Peinture à Cheverny

En visitant le château de Cheverny, on est toujours admiratif devant la qualité des décors et notamment des peintures, dans un état remarquable… Damien, Chevernois, nous a transmis le témoignage de son grand-père, qui lui a évoqué le souvenir de son métier de peintre oeuvrant autrefois au Château de Cheverny, artisan de cette qualité qui ne date pas d’hier…


D’abord au château de Ménars…
Guy Bleau est né en 1931 dans le hameau de Fleury sur la commune de Suèvres, d’un père cantonnier et cultivateur, et d’une mère qui tenait un café. En 1945, Guy, alors âgé de 14 ans, travaille en apprentissage comme peintre en bâtiment chez M. Gagnepain à Ménars, ami de ses parents.
La première année, il intervient comme peintre-vitrier au château de Ménars alors propriété de Saint-Gobain. Durant les années précédentes, les Allemands avaient repeint une bonne partie des pièces en gris et les plafonds en blanc, et brisé une multitude de carreaux aux fenêtres.
Perché à plusieurs mètres de hauteur sur son échelle double, assis en équilibre sur les barreaux, Guy retirera difficilement la peinture appliquée par les Allemands, avant de pouvoir étendre une nouvelle peinture. Il restaurera également les fenêtres ainsi que les parois d’une serre, allant chercher les verres à l’aide d’un diable à la gare de Ménars, en provenance des usines Saint-Gobain. Et Guy se souvient que c’est sur ce chantier qu’il en a le plus bavé.

Peinture à Cheverny - Guy Bleau

…puis au château de Cheverny

Suite à une altercation avec son patron qui l’avait injustement sanctionné, Guy quitte l’entreprise un vendredi soir, avec quelques difficultés pour récupérer ce qui lui était dû, et est embauché dès le lundi chez Robert Janvier, peintre à Blois. M. et Mme Janvier habitaient rue Chambourdin, dans une maison où était entreposé tout le matériel de l’entreprise, et où était installé le salon de coiffure de Madame.
Vers 1948, l’entreprise se voit confier la réalisation des travaux de peinture au château de Cheverny. Guy, âgé de 17 ans, est alors amené à y travailler, et y restera environ 3 ans, jusqu’à ses 20 ans. Outre Guy, l’équipe était constituée de Robert Janvier, Armel, originaire d’Onzain, réputé pour arriver en blanc le lundi matin et repartir le samedi soir sans une seule goutte de peinture sur lui, « un bon peintre qui travaillait bien mais qui n’aimait pas se salir », Gilbert, célibataire et père d’une fille trisomique qu’il élevait seul, Jojo, un gars spécial d’après Guy (« il ne mangeait pas de viande, il faisait du vélo et de la marche à pied en compétition »), du beau-frère de Jojo, puis quelques temps après de Michel, fils du patron. Deux staffeurs venus de Paris étaient parfois employés ; ils arrivaient le lundi, dormaient à Cour-Cheverny aux Trois Marchands et repartaient le samedi.

Peinture à Cheverny - Guy Bleau

Guy réalisera de nombreux travaux de peinture à l’intérieur du château, sur des murs, des boiseries, des plinthes. Il réparera également, avec son patron, des tables, des chaises et des fauteuils.

Tous deux allaient aussi repeindre de grands panneaux en bois indiquant « Visitez le château de Cheverny », qu’on pouvait voir sur les murs et sur les routes de tout le département. Certains, abimés par le soleil, nécessitaient une restauration complète, d’autres, en tôle galvanisée, avaient besoin d’un simple nettoyage à l’eau.


Souvenirs du travail au château
Le marquis de Vibraye les avait autorisés à s’installer dans un des box de la partie droite des écuries qui ne recevait plus de chevaux. Un jour d’hiver, Guy et ses collègues déjeunaient sur une table installée au fond de l’ancien box converti en atelier. Le marquis, entendant des voix, fait irruption dans l’atelier : « C’est ici que vous mangez ? Vous avez froid ! Je m’occupe de vous ». Il revient une trentaine de minutes plus tard et leur dit « À partir de maintenant vous demanderez au concierge, il vous expliquera, vous irez manger là-bas et il vous fera du feu le midi ». Après que le gardien eut remis en état la pièce présente sur la partie gauche des écuries, elle devint leur pièce de vie et ils purent ainsi manger au chaud.
Un jour de pluie, Robert Janvier s’adresse à ses ouvriers : « Vous voyez le temps qu’il fait, vous savez ce qu’il faut que l’on fasse... ». Ils durent repeindre toutes les sous-faces en bois du bâtiment des écuries, dépassant de 40 cm environ et s’étalant sur plus de 500 m de long…. Ils y apposèrent trois couches de couleur brun Van Dick (rouge sang foncé) et le travail devait être terminé en une semaine, avant une date précise. Pendant tout ce temps, il tombait de l’eau à ne plus jamais s’arrêter. Le patron leur avait acheté un semblant de veste imperméable qui ne leur servit pas à grand-chose car les toits n’ayant pas de gouttières, l’eau dévalait la toiture et se jetait sur eux ; ils en prenaient plein la figure et les bras, tandis qu’ils peignaient les dessous de toits qui eux étaient au sec…

Peinture à Cheverny - Guy Bleau

Toujours bien traités Très souvent, à la suite d’une partie de chasse à courre ou d’une vidange d’étang, le marquis venait retrouver Guy pour lui dire : « Monsieur le Peintre ! Vous passerez voir le concierge avant de partir ». Ce à quoi Guy répondait « Oui, oui, c’est d’accord Monsieur le Marquis ». Cela indiquait qu’il leur avait mis de côté un demi-sac de viande (biche ou cerf) ou de poisson, coupé et vidé. Et Guy de préciser : « Si tu étais là, tu étais sûr de partir le soir avec quelque chose ».


