront quatre enfants : Simone, Philippe, Tony, et Aline.Les témoignages que nous avons recueillis émanent de Hélène de Sigalas, fille de Tony de Vibraye (1893-1992), d’Antoine de Compiègne, fils de Ghyslaine de Dreux Brézé (1927-2021) et d’Arnault de Compiègne (1929-2021).

Le manoir de Chantreuil à Cour-Cheverny
Les occupants de Chantreuil
Le domaine de Chantreuil avait une superficie d’environ 50 hectares. Raoul de Vibraye vint y habiter vers 1922, lorsqu’il transmit le domaine de Cheverny à son fils Philippe, alors comte de Vibraye. Philippe ne devint Marquis qu’à la mort de son père Raoul en 1951. Chantreuil fut ensuite habité, après le décès de Raoul de Vibraye, par la famille Lancesseur, industriel à Romorantin, qui loua le château et une partie du domaine de Cheverny, pour pratiquer la chasse (à tir) à La Rousselière, de 1962 à 1968. À partir de 1968, Chantreuil fut loué à M. Bellemain, préfet d’Arras. La famille Compiègne acheta Chantreuil en 1981 à Jeanne Ida de Sauty, l’épouse de Philippe de Vibraye. La famille Compiègne venait déjà régulièrement à Cour-Cheverny, depuis 1959, passer ses week-ends et ses vacances dans la ferme de Poussard.
Après la guerre, les communs ont été habités par la famille de Jules Rigny, qui était proche de la famille Vibraye établie à Bazoches (dans la Nièvre), et au service de Tony, le père d’Hélène. Charles Rigny naîtra à Chantreuil.

Quelques aménagements notables
Le majestueux cèdre du Liban, devant le château, a été planté par Tony de Vibraye. La partie gauche du château (appelée le den (1)), a été aménagée avec bureau, chambre et salle de bain par Raoul de Vibraye. La grande verrière devant le château a été démontée par Arnaud de Compiègne.

Le manoir de Chantreuil à Cour-Cheverny
Souvenirs d’enfance d’Hélène de Sigalas
Dès que l’on parle de Chantreuil à Hélène de Sigalas, son visage s’illumine en se remémorant ses années d’enfance heureuses au château de Chantreuil : « Ce sont les plus beaux souvenirs de mes vacances de petite fille avec mon frère Roland ». Hélène avait pourtant le choix entre les montagnes suisses, dans sa famille maternelle, ou les bords de mer. Mais son grand bonheur était de faire sa valise pour Chantreuil. Chantreuil, c’était la liberté de s’ébattre dans le parc et le potager, de sauter sur ce qu’elle appelait sa « Ferrari » (son vélo rouge) et de s’adonner à des jeux d’enfants avec son frère Roland. Et aussi de se balader à vélo entre Le Gué la Guette (domaine des Lemaignan), Les Tourelles, Le Breuil (famille La Salle), Troussay (famille Sainte Marie)...
Le manoir de Chantreuil à Cour-Cheverny
Hélène était un peu « garçon manqué », qui allait « arracher les patates », se faisait transporter dans un diable avec André et Charles Rigny, enfilait des feuilles de tabac pour les faire sécher... Mais le « grand frisson », c’était de savoir si le train qui passait au bout de la propriété allait dérailler quand on mettait une pièce de cinq francs sur les rails... Sans vraiment de surprise, la pièce était aplatie après le passage du train et élargie comme une soustasse à café... et le train n’avait pas déraillé... Hélène se souvient aussi du mal au coeur dans la Hotchkiss (2) de sa grand-mère Antoinette, conduite par Jules Rigny, en se rendant à Bazoches.
Les habitants de Cheverny et de Cour-Cheverny ont pu croiser Hélène de Sigalas, amoureuse des arbres et de la nature, marchant de bon matin dans la campagne, le pas alerte...

