Plusieurs
châteaux situés sur nos deux communes comportent des chapelles privées qui ont
été construites, par leurs propriétaires de l’époque, au XIXe s.
Certaines peuvent être visitées et, notamment, celle du château du Breuil qui a
été récemment restaurée par ses propriétaires, ainsi que celle de Troussay dans
le cadre de la visite du château.
L'oratoire du château de Troussay (photo Christophe Apatie) |
Il est possible de consulter aux archives diocésaines de Blois
les courriers échangés au XIXe s. et au début du XXe s.
entre l’évêque de Blois, certains propriétaires de châteaux et les curés des
paroisses de Cheverny et Cour- Cheverny. Ces correspondances concernent, soit
l’autorisation de construire une chapelle et ensuite d’y faire dire la messe,
soit de faire dire la messe dans l’oratoire existant. Elles concernent
également la polémique qui est survenue à l’époque entre les curés des
paroisses et les châtelains.
La chapelle du château du Breuil |
Les autorisations étaient limitées et soumises à
des règles strictes
Les trois châteaux concernés sur la paroisse de
Cheverny sont ceux de Soucinia (ou Soucy n’y a), du Breuil et de
Troussay.
Les archives nous révèlent que les autorisations, étant accordées à
titre personnel et pour une durée limitée, devaient être renouvelées à
l’expiration du délai ou en cas de changement de propriétaire. C’est ainsi que pour
l’oratoire du château de Soucinia, la propriétaire de l’époque a fait une
demande de renouvellement de l’autorisation accordée aux précédents
propriétaires pour célébrer la messe dans la chapelle du château (concession accordée
en date du 26 octobre 1878).
Autre exemple : le propriétaire du château du Breuil
demande à l’évêque, en 1871, pour lui même et sa famille, l’autorisation de «
faire célébrer le Saint sacrifice de la messe » dans l’oratoire privé de
son château. C’est par une indult (2 ) en
date du 28 juillet 1871 que le Pape Pie IX, conformément au droit canon,
accorde la faculté de faire célébrer une seule messe par jour, excepté les
fêtes de Noël, Pâques, l’Assomption et du Patron [principal du lieu], de leurs
parents et alliés habitant avec eux, de leurs hôtes et domestiques ainsi que de
leurs fermiers et de recevoir la Sainte communion à ladite messe. L’évêque accorde
alors la concession au bas de l’indult.
À Cour-Cheverny, ce sont les châteaux
de la Borde, de Sérigny, de Beaumont et de Pontchardon qui possédaient une
chapelle.
La chapelle du château de La Borde a été transformée au XXe s. en
bibliothèque à l’usage des résidents et l’ancienne chapelle du château de
Pontchardon a été transférée du bâtiment principal dans les communs où se trouve
maintenant la nouvelle chapelle Notre- Dame-de-Compassion. C’est la seule
chapelle où la messe est encore célébrée régulièrement de nos jours, en semaine
et le dimanche, par les moines du couvent Saint-Bonaventure qui occupent le
domaine.
Au XIXe s., certains propriétaires de châteaux ne manquaient pas d’arguments
pour convaincre les autorités ecclésiastiques de construire ou de consacrer une
chapelle. C’est ainsi que Monsieur Bégé, propriétaire du château de La Borde,
écrivait le 8 septembre 1871 à l’évêque de Blois :
« La distance où nous
sommes de l’église est de 3 380 m. La santé de madame Bégé est très mauvaise :
aussi lui arrive-t-il souvent de ne pouvoir supporter la voiture et de manquer la
messe. Il arrive aussi que la difficulté de faire conduire les enfants à une
pareille distance fait manquer la messe à plusieurs des serviteurs de la
maison. Nous sommes assez nombreux à La Borde, environ 22 maîtres et domestiques.
Si votre grandeur m’accorde l’autorisation que je sollicite, la chapelle sera
assez grande pour contenir trente six personnes... ».
La demande faite le 8
septembre 1871 reçut une réponse favorable comme l’atteste la lettre adressée
le 16 septembre 1871 par l’évêque au curé de Cour-Cheverrny en le chargeant d’en
informer Monsieur Bégé.
C’est dans un courrier du 23 août 1872 que le curé de
la paroisse de Cour-Cheverny informe l’évêque de la fin de la construction de
la chapelle : « ...qui n’attend plus que la bénédiction nécessaire pour que
les Saints mystères puissent y être célébrés tous les jours de la semaine et le
dimanche par l’ecclésiastique chargé d’instruire les enfants de la maison... » (bénédiction
de la chapelle le 28 août). Par ailleurs le curé poursuit dans son courrier : «...
plus tard on demandera très probablement à votre grandeur l’autorisation
d’offrir dans cette chapelle le Saint sacrifice les jours des grandes fêtes. Je
regretterais vivement Monseigneur que cette autorisation fut accordée. Je le
regretterais pour plusieurs graves raisons qu’il serait trop long de détailler
ici mais que je pourrais vous donner dans la suite, de vive voix ou par écrit,
si vous le désirez.. »
Signé Guillon, curé de Cour-Cheverny.