Le village à une autre époque…
Au niveau de l’actuelle billetterie, se trouvait le logement du concierge qui avait été repeint, tandis qu’à côté, le bâtiment donnant sur la route était, d’après Guy, une ancienne écurie avec un grand bazar. Elle fut refaite à neuf par des ouvriers maçons et charpentiers, avant que vienne le tour des peintres qui y restèrent un bon moment, car la peinture fut refaite dans un style ancien, afin d’y accueillir un snack-bar qui est devenu de nos jours le restaurant « Le Grand Chancelier ».
De l’autre côté de la route, se trouvait aussi un café-restaurant (aujourd’hui « Le Pinocchio ») ; il était ouvert le midi pour les ouvriers et tenu par une femme prénommée Marie et sa fille. Si la mère de Guy n’avait pas eu le temps de lui préparer à manger, il passait au café-restaurant le matin et demandait à Marie de lui préparer quelque chose pour le midi. Il mangeait avec elles et non dans la salle avec les autres ouvriers.
Guy a eu connaissance de la présence d’abris en bois recouverts de toits en tôle ou en ardoises sur le parking du château, où était amené le bois du parc afin de le transformer en charbon pour les gazogènes ; cela servait de carburant alternatif pour les véhicules car l’essence se faisait rare durant la guerre. Après-guerre, une fois qu’il y eut assez d’essence, les installations furent démolies

Peinture à Cheverny - Guy Bleau


Le transport…

Un matin, le patron déposa Guy et Jojo à Cheverny, avant de prendre la route pour Orléans. Guy et Jojo travaillèrent toute la journée puis attendirent vainement leur patron de 18 h à 19 h pour le retour.

Ne le voyant pas arriver, ils prirent à pied le chemin de Blois ; après 15 minutes de marche, ils arrivent sur la place de l’église de Cour- Cheverny. Le patron des Trois Marchands, M. Bricault, chez qui ils mangeaient certains midis et pour qui ils ont travaillé longtemps dans les chambres et les salles de déjeuner, était un grand ami de leur patron. En les apercevant, il leur demande où ils allaient ainsi à pied et leur propose de les emmener, mais Jojo refuse. Et c’est ainsi que les deux sportifs arrivèrent à Blois après 3 h 30 de marche sur 15 km...

Lorsque Guy arrive chez son patron pour prendre son vélo et rentrer chez lui à Suèvres, celui-ci s’aperçoit qu’il a oublié d’aller les chercher et leur demande comment ils ont fait… Guy lui explique qu’ils sont revenus à pied… « M. Bricault a proposé de nous emmener, mais Jojo a refusé ! ». « Ça ne m’étonne pas de celui-là » lui répondit Robert Janvier.

Le lendemain matin, Guy arrive au travail et son patron lui dit : « J’emmène les gars à Cheverny et je reviens, tu m’attends ». Lorsqu’il revient, il s’adresse à Guy : « Monte dans la bagnole, on s’en va chez le marchand de vin ». Situé au 8 rue de la Garenne, Marcel Berruet est un ami de son patron et quand ils arrivent, seul sa femme est présente. Janvier lui dit : « On vient pour ma bagnole ». Elle les emmène dans une grange, là où se trouve dans le fond l’automobile de Robert Janvier, une belle Hotchkiss noire, rangée là car elle ne servait pas. Une fois sortie, nettoyée puis arrangée par un mécanicien, elle devint ainsi le moyen de transport des ouvriers pour se rendre à Cheverny sans encombre ! Un beau véhicule de service !


Les amis…

D’après Guy, une partie des salariés qui travaillaient dans le château étaient logés à côté du cimetière de Cour-Cheverny. Guy se souvient également des copains ouvriers maçons, menuisiers, etc., qu’il a pu côtoyer, et des frères Ducolombier, dont plusieurs travaillaient au château, et d’un plus jeune qui était peintre à Cour-Cheverny et qu’il retrouva quelques années plus tard dans son équipe à Blois.


L’ambiance était bonne…

Un jour au château, une guide en pleine visite explique : « C’est un tableau d’époque Louis XV ». Guy, qui travaillait à côté avec un collègue, ne put s’empêcher de murmurer « Menteuse, ce n’est pas vrai, il est du XV e », ne pensant pas être entendu ; après la visite, la guide vint à leur rencontre leur dire d’un ton amusé : « Vous savez que l’on entendait toutes vos âneries et que tous les visiteurs rigolaient, j’aurais pu louper ma visite ! ».

Un autre jour, une porte séparant deux pièces était ouverte, d’un côté Guy, de l’autre une guide qui conte à ses visiteurs : « C’est un fauteuil d’origine qui n’a jamais été réparé », et Guy de commenter : « Ça fait 15 jours que je l’ai réparé ». Car Guy et son patron ont tous deux oeuvré parfois à la restauration de certaines chaises et fauteuils en bois. Les chaises étaient peintes d’une couleur gris clair avec des filets de dorure, mais si elles étaient cassées ou abimées, c’était au menuisier de s’en charger.


Et les accidents…

Lors d’une période de froid, Guy accompagné de deux collègues travaillaient sur un pavillon en forêt de Cheverny qu’ils mettaient à neuf intérieurement et extérieurement, dans le but de pouvoir y accueillir un garde. Gilbert, ouvrier peintre, voyant du bois et des brindilles bien sèches dans le large four à pain de la demeure, décide d’y faire une petite flambée. D’après Guy : « Le four était tellement large que l’on aurait pu y faire cuire un chevreuil entier ».

Mais tout ne se déroula pas comme prévu, car le bois, bourré à bloc, très sec du fait de sa présence ici depuis 10 ou 15 ans, flamba très vite et provoqua un début d’incendie. Fort heureusement, un puits se trouvait à proximité, Guy y tira des seaux d’eau en vitesse pour les passer à Gilbert et Jojo, qui attaquèrent les flammes. C’est en venant les chercher le soir que leur patron, interrogé par la fumée qu’il aperçut au loin se dit qu’il y avait quelque chose d’anormal. À son arrivée, voyant la situation, il les aida avant de leur dire : « Si il était resté des armes et munitions cachées là pendant la guerre par des FFI [Résistants, nombreux à se cacher en forêt] tout aurait explosé ! ». Plus de peur que de mal !...


Autres emplois…

Quelques temps plus tard, son patron, ayant perdu un gros chantier, doit se séparer d’un ouvrier. Guy laisse sa place à son collègue Gilbert, indiquant qu’il est nécessaire pour lui de garder son emploi pour subvenir aux besoins de sa fille handicapée : « Si je m’en vais, demain matin, j’attaque ailleurs, y’a un patron qui m’attend ».

Après sa mobilisation en Algérie, Guy travaille quelques temps en région parisienne puis s’installe à Blois après son mariage. Il est embauché par la ville comme responsable d’une équipe technique. Il réalise une multitude de travaux dont des faux marbres à la mairie, des décors à la Halle-aux-grains, des faux-bois sur les portes des écoles, mais aussi les fleurs de lys de la grande salle des États généraux du château de Blois. Il réalisera plusieurs peintures artistiques dont certaines furent longtemps exposées à la mairie de Blois. Il a aussi refait la totalité de la peinture du château des Forges à Suèvres entre les années 70 et 80.