La famille Lancesseur à Chantreuil de 1962 à 1968
Le manoir de Chantreuil à Cour-Cheverny
Bernard Lancesseur avait implanté son usine dans le Romorantinais et installé sa famille (en location) au château de Chantreuil. Il eut deux filles, Martine et Alix, les aînées, puis deux fils, Bruno et Olivier. À leur arrivée à Cour-Cheverny, Bruno et Olivier ont 10 et 11 ans. Le parc, le potager, la rivière, la petite tour de guet (détruite depuis), sont des terrains de jeux fantastiques ! Olivier et Bruno occupaient la chambre à gauche quand on regarde la façade du château. Ils élevaient des couleuvres et des orvets dans la serre. Le jour où les reptiles se sont échappés, Bruno a hurlé de frayeur, suspendu à une branche du cèdre... Olivier se souvient des 400 mètres de l’allée centrale qui menait à la grille de sortie, aujourd’hui située près du rond-point à proximité du Centre de secours. Il parcourait l’allée avec son sac d’écolier à l’épaule et rencontrait parfois la femme du docteur Benoistel qui conduisait ses enfants à l’école toute proche du cabinet de son mari.
Le manoir de Chantreuil à Cour-Cheverny
Dans le contrat de location du manoir de Chantreuil, Bruno se souvient qu’il était stipulé de ne pas retirer le papier peint rouge à fleurs de la chambre de la marquise (toujours en place à l’époque d’Arnaud de Compiègne). Le chien de la famille Rigny répondait au nom de Peugeot, marque de la voiture qui avait dû conduire à Cour-Cheverny depuis Bazoches.

Chantreuil pendant l’occupation allemande
Fin 1941 / début 1942, l’armée allemande occupe la France. « La Wehrmacht » a, entre autres choses, pour mission de gérer la « Commission de la protection du patrimoine », centralisée avenue Kléber, à Paris, afin de protéger les biens culturels de notre pays.
On peut s’étonner, à première vue, que l’armée allemande, avec Heinrich von Stülpnagel, commandant des troupes allemandes en France, ait pu organiser, avec les musées nationaux, l’évacuation des œuvres d’art afin de les préserver du conflit.
Il y avait deux courants dans l’armée allemande :
- les S.S. qui semaient la terreur : les Nazis proches d’Hitler tels Joseph Goebbels, Hermann Göring, Heinrich Himmler... qui avaient bien l’intention de récupérer un maximum d’oeuvres et de biens à la barbe des autorités françaises. Hitler et Göring avaient décrété que les juifs ne devaient pas être pris en compte dans la population française. En les spoliant, ils ne s’en prenaient donc pas aux biens des Français... Rappelons que Göring était un grand amateur d’art et sa femme directrice d’un théâtre ;
- un courant dit « civilisé », avec des officiers de la Wehrmacht qui étaient déjà, en Allemagne, avant la guerre, des personnes proches du milieu des Arts et de la Culture. Ce sont donc ces éléments de l’armée d’occupation qui vont, avec l’aide des conservateurs du musée du Louvre et d’ailleurs, protéger des oeuvres majeures pour s’opposer aux probables pillages des Nazis.
Beaucoup de familles juives ont été victimes de l’oppression, et de nombreuses oeuvres d’art se sont retrouvées en deshérence chez les antiquaires et autres marchands d’art. Certaines ont été confiées à la tutelle des musées.

Le manoir de Chantreuil à Cour-Cheverny
Il est étonnant que les châteaux réquisitionnés pour soustraire les oeuvres des musées à la cupidité ambiante de certains n’aient pas été occupés par l’armée allemande mais par des conservateurs français. Il en est ainsi de Chambord, de Cheverny, de Chaumont et de Chantreuil, parmi d’autres, qui avaient placardé sur les portes d’entrées des domaines concernés l’affiche d’une ordonnance officielle en langue allemande, signée du chef des troupes d’occupation, von Stülpnagel.
On peut penser que des hommes de culture ont eu à coeur, dans les deux camps, de dépasser les passions de la guerre pour préserver un patrimoine universel, malgré les risques...