Quelles
étaient donc ces graves raisons invoquées par le curé de Cour-Cheverny ? La réponse
se trouve dans un courrier du curé de Cheverny à l’evêque en 1904.
De fait, la
demande d’extension des jours où la messe pourrait être célébrée dans la
chapelle sera formulée par monsieur Bégé dans un courrier de quatre pages
adressé à l’évêque de Blois le 18 décembre 1879 :
« La chapelle de La Borde
a été construite en 1871… La messe y a été célébrée sans interruption tous les
dimanches... et même tous les jours jusqu’au 1er juin
1878 par le précepteur de mes enfants… Depuis lors, Monsieur le curé de Tour en
Sologne a bien voulu nous prêter son ministère… c’est vous dire, Monseigneur, que
des habitudes sont prises dans la maison et dans le voisinage et que
l’assistance est toujours le dimanche de 25 à 30 personnes (il y a 40 places).
La chapelle du château du Breuil |
Dans cette lettre, outre les arguments déjà évoqués
dans la lettre sollicitant la construction de la chapelle, monsieur Bégé ajoute
:
«… Enfin il y a la ferme aux personnels nombreux que les soins à donner
aux bestiaux éloignent toujours de la messe de huit heures et que la nécessité
de garder la ferme retient en partie à l’heure de la grand messe, mais qui
vient habituellement à la messe de neuf heures parce que cette heure est
commode et que la chapelle est proche… C’est au nom de tous fidèles que j’élève
la voix jusqu’à vous Monseigneur et en vous priant de leur faciliter les moyens
d’entendre la messe aux jours réservés jusqu’à présent… ».
Les
inquiétudes
Comme le laisse supposer le courrier du curé de Cour-Cheverny
du 23 août 1872, susciter la fréquentation des chapelles des châteaux n’a pas
manqué de poser des problèmes aux curés des paroisses concernées car, de fait,
les églises paroissiales se trouvèrent désertées par les fidèles au profit des
chapelles privées.
Le courrier adressé par le curé de Cheverny à l’évêque de
Blois le 3 octobre 1904 confirme ce manque de fréquentation et son inquiétude: «....Monseigneur,
dans les brefs (3) qui autorisent les messes dans les chapelles privées il
y a ces mots : « hospitibur et familis, nec non accolir et agricolir. » Par
accolir (4) il y a
des personnes qui comprennent les voisins de un, deux kilomètres et même plus.
Nous avons à Cheverny trois de ces chapelles, si chacune d’elle peut rayonner
ainsi, l’église paroissiale ne sera bientôt plus nécessaire.
Nous serions
reconnaissant à votre grandeur, Monseigneur de bien vouloir nous dire ce qu’il faut
comprendre surtout par accolir et agricolir, à quelle distance s’étend le
privilège que chacun tend à élargir à sa guise. La chapelle privée n’exempte
pas les maisons qui en ont le privilège du devoir de se faire toujours
représenter à la messe paroissiale. Excepté les de Vibraye, personne n’y
pense...Si Monseigneur daigne me répondre, je lui serais également très
reconnaissant de vouloir bien joindre un avis rappelant ce devoir...
J. Barbier
curé de Cheverny ».
Voilà l’histoire des querelles de chapelles de nos villages qui n’ont plus lieu d’être de nos jours mais qui reflètent une autre manière de vivre et un autre rapport à la religion dans le quotidien, il y a un peu plus d’un siècle. Le Héron
Note :
Lorsqu’il n’y avait pas d’ecclésiastique
(précepteur des enfants) attaché à leur maison, les châtelains faisaient appel
aux curés des paroisses environnantes. C’est ainsi que le curé de
Fougères-sur-Bièvre venait dire la messe au Breuil et celui de Tour-en-Sologne
à La Borde. Dans un courrier adressé à son évêque, le curé de Cheverny se plaint
de cette situation à propos de l’intervention du curé de Fougères qu’il estime
« anormale ».
(1) - Canon 1228 : la permission de l’Ordinaire du lieu est requise pour
célébrer la messe et accomplir les autres fonctions sacrées dans une chapelle
privée. - Canon 1229 : Il convient que les oratoires et les chapelles privées
soient bénis selon le rite prescrit dans les livres liturgiques. Ils doivent
cependant être réservés uniquement au culte divin et libres de tout usage
domestique
(2) l’indult : (en latin : indultum) en droit canonique, est une dérogation à
la loi (ou privilège) accordée par le pape ou le Saint- Siège, qui dispense du
droit commun de l’Église catholique, soit à une communauté de fidèles, soit à
un particulier.
(3) Bref : En droit canonique il s’agit d’une lettre
émanant du pape ou de la Pénitencerie, plus courte que la bulle et rédigée sans
préambule.
(4) Accolir : accueillir. Sources : Archives diocésaines de Blois et TLFi
(Trésor de la langue française informatique).
Le Héron - La Grenouille n°36 - Juillet 2017hapelle
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