De beaux souvenirs

Guy, aujourd’hui âgé de 94 ans, est un puits de souvenirs et d’anecdotes en tout genre… C’était un grand sportif, footballeur et cycliste à Suèves avant de rejoindre l’AAJB (Association Amicale de la Jeunesse Blésoise). Il garde encore un très bon souvenir du Château de Cheverny, des bons moments passés, des bons copains ; il se souvient que lui et ses collègues étaient bien payés et n’avaient pas besoin de courir pour que le travail soit bien fait, et il nous décrit le marquis Philippe Hurault de Vibraye et son épouse comme des personnes « remarquables, gentilles, altruistes et très agréables ».


P. L.


La Grenouille n°68 - juillet 2025

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
C’est l’histoire d’une femme hors normes : par son caractère rude, autoritaire, l’oeil vif, se mettant souvent en colère en jurant avec des « noms d’oiseaux » ; ensuite par sa posture physique : grande et belle rousse, très élégante quand elle se parait de bijoux et apparaissait en manteau d’Astrakan lors des fêtes familiales.







Eugénie, née le 6 juillet 1874, avait reçu une belle instruction dans une famille courageuse et âpre au gain. Son ambition et sa rigueur au travail la prédisposaient à réussir sa vie. Sa vie de femme, elle la commença avec son mari François Chéry comme fermière à La Borde jusqu’en 1914. Elle avait alors 40 ans. Il est remarquable que ce couple, en 24 ans (Eugénie est décédée en 1938) a, à force de travail, pu acheter quatre fermes autour de La Borde. La première, La Champinière en 1907 ; ensuite La petite Champinière (les bâtiments ont aujourd’hui disparu), puis La Closerie du Pont, et La Guillonnière, sur la route de Tour-en-Sologne. À cela s’ajoute la maison familiale à Cheverny (La Petite Bourdonnière), avec ses vignes et ses champs de céréales.

Le quotidien
Le couple eut à lutter, en cette fin de XIXe siècle, contre le phylloxera et le mildiou. Il n’était pas rare de voir Eugénie traiter ses vignes cep par cep au sulfate de cuivre contre le mildiou les nuits de clair de lune, et au furet (1) rempli de poudre de pyrèthre (2) contre le phylloxera... Elle était pieds nus car les traitements rongeaient les chaussures. Fin 1900, elle reçut même une médaille en récompense de son acharnement pour avoir contribué à sauver les vignes des Huards et de La Bervinière qui s’étendaient jusqu’à La Bijourie.
Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Deux fois par semaine, Eugénie cuisait son pain vers quatre heures du matin, battait son beurre et plumait les poulets pour les vendre au « marché au beurre » qui se déroulait rue Basse à Blois chaque fin de semaine. Elle s’y rendait en carriole tirée par son cheval, « contre vents et marées » depuis Cour- Cheverny, après avoir traversé la forêt.
Un jour de décembre, elle dut conduire en urgence une bonne vers l’hôpital pour accoucher. Elle franchit l’octroi de l’entrée de la ville à toute vitesse, sans obtempérer, en injuriant copieusement le gardien qui constatait qu’elle roulait trop vite. Finalement, c’est Eugénie qui accoucha sa bonne dans la carriole, sous la neige, au milieu du pont de Blois.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Une femme très cultivée et raffinée
Eugénie et son mari élevèrent leurs quatre enfants dans le respect de la discipline et du travail. Elle aimait l’art et investissait sa « mitraille d’or » du marché en achetant des objets d’art, des bronzes, des porcelaines, des meubles et des tableaux...
Elle aimait aussi les belles voitures : elle fut certainement la première à acheter une Peugeot Torpédo et une 301 familiale. Toujours en avance sur son temps, elle fit installer le chauffage central à La Champinière en 1935.

Eugénie fut terrassée par une attaque cérébrale en 1938, à 64 ans. Elle n’eut pas le temps de communiquer à son époux et à ses enfants la cachette de son « bas de laine » : une peau d’anguille remplie de Louis d’or dissimulée dans un mur de La Champinière (?).

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
François Chéry, l’époux d’Eugénie
François, dit « Titi Chéry », était un mari jovial, doux et courageux. Il était né le 29 janvier 1870 à La Bervinière. Il avait 11 mois quand il perdit son père lors d’une épidémie de variole. François fut élevé parmi des demi frères et soeurs, sa mère s’étant remariée avec un certain François Cazin... Il faut bien constater que les couples de l’époque se formaient à une dizaine de kilomètres à la ronde. On apprend, en consultant les archives, que la famille de François habitait déjà La Champinière en 1706, tous vignerons tour à tour dans diverses closeries de Cour-Cheverny. L’opportunité voulut que François Chéry et son épouse Eugénie rachetèrent La Champinière en 1907. Ils eurent quatre enfants :

- Jeanne, qui habita La petite Bourdonnière (Cheverny) ;
- René, qui habita La Champinière ;
- Maurice, qui habita La Guillonnière ;
- Hélène, qui habita La closerie du Pont.
François Chéry accomplit ses obligations militaires dans le Blésois en 1914-1918.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Retour aux sources de la famille Chéry
La branche que nous allons suivre est celle de René Chéry (né en 1900), qui eut trois enfants : Renée Chéry Martineau, Rolande Chéry Gendrier , Raymond Chéry.
En 1942, René Chéry prit le risque de cacher dans sa ferme un jeune qui avait l’obligation de partir au STO (Service de travail obligatoire) en Allemagne. Il ne fut jamais dénoncé par la population comme « réfractaire ». Ce jeune s’appelait Raoul Martineau (père de Pierrette). René le garda comme ouvrier à la ferme. Raoul devint son gendre en épousant sa fille Renée à 21 ans. De mémoire de Pierrette, ce fut compliqué car Raoul n’avait pas de dot à offrir...
François Chéry fut terrassé en 1939 (un an après son épouse Eugénie) par une crise cardiaque dans un moment festif suite aux retrouvailles d’un copain de régiment. Il fut enterré à Cour-Cheverny, comme ses aïeux depuis cinq siècles.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Témoignage d’Alain Chéry
Le début de vie d’Alain Chéry, marqué par l’adversité, ressemble beaucoup à celui de son arrière -grand-père François. Tous deux perdirent leur père dans leur première jeunesse. Quand Alain, à l’âge de onze ans, se retrouve le dernier de la lignée Chéry, il prend conscience qu’il ne peut compter que sur lui. Il mettra très vite toute son énergie pour relever le challenge qui s’ouvre à lui. Il veut prouver à tous qu’il relèvera la tête et réussira comme ses parents et grands-parents à la sueur de son front en se levant tôt le matin.
Encore aujourd’hui, 50 ans après, Alain est toujours combatif et fier de s’en être sorti...
Dans l’action, il prit conscience très vite que seul, ce serait très difficile, et qu’il fallait jouer collectif pour limiter le coût des matériels. Ce fut son combat à partir de 1993, lorsqu’il créa la coopérative des utilisateurs de matériel agricole (CUMA) dont il fut le président pendant plus de trente ans. Cet engagement constitue véritablement un exploit, car rassembler des dizaines de viticulteurs pour se partager équitablement du matériel selon les besoins d’exploitations toutes différentes les unes des autres sur un temps aussi long, en dit beaucoup sur la pugnacité d’Alain. La CUMA commença avec une dizaine de cultivateurs pour terminer avec 45 exploitants.
Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Alain peut être fier, au moment de transmettre à son fils Baptiste, d’avoir doublé sa superficie viticole en ayant rénové les bâtiments et son outil de production. Dans la pièce de dégustation, vous pourrez voir la photo d’Eugénie et de François entourés des enfants, prise devant le perron de La Champinière, dans un arbre généalogique géant, ainsi que les plans de la propriété de La Guillonnière qu’il a acquis auprès de son grand oncle Maurice. Alain a entrepris de la restaurer, à l’orée de la retraite, en gardant en mémoire l’époque où son père organisait des veillées « greffage de vignes » avec Marcel Gendrier. Ils partageaient ensuite les plants qu’ils avaient préparés pour augmenter leurs surfaces d’exploitations.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
P. D.