Début 1942, les musées nationaux et la Kommandantur blésoise s’organisent
En mars 1942, Philippe de Vibraye, comte de Cheverny, habite le château de Cheverny depuis vingt ans et son père Raoul, Marquis de Vibraye habite, comme il le dit, « la modeste demeure de Chantreuil ».
Des négociations se mettent en place entre la préfecture de Blois, Jacques Guérin (3), et Philippe de Vibraye afin de vérifier si le manoir de Chantreuil est apte à recevoir des oeuvres d’art, des archives, et à accueillir un conservateur sur place. Il semble que c’est Paul Robert Houdin qui soit venu visiter Chantreuil et qui ait donné son aval pour l’opération. Nous reproduisons ci-dessous le courrier de Raoul de Vibraye qui se dit heureux de cette validation.

Le manoir de Chantreuil à Cour-Cheverny
Les châteaux de Cheverny et de Chantreuil reçurent donc un « Bon de réquisition »
Ce sont les préfets Bussière, en 1942, et Aucourt, en 1944, qui payaient les salaires des conservateurs et les locations. Hans Haug, conservateur des oeuvres entreposées à Cheverny aura aussi la tâche de trouver et de former un chef de dépôt pour Chantreuil. Il plaça le fils d’un de ses amis, le jeune Lionel de Warren, issu d’une famille de Saint-Gervais-la- Forêt. Ce garçon, qui était pressenti pour partir au S.T.O.(4), comme tous les jeunes de son âge, a bénéficié d’une dérogation des services de l’armée allemande pour occuper le poste de chef de dépôt à Chantreuil.
En 1943, l’armée allemande essuie de nombreux revers à Stalingrad et en Afrique du Nord. La Résistance s’organise sur le territoire français et les officiers allemands en charge des caisses d’archives scellées à Chantreuil craignent qu’elles ne servent de cachettes pour les armes des résistants. Des consignes strictes furent données à Lionel de Warren en insistant sur sa responsabilité en cas de trahison. Il n’y eut aucun incident.
Concernant l’organisation de la logistique des oeuvres entreposées localement, nous devons beaucoup au directeur des archives départementales Jean Martin-Demézil et à son collègue Frédéric Lesueur.
Chambord faisait office de « plaque tournante » qui répartissait les oeuvres sur les différents sites sélectionnés. Chantreuil remplira ce rôle jusqu’en août 1944. Fernand de Berthier était chef adjoint des musées nationaux. Il devint ensuite le régisseur du château de Cheverny.

Merci à Rainer Pohl, professeur d’histoire (franco- allemand) établi à Blois depuis longtemps et qui, par ses recherches (Archives nationales, départementales et municipales), nous a fourni une documentation exceptionnelle sur l’histoire de Chantreuil entre 1942 et 1944 (5).

P. D.

Le manoir de Chantreuil à Cour-Cheverny

(1) Den : tanière, repaire.
(2) Hotchkiss : Voiture de luxe fabriquée à Saint-Denis, près de Paris, entre 1936 et 1970.
(3) Jacques Guérin était conservateur en chef du musée des Arts décoratifs de Paris. Voir le livre « Les grandes heures de Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher... et nos petites histoires ». Page 288 : « Clair de lune au château de Cheverny ». Éditions Oxygène Cheverny - Nov 2018.
(4) S.T.O. Service du travail obligatoire. (5) Rappelons également que le manoir de Chantreuil a abrité un hôpital militaire pendant la première Guerre mondiale (Voir le livre « Les grandes heures de Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher... et nos petites histoires ». Page 277 : « L’hôpital militaire du château de Chantreuil ». Éditions Oxygène Cheverny - Nov 2018.

La Grenouille n°66 - janvier 2025

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