Merci à Hélène Bidault-Rutard, qui nous fait profiter des fruits de ses recherches afin de porter à la connaissance des lecteurs de La Grenouille l’histoire des familles Gendrier- Chéry, ses ancêtres, qui se sont implantés de longue date sur les communes de Cheverny et de Cour-Cheverny.

Merci à Pierrette Cazin et à Alain Chéry pour leurs témoignages.

(1) Furet : Sorte de fumigateur à poudre à usage manuel, employé autrefois par les vignerons pour chasser des vignes les insectes volants et rampants.
(2) Pyrèthre : L’extrait de pyrèthre végétal, plante herbacée apparentée au chrysanthème, agit par contact avec un effet choc contre les insectes volants et rampants.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Les évènements tragiques du 21 août 1944

Le matin du 21 août 1944, un convoi allemand venant de Cour- Cheverny se dirige vers Blois. En traversant la forêt, il est attaqué par un groupe de maquisards, très inférieur en nombre, qui se retire rapidement. La colonne allemande contourne alors la forêt et se dirige vers Mont-près-Chambord. Elle incendie des maisons et massacre les habitants. Puis la colonne se dirige vers Huisseau, Chambord, La-Ferté-Saint-Cyr. On déplorera 31 victimes pour cette seule journée.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière


21 août 1944, entre Cour-Cheverny et Mont-près-Chambord
Le docteur Jean Grateau était à l’époque jeune médecin établi à Cour-Cheverny. Il était venu procéder à un accouchement à Montprès- Chambord. Au retour, sur son vélo, il croisa un groupe de FFI à proximité du lieudit « Le Plein », fermes de la famille Martineau-Chéry. Les FFI se mettaient en position pour attendre la colonne d’Allemands qui se dirigeait vers le bourg. Le docteur les mit en garde en vain sur le fait que les Allemands étaient beaucoup mieux armés, plus nombreux, et prêts à des représailles sur la population en cas d’attaque. La suite fut dramatique... Peut-être rien n’aurait-il changé en renonçant à l’attaque car on ignorait les intentions des Allemands.

Propos recueillis par Pierrette Cazin

Témoignage de Rolande Chéry
Lundi 21 août 1944. Début de matinée, très humide, coup de feu vers 9 heures. Nous sortons dehors et nous apercevons une rangée de militaires allemands fusils braqués tout le long du fil utilisé par le cordier du village. Nous sommes rentrés et nous avons entendu des coups de feu toute la matinée.
À notre porte, il y avait des pommiers et divers matériels agricoles, les Allemands avaient installé là une cuisine, la Croix Rouge et une petite mitrailleuse et un autre engin de ce genre. C’était l’heure du repas et un officier allemand est entré chez nous révolver au poing pour demander du poivre que nous n’avions pas, il a tiré deux coups de feu dans la cuisine où nous étions tous, ma mère, mon petit frère de six ans, une petite fille de 13 ans venue chercher du lait, et moi-même.
Une balle s’est logée dans la patte de la table, l’autre a atteint le chien. Heureusement les deux hommes présents, Louis Martineau et Jean Mauguin, 16 ans, qui travaillaient chez nous, ont sauté par une fenêtre et ont couru (très vite) à travers les balles vers la forêt. Par chance personne n’a été blessé.
Après avoir cru entendre leur départ, nous sommes sortis prudemment et avons aperçu ma tante (madame Amiot) les bras au ciel. Ils ont tué Raymond et Daniel (ses deux fils) et mis le feu avec une bombe incendiaire a un de ses bâtiments et à celui de leur voisine ; tout fut perdu. Une autre voisine (madame Morin) est là. Passe Pierre Daridan auquel elle apprend que les Allemands ont tué ses deux frères (Roland et Maurice) et sa mère. Le pauvre repart en titubant, mais il n’a pas le temps d’aller bien loin, il rencontre George Morin, et là, face aux Allemands, on devine la suite ...
Je le revoie et l’entend toujours; ils furent tués tous les deux dans les minutes suivantes, je ne l’ai pas vu, mais entendu deux coups secs qui restent à jamais gravés dans mes oreilles. Après un moment, je suis sortie dans la cour et à la vue des deux corps allongés, j’ai fait demi-tour.
Le lendemain, très pénible, Louis Mauguin est venu, très mal en point ayant perdu sa femme, ses trois enfants et un ami, monsieur Mérillon. C’était très pénible, tout le monde était très compatissant à ces drames et impuissant...
Le jour des obsèques, je gardais mon petit frère et ma cousine de cinq ans dont le père Raymond Amiot et l’oncle avaient été tués, avec une grande angoisse car la peur était là, surtout celle de voir revenir les soldats ...
Je suis la seule survivante capable de me souvenir de ces maudits moments et ces tristes souvenirs restent gravés dans ma mémoire comme pour tous ceux qui les ont vécus.

Ce témoignage fut donné à Pierrette Cazin peu avant le décès de Rolande Chéry. C’est à force de pugnacité qu’elle l’obtint car les événements dramatiques relatés eurent lieu dans la maison natale de Pierrette.

L’acte de bravoure de Louis Martineau
Dans sa lettre, Rolande explique que les deux jeunes de 16 ans qui travaillaient à la ferme, Louis Martineau et Jean Mauguin, échappèrent aux allemands en sautant par la fenêtre. Ils réussirent à échapper aux balles en courant à travers les vignes situées derrière la ferme et se réfugièrent dans la forêt.
L’action remarquable de Louis Martineau fut de sauter sur un vélo trouvé à l’extrémité d’un rang de vigne et d’aller prévenir la population de Mont-près-Chambord qui était en train de décorer leur village avec des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « Mont libéré ! ». Il parcourut le bourg pour prévenir la population de retirer toutes les pancartes et de se cacher en criant : « Les boches tuent tout le monde ! ». Lorsque la colonne allemande traversa le bourg, il était désert... De ce fait, il n’y eut pas d’autres victimes.
Louis rentra à travers champs et par la forêt pour retrouver son copain Jean Mauguin. Il découvrit alors l’ampleur de la tragédie qui avait eu lieu un peu plus tôt...

Propos recueillis par Pierrette Cazin

La Grenouille n°67 - Avril 2025

Souvenirs émouvants d'une période dramatique

Souvenirs émouvants d'une période dramatique
Le 21 janvier dernier, le film « La vie est belle » de Roberto Benigni était projeté à Cheverny dans le cadre de « Clap 41 – Le cinéma près de chez vous » organisé par le Conseil départemental du Loir-et-Cher. Ce film nous a replongés dans les horreurs des camps de concentration, même si l’originalité du scénario en atténue quelque peu la réalité.

Souvenirs émouvants d'une période dramatique
Un témoignage bouleversant
Après le film, le public a reçu le témoignage très émouvant de Francine Clément, chevernoise, qui nous a fait revivre le calvaire que ces hommes et ces femmes ont enduré pendant toute cette période. Comme nous l’écrit un spectateur : « Nous avons partagé un intense moment de sincérité. Francine a occupé l’espace avec l’histoire inédite du parcours de son papa, qui faisait écho à la projection précédente, avec courage mais avec aussi beaucoup de réserve. Ce récit, plein de force et de nuances, nous permet de retenir cette soirée comme un temps suspendu, où il était question d’humanité. Il permet d’entretenir la mémoire de ce parcours qu’il nous faut garder le plus longtemps possible. Et tous ceux qui y ont assisté en resteront très émus ».

Souvenirs émouvants d'une période dramatique
Le parcours d’un héros
Francine est en effet la fille de Gilbert Aubry (1925-1994) : entré dans la résistance à Blois à 14 ans, il est arrêté par la Gestapo en 1944, à 18 ans, puis déporté au camp de Natzweiler- Struthof dans les Vosges, puis à celui de Dachau en Allemagne. Les violences qu’il a subies et le courage dont il a fait preuve sont absolument sidérants. Son histoire peut être consultée au Centre de la Résistance, de la Déportation et de la Mémoire (CRDM) à Blois où est exposée sa biographie, et dans le livre de Lucien Jardel et de Raymond Casas « La Résistance en Loir-et-Cher » (1). Le site internet (2) du CDRM vous permettra également de connaître le parcours de cet homme au vécu dramatique.
Sans détailler davantage le parcours de ce héros dont chacun peut prendre connaissance comme décrit ci-dessus, il nous a paru intéressant de faire partager à nos lecteurs le vécu de Francine et de sa soeur Danielle que nous avons également rencontrée, et de quelle manière elles ont découvert les terribles épreuves qu’a vécues leur papa.
C’est aussi une façon pour nous de participer à la commémoration des 80 ans de la libération des camps nazis qui est célébrée à plusieurs dates et dans différents lieux au cours de l’année 2025.

Souvenirs émouvants d'une période dramatique
Des souvenirs d’enfance bien particuliers
Francine et Danielle : « Toutes gamines, nous avons toujours entendu parler de "la guerre", sans avoir conscience de ce que cela représentait, et c’est petit à petit que nous avons découvert ce que cela comportait comme évènements tragiques. Nous étions impliquées dans les commémorations, en participant aux cérémonies, en vendant les bleuets (3) ou en aidant à l’envoi de courriers aux membres de l’association des Déportés. Nous rencontrions souvent des "copains de guerre" de notre papa, mais ni eux ni lui ne parlaient de leur passé devant nous… Pour lui, c’était sans doute douloureux d’en parler, et il voulait certainement nous protéger des horreurs qu’il avait vécues. Et nous, nous n’osions pas le questionner… ».
C’est ainsi que s’établit petit à petit le silence autour de ces évènements tragiques, ce qui peut aussi, à plus long terme, mener à l’oubli…. Heureusement, des témoins (mais bien peu sont encore présents…) ou descendants de témoins, sont là pour nous parler de cette tragédie, et œuvrent pour que le souvenir se perpétue.
F. & D. : « Papa a toujours été très gentil avec nous, et très attentionné. Il était très bricoleur [il avait une formation de serrurier] et nous fabriquait des jouets… Il a eu souvent l’occasion de nous expliquer que "ce sont les Nazis qui sont méchants, pas les Allemands", une bonne façon de nous apprendre l’histoire… C’était aussi un homme qui dégageait une force impressionnante et il avait la réputation d‘être un homme intègre, sur qui on pouvait compter.
Souvenirs émouvants d'une période dramatique
Nous habitions aux abattoirs de Blois quai Ulysse Besnard, où il était agent d’entretien, puis nous avons déménagé en Vienne ».
F. : « À l’entrée en 6e, papa a souhaité que j’apprenne l’allemand, mais je voulais apprendre l’anglais. En fait, il souhaitait avoir ainsi la possibilité de comprendre des expressions allemandes qu’il avait si souvent entendues dans les camps…, comme "rauss schnell" et bien d’autres... Et j’ai bien sûr fini par accepter et j’ai pu lui fournir certaines traductions…
En classe de 5e, le professeur d’histoire a demandé qu’un élève fasse un exposé sur la déportation ; je me suis portée volontaire et j’ai demandé à Papa de m’aider. Plutôt que de m’en parler, il a préféré me donner des livres … Je ne lui ai jamais montré mon exposé, et il ne me l’a jamais demandé… ».


F. & D. : « Papa nous a donné peu de détails sur sa vie dans les camps. Mais il nous a notamment évoqué la présence d’un prêtre français à ses côtés au Struthof. Celui-ci se cachait dans un coin pour prier avant le repas… Papa, qui n’était pas croyant, lui a dit "Fais-le" et l’a poussé à faire sa prière sans se cacher, et ses camarades attendaient la fin de la prière pour manger ».

Un souvenir marquant pour les deux soeurs… : la visite des camps en 1973 pour Francine et en 1975 pour Danielle.
F. : « Mon frère et moi avons accompagné mes parents pour un voyage en Autriche en 1973, j’avais 17 ans. Sur le chemin, nous avons visité les camps de Natzweiler-Struthof et de Dachau. Papa, que nous tenions par la main, a pleuré lors de ces visites et est resté silencieux. Il nous a simplement expliqué que lors de son arrivée au camp du Struthof, on avait demandé aux riverains de fermer les volets, pour les empêcher de voir défiler devant eux la colonne de déportés arrivant au camp… ».
D. : « Au Struthof, il nous a montré l’emplacement d’un baraquement en nous disant "J’étais là…"» .
F. & D. : « Dans les documents recensant les déportés, Papa avait été classé "déporté poli- tique", mais il revendiquait qu’on le recense comme "déporté résistant", du fait de son action dans la lutte contre l’ennemi allemand, et il a obtenu cette désignation ».
F. : « Je me souviens également du jour où nous avons regardé ensemble à la télévision le film "Holocauste" sorti en 1978. À la fin du film, il nous a dit : "C’est juste, à un détail près…". À un moment, on voit le corps d’un déporté mort, et ses camarades protègent le cadavre avec une couverture. Il nous a dit : "Dans la réalité, la couverture, on l’aurait gardée pour nous". Ces quelques mots donnent la dimension de l’horreur vécue par les déportés dans ces camps, et les souffrances qu’ils ont endurées.

En chanson
Les deux sœurs nous indiquent également que leur papa aimait écouter des chansons françaises. Et parmi celles-ci figurait « Nuit et brouillard », de Jean Ferrat, … Témoignage glaçant quand on sait ce que « Nuit et brouillard », (« Nacht und Nebel » en allemand, N. N.) signifiait, et que Gilbert Aubry avait été classé dans cette catégorie… Cette expression traduit une décision d’Hitler de condamner les opposants au régime nazi à « disparaître totalement, sans laisser de traces, comme des silhouettes englouties dans la nuit et le brouillard…» (Réf. « Chemin de Mémoire » – Ministère des Armées).
Notons enfin que Francine intervient régulièrement dans le milieu scolaire ou dans d’autres entités des environs, contribuant ainsi à perpétuer la mémoire des déportés.

Merci à Francine et Danielle de nous avoir fait part de ce qu’elles ont vécu auprès de leur papa, au travers de témoignages très touchants, qui donnent un éclairage particulièrement édifiant sur cette tragédie qu’il ne faudra jamais oublier.

P. L.

(1) « La Résistance en Loir-et-Cher » - Presses Universitaires de France - 1994
(2) www.musee-resistance41.fr/1939-1945/biographies/ aubry-gilbert (3) Le Bleuet de France est le symbole de la mémoire et de la solidarité, en France, envers les anciens combattants, les victimes de guerre, les veuves et les orphelins 

À boire et à manger

La Grenouille a découvert un intéressant document permettant de faire la connaissance d’un inventeur courchois du XIXe siècle qui mit au point un appareil original, et sans doute fort utile pour les propriétaires de chevaux de l’époque…

À boire et à manger - Louis Deguenant
Louis Deguenant est né le 22 mars 1829 à Bélâbre dans l’Indre et épouse Élise Honorine Jacquot (1832-1890) le 22 juin 1853 à Cour- Cheverny. On trouve sa trace dans les états du recensement de 1872, demeurant dans le bourg, profession serrurier, mais sans qu’on puisse déterminer le lieu exact de son habitation.

Un brevet de 1883Le document dont nous avons eu connaissance est un brevet, qui nous indique : « Sur un procès-verbal dressé le 1er septembre 1883, à 2 heures 45 minutes, au Secrétariat général de la Préfecture du département de Loir-et-Cher et constatant le dépôt fait par le Sieur Deguenant d’une demande de brevet d’invention de quinze années, pour une boîte automatique portative, donnant l’eau et l’avoine à un cheval à l’heure que l’on désire sans être obligé de se déranger,
Arrêté ce qui suit : Article premier. Il est délivré au Sieur Deguenant Louis, serrurier mécanicien à Cour-Cheverny (Loir-et- Cher), sans examen préalable, à ses risques et périls, et sans garantie, soit de la réalité, de la nouveauté ou du mérite de l’invention, soit de la fidélité ou de l’exactitude de la description, un brevet d’invention de quinze années, qui ont commencé à courir le 1er septembre 1883, pour une boîte automatique …/… ».

À boire et à manger - Louis Deguenant
Quelques explications
Accompagnant le brevet, un document manuscrit de deux pages rédigé par Louis Deguenant, complété par 4 dessins, nous permet de comprendre l’utilité et le fonctionnement de l’appareil…« À l’heure voulue, l’eau tombe dans une auge destinée à la recevoir et douze minutes après l’avoine. Cette boîte est portative, elle peut être placée avec facilité soit dans le râtelier ou accrochée aux barreaux par une courroie ou une chaînette fixée à la boîte à cet effet, et lorsque la boîte est garnie de son eau et d’avoine, et que l’on a fixé l’heure de la sortie et fermé à clef, aucune personne étrangère ne peut rien changer.
La grandeur et la forme de cette boîte n’ont rien de précis ; elle peut être modifiée selon le désir de l’acheteur ».
Suivent ensuite les références aux croquis accompagnant le brevet, dont nous reproduisons quelques-unes ci-dessous :
« A. planche du devant de la boîte sur laquelle sont montées toutes les pièces.
B. platine de cuivre sur laquelle est monté le mouvement et les deux leviers D.
C. molette tournante avec la petite roue F qui porte les deux goujons 2 et qui porte la petite aiguille u ; les trois pièces sont obligées de tourner ensemble.
D. levier ouvert pour l’eau.
F. coulisse prise dans la tête du levier D et glissant dans les rainures R.
DD. levier de l’avoine fermé
FF. coulisses fonctionnant comme la précédente.
…/… »
« Je m’engage en outre à faire subir à cette invention toutes les modifications que l’on pourra désirer.
Fait en double exemplaire à Cour-Cheverny le cinq août mil huit cent quatre-vingt trois.
À boire et à manger - Louis Deguenant
L. Deguenant »
« Ministère du Commerce - Brevet d’Invention sans garantie du Gouvernement (1) - Durée 15 ans – n° 157 324
Pour le Ministre du Commerce, le Chef de Division, C. Nicole ».

Une carrière internationale

Il semble que cette invention ait connu un certain succès, puisque l’appareil a été breveté ensuite en Belgique le 25 mars 1884 (n°64 424), en Allemagne (n° 29 140) et en Angleterre le 28 mars 1884 (n°5 622) et aux Etats Unis le 19 novembre 1885 (n° 354 308).

À boire et à manger - Louis Deguenant

Un ingénieux système
Nous avons pu nous procurer le brevet américain, qui est imprimé et accompagné de remarquables dessins de l’appareil, qui permettent de comprendre encore mieux le mécanisme conçu par notre génial inventeur… Il est en fait conçu à partir d’une horloge, qui permet, à l’heure voulue, l’ouverture d’une trappe pour l’avoine et douze minutes plus tard le relevage d’un levier appuyant sur un tuyau en caoutchouc pour libérer l’eau : à manger et à boire….

Avis de recherche…
Louis Deguenant s’éteint le 2 juin 1894 à Cour-Cheverny, à l’âge de 65 ans, ne nous laissant comme trace que les documents évoqués ici. Nous n’avons trouvé nulle part son appareil dans les granges que nous avons visitées dans la commune, mais nos recherches ne font que commencer…

P. L.

À boire et à manger - Louis Deguenant
(1) La fameuse mention « SGDG », qu’on retrouve sur bon nombre d’anciens appareils, a été établie par la loi de 1844 et dégage l'État de toute responsabilité sur le bon fonctionnement effectif du dispositif breveté. Elle n’existe plus en France depuis 1968 (Wikipédia).  

La Grenouille n°66 - janvier 2025

Le manoir de Chantreuil

L’histoire du manoir de Chantreuil est intimement liée à celle du domaine de Cheverny et des familles Vibraye.
C’est l’épouse du Marquis Philippe de Vibraye, Jeanne Ida Pruvost de Sauty, qui en fit l’acquisition. Notre recherche commence à partir des enfants de Raoul de Vibraye (1861-1951), marié à Antoinette de Coudecoste (1871- 1959). De cette union naîtront quatre enfants : Simone, Philippe, Tony, et Aline.Les témoignages que nous avons recueillis émanent de Hélène de Sigalas, fille de Tony de Vibraye (1893-1992), d’Antoine de Compiègne, fils de Ghyslaine de Dreux Brézé (1927-2021) et d’Arnault de Compiègne (1929-2021).

Le manoir de Chantreuil à Cour-Cheverny
Les occupants de Chantreuil
Le domaine de Chantreuil avait une superficie d’environ 50 hectares. Raoul de Vibraye vint y habiter vers 1922, lorsqu’il transmit le domaine de Cheverny à son fils Philippe, alors comte de Vibraye. Philippe ne devint Marquis qu’à la mort de son père Raoul en 1951. Chantreuil fut ensuite habité, après le décès de Raoul de Vibraye, par la famille Lancesseur, industriel à Romorantin, qui loua le château et une partie du domaine de Cheverny, pour pratiquer la chasse (à tir) à La Rousselière, de 1962 à 1968. À partir de 1968, Chantreuil fut loué à M. Bellemain, préfet d’Arras. La famille Compiègne acheta Chantreuil en 1981 à Jeanne Ida de Sauty, l’épouse de Philippe de Vibraye. La famille Compiègne venait déjà régulièrement à Cour-Cheverny, depuis 1959, passer ses week-ends et ses vacances dans la ferme de Poussard.
Après la guerre, les communs ont été habités par la famille de Jules Rigny, qui était proche de la famille Vibraye établie à Bazoches (dans la Nièvre), et au service de Tony, le père d’Hélène. Charles Rigny naîtra à Chantreuil.

Quelques aménagements notables
Le majestueux cèdre du Liban, devant le château, a été planté par Tony de Vibraye. La partie gauche du château (appelée le den (1)), a été aménagée avec bureau, chambre et salle de bain par Raoul de Vibraye. La grande verrière devant le château a été démontée par Arnaud de Compiègne.

Le manoir de Chantreuil à Cour-Cheverny
Souvenirs d’enfance d’Hélène de Sigalas
Dès que l’on parle de Chantreuil à Hélène de Sigalas, son visage s’illumine en se remémorant ses années d’enfance heureuses au château de Chantreuil : « Ce sont les plus beaux souvenirs de mes vacances de petite fille avec mon frère Roland ». Hélène avait pourtant le choix entre les montagnes suisses, dans sa famille maternelle, ou les bords de mer. Mais son grand bonheur était de faire sa valise pour Chantreuil. Chantreuil, c’était la liberté de s’ébattre dans le parc et le potager, de sauter sur ce qu’elle appelait sa « Ferrari » (son vélo rouge) et de s’adonner à des jeux d’enfants avec son frère Roland. Et aussi de se balader à vélo entre Le Gué la Guette (domaine des Lemaignan), Les Tourelles, Le Breuil (famille La Salle), Troussay (famille Sainte Marie)...
Le manoir de Chantreuil à Cour-Cheverny
Hélène était un peu « garçon manqué », qui allait « arracher les patates », se faisait transporter dans un diable avec André et Charles Rigny, enfilait des feuilles de tabac pour les faire sécher... Mais le « grand frisson », c’était de savoir si le train qui passait au bout de la propriété allait dérailler quand on mettait une pièce de cinq francs sur les rails... Sans vraiment de surprise, la pièce était aplatie après le passage du train et élargie comme une soustasse à café... et le train n’avait pas déraillé... Hélène se souvient aussi du mal au coeur dans la Hotchkiss (2) de sa grand-mère Antoinette, conduite par Jules Rigny, en se rendant à Bazoches.
Les habitants de Cheverny et de Cour-Cheverny ont pu croiser Hélène de Sigalas, amoureuse des arbres et de la nature, marchant de bon matin dans la campagne, le pas alerte...

La famille Lancesseur à Chantreuil de 1962 à 1968
Le manoir de Chantreuil à Cour-Cheverny
Bernard Lancesseur avait implanté son usine dans le Romorantinais et installé sa famille (en location) au château de Chantreuil. Il eut deux filles, Martine et Alix, les aînées, puis deux fils, Bruno et Olivier. À leur arrivée à Cour-Cheverny, Bruno et Olivier ont 10 et 11 ans. Le parc, le potager, la rivière, la petite tour de guet (détruite depuis), sont des terrains de jeux fantastiques ! Olivier et Bruno occupaient la chambre à gauche quand on regarde la façade du château. Ils élevaient des couleuvres et des orvets dans la serre. Le jour où les reptiles se sont échappés, Bruno a hurlé de frayeur, suspendu à une branche du cèdre... Olivier se souvient des 400 mètres de l’allée centrale qui menait à la grille de sortie, aujourd’hui située près du rond-point à proximité du Centre de secours. Il parcourait l’allée avec son sac d’écolier à l’épaule et rencontrait parfois la femme du docteur Benoistel qui conduisait ses enfants à l’école toute proche du cabinet de son mari.
Le manoir de Chantreuil à Cour-Cheverny
Dans le contrat de location du manoir de Chantreuil, Bruno se souvient qu’il était stipulé de ne pas retirer le papier peint rouge à fleurs de la chambre de la marquise (toujours en place à l’époque d’Arnaud de Compiègne). Le chien de la famille Rigny répondait au nom de Peugeot, marque de la voiture qui avait dû conduire à Cour-Cheverny depuis Bazoches.

Chantreuil pendant l’occupation allemande
Fin 1941 / début 1942, l’armée allemande occupe la France. « La Wehrmacht » a, entre autres choses, pour mission de gérer la « Commission de la protection du patrimoine », centralisée avenue Kléber, à Paris, afin de protéger les biens culturels de notre pays.
On peut s’étonner, à première vue, que l’armée allemande, avec Heinrich von Stülpnagel, commandant des troupes allemandes en France, ait pu organiser, avec les musées nationaux, l’évacuation des œuvres d’art afin de les préserver du conflit.
Il y avait deux courants dans l’armée allemande :
- les S.S. qui semaient la terreur : les Nazis proches d’Hitler tels Joseph Goebbels, Hermann Göring, Heinrich Himmler... qui avaient bien l’intention de récupérer un maximum d’oeuvres et de biens à la barbe des autorités françaises. Hitler et Göring avaient décrété que les juifs ne devaient pas être pris en compte dans la population française. En les spoliant, ils ne s’en prenaient donc pas aux biens des Français... Rappelons que Göring était un grand amateur d’art et sa femme directrice d’un théâtre ;
- un courant dit « civilisé », avec des officiers de la Wehrmacht qui étaient déjà, en Allemagne, avant la guerre, des personnes proches du milieu des Arts et de la Culture. Ce sont donc ces éléments de l’armée d’occupation qui vont, avec l’aide des conservateurs du musée du Louvre et d’ailleurs, protéger des oeuvres majeures pour s’opposer aux probables pillages des Nazis.
Beaucoup de familles juives ont été victimes de l’oppression, et de nombreuses oeuvres d’art se sont retrouvées en deshérence chez les antiquaires et autres marchands d’art. Certaines ont été confiées à la tutelle des musées.

Le manoir de Chantreuil à Cour-Cheverny
Il est étonnant que les châteaux réquisitionnés pour soustraire les oeuvres des musées à la cupidité ambiante de certains n’aient pas été occupés par l’armée allemande mais par des conservateurs français. Il en est ainsi de Chambord, de Cheverny, de Chaumont et de Chantreuil, parmi d’autres, qui avaient placardé sur les portes d’entrées des domaines concernés l’affiche d’une ordonnance officielle en langue allemande, signée du chef des troupes d’occupation, von Stülpnagel.
On peut penser que des hommes de culture ont eu à coeur, dans les deux camps, de dépasser les passions de la guerre pour préserver un patrimoine universel, malgré les risques...

Début 1942, les musées nationaux et la Kommandantur blésoise s’organisent
En mars 1942, Philippe de Vibraye, comte de Cheverny, habite le château de Cheverny depuis vingt ans et son père Raoul, Marquis de Vibraye habite, comme il le dit, « la modeste demeure de Chantreuil ».
Des négociations se mettent en place entre la préfecture de Blois, Jacques Guérin (3), et Philippe de Vibraye afin de vérifier si le manoir de Chantreuil est apte à recevoir des oeuvres d’art, des archives, et à accueillir un conservateur sur place. Il semble que c’est Paul Robert Houdin qui soit venu visiter Chantreuil et qui ait donné son aval pour l’opération. Nous reproduisons ci-dessous le courrier de Raoul de Vibraye qui se dit heureux de cette validation.

Le manoir de Chantreuil à Cour-Cheverny
Les châteaux de Cheverny et de Chantreuil reçurent donc un « Bon de réquisition »
Ce sont les préfets Bussière, en 1942, et Aucourt, en 1944, qui payaient les salaires des conservateurs et les locations. Hans Haug, conservateur des oeuvres entreposées à Cheverny aura aussi la tâche de trouver et de former un chef de dépôt pour Chantreuil. Il plaça le fils d’un de ses amis, le jeune Lionel de Warren, issu d’une famille de Saint-Gervais-la- Forêt. Ce garçon, qui était pressenti pour partir au S.T.O.(4), comme tous les jeunes de son âge, a bénéficié d’une dérogation des services de l’armée allemande pour occuper le poste de chef de dépôt à Chantreuil.
En 1943, l’armée allemande essuie de nombreux revers à Stalingrad et en Afrique du Nord. La Résistance s’organise sur le territoire français et les officiers allemands en charge des caisses d’archives scellées à Chantreuil craignent qu’elles ne servent de cachettes pour les armes des résistants. Des consignes strictes furent données à Lionel de Warren en insistant sur sa responsabilité en cas de trahison. Il n’y eut aucun incident.
Concernant l’organisation de la logistique des oeuvres entreposées localement, nous devons beaucoup au directeur des archives départementales Jean Martin-Demézil et à son collègue Frédéric Lesueur.
Chambord faisait office de « plaque tournante » qui répartissait les oeuvres sur les différents sites sélectionnés. Chantreuil remplira ce rôle jusqu’en août 1944. Fernand de Berthier était chef adjoint des musées nationaux. Il devint ensuite le régisseur du château de Cheverny.

Merci à Rainer Pohl, professeur d’histoire (franco- allemand) établi à Blois depuis longtemps et qui, par ses recherches (Archives nationales, départementales et municipales), nous a fourni une documentation exceptionnelle sur l’histoire de Chantreuil entre 1942 et 1944 (5).

P. D.

Le manoir de Chantreuil à Cour-Cheverny

(1) Den : tanière, repaire.
(2) Hotchkiss : Voiture de luxe fabriquée à Saint-Denis, près de Paris, entre 1936 et 1970.
(3) Jacques Guérin était conservateur en chef du musée des Arts décoratifs de Paris. Voir le livre « Les grandes heures de Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher... et nos petites histoires ». Page 288 : « Clair de lune au château de Cheverny ». Éditions Oxygène Cheverny - Nov 2018.
(4) S.T.O. Service du travail obligatoire. (5) Rappelons également que le manoir de Chantreuil a abrité un hôpital militaire pendant la première Guerre mondiale (Voir le livre « Les grandes heures de Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher... et nos petites histoires ». Page 277 : « L’hôpital militaire du château de Chantreuil ». Éditions Oxygène Cheverny - Nov 2018.

La Grenouille n°66 - janvier 2025