C’est en 1854 que la
commune de Cheverny décide de prendre son autonomie scolaire, mettant ainsi
fin à l’indivision avec la commune de Cour-Cheverny, en créant une école de
garçons qui sera construite en 1855.
C’est le bâtiment dont le pignon donnant sur la rue du Bûcher comporte une
niche où est placée une statue de la Vierge. L’école est alors tenue par des
frères religieux pendant plus de 20 ans mais, devant les démarches
infructueuses pour renouveler les enseignants congréganistes, la commune de
Cheverny opte pour l’enseignement laïque en 1876, qui deviendra gratuit en
1882.
Une école de filles est créée en 1884, qui fit l’objet d’une nouvelle
construction sur des terrains vendus à la commune par le marquis de Vibraye,
incluant les bâtiments de l’ancienne tuilerie et permettant de regrouper dans
le même ensemble l’école des filles et celle des garçons, avec des logements
pour l’instituteur et l’institutrice. Concernant la pose de la première
pierre, le 5 mars 1884, on retrouve le texte suivant : « Le
procès-verbal ci-dessus, rédigé sur parchemin a été placé dans une fiole, et
ensuite déposé dans un trou pratiqué dans la pierre du pavillon logement de
l’institutrice portant le millésime 1884 ». Quatre ans plus tard, les deux
écoles accueillent environ 150 élèves.
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La première pierre de l’école, posée en 1884. |
À noter que les fournitures scolaires furent fournies gratuitement à partir
du 1er octobre 1897. La 2e classe de l’école de filles fut transformée
en classe enfantine en 1900, accueillant les enfants à partir de l’âge de 3
ans.
L’école a compté jusqu’à 4 classes et certains se souviendront des
directeur(trice)s en poste depuis les années 50 : madame Dubois, René Defin
(dans les années 50), Michèle Germain (1969), Michèle Martineau (1978), et
Anne- Marie Lesimple quifut la dernière directrice.
Comme dans d’autres communes, la municipalité a dû se résoudre à fermer
l’école à la fin de l’année scolaire 1983/1984, et les enfants de Cheverny sont
depuis cette date accueillis dans le groupe scolaire de Cour-Cheverny.
Le Triton - La Grenouille n°40 - Juillet 2018
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Michel Bourgeois |
Michel Bourgeois se souvient de ses premières années de scolarité à
l’école de Cheverny
La rentrée d’octobre 1950 vient de sonner, j’ai tout juste cinq ans du mois
d’août et j’effectue ma première rentrée scolaire. L’école communale de
Cheverny, comme l’ensemble des écoles de la République, à l’époque, n’acceptait
les enfants qu’à partir de leurs six ans dans l’année.
D’abord à Cour-Cheverny pour les moins de 6 ans
De ce fait, j’accompagne mes trois soeurs à l’école privée de Cour-Cheverny,
qui accepte les enfants de moins de six ans. Mes jambes sont bien courtes,
mais j’arrive quand même à suivre mes soeurs sur les 2,5 km du trajet de la
Morelière à l’école. Ce trajet comportait pour moi un passage délicat et
attendu à la fois : le franchissement du Conon sur le pont de Beignon. Malgré
la crainte et attiré par l’eau, il fallait que je regarde par-dessus le
parapet. Je garde cependant un souvenir assez heureux de cette école. Les jeux
occupaient les « récrés » et, dans la classe, les histoires que nous contait
mademoiselle Madeleine, l’institutrice, me captivaient. J’ai donc usé mes premières
galoches à fréquenter cette école pendant une année scolaire. J’ai appris à
écouter, à côtoyer des enfants de mon âge, à manger à la cantine (mauvais
souvenirs…). Chaque jour, je passais devant l’école de Cheverny et je voyais
des enfants s’y arrêter. J’ai fini par demander à mes parents pourquoi, moi, je
n’y allais pas ? Il m’a été répondu : « tu iras l’année prochaine, tu
n’as pas l’âge » ! Chic, je vais gagner au moins neuf cents mètres de
trajet.
Arrivée à l’école de Cheverny
C’est ainsi qu’à la rentrée d’octobre 1951, je découvris enfin l’école
communale de Cheverny. Belle bâtisse du 19e siècle, qui fut mise en
construction en 1884. Elle présente des encadrements d’huisseries en pierres de
taille. Celles-ci, composées de calcaire dur et de tuffeau, agrémentées de
rangées de briques du pays, donnent un aspect solide et majestueux à l’édifice.
Le pignon, côté nord, présente une niche où trônait autrefois une statue à
caractère religieux. Dès 1905, suite à la séparation de l’Église et de l’État,
cette statue, représentant une vierge, a sans doute été enlevée. La niche
était vide lors de ma scolarité. On peut remarquer aujourd’hui que la statue a
été repositionnée sur son socle. L’extrémité sud du bâtiment présente un
pignon percé de trous circulaires qui interpellent au premier abord. Il s’agit,
au dire de l’instituteur et des anciens du pays, de vestiges de l’ancienne
briqueterie Bourbon. Ces ouvertures servaient à optimiser le séchage des
briques fabriquées en ces lieux. Lorsque je fréquentais cette école, cette
extrémité du bâtiment servait de remise au corbillard de la commune. Je revois
encore très bien, les jours d’enterrement, M. Bezault, l’agriculteur préposé à
cette tâche, attelant cette carriole peinte en noir et parée de pendeloques de
la même couleur.
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La mare à l’emplacement du lieu d’extraction de l’argile pour la fabrication des briques à l'époque de la briqueterie Bourbon |
Je me souviens aussi de la grande mare présente à quelques mètres du mur
de la cour de l’école. Cette excavation, remplie d’eau l’hiver, était sans
doute le résultat de l’extraction de l’argile utilisée pour la fabrication des
briques.
Le pignon sud de l’école de Cheverny avec ses meurtrières qui servaient
d’aérations du temps où cette partie était un séchoir à briques. La grande
porte sur rue, condamnée aujourd’hui, a servi par la suite de remise pour le
corbillard municipal.
Cette mare
occupait une partie du parking que l’on connaît aujourd’hui. À cette époque,
elle était plus ou moins embroussaillée : saules, marsaules, roseaux et joncs
la colonisaient sur les trois-quarts de sa surface. Un petit sentier
serpentait entre le mur et la mare, donnant accès au bâtiment situé derrière
l’école. Ce long édifice servait de logement aux employés du château, en
activité comme en retraite. Les anciens l’appelaient couramment : la cour des
miracles !... Une autre mare, plus profonde et plus vaste, fournissait aussi
l’argile utile à la briqueterie. Nommée la fosse Fesneau, elle est située à
environ cinq cents mètres, dans l’allée du Chêne des Dames, où elle est toujours
visible. Cette mare servait d’abreuvoir aux vaches de M. et Mme Bezault,
fermiers sur ces terres et occupant alors les bâtiments où se trouve
actuellement la boulangerie.
Ma première rentrée officielle en école communale et obligatoire se fit
donc en cet imposant bâtiment. Je fus accueilli dans la classe des petits, la
plus au sud, par mademoiselle Derouet, l’institutrice en charge des petits et
du cours préparatoire. Les bureaux, du modèle d’époque avec siège attenant à
la table, étaient à deux places. Le tableau, le bureau de la maîtresse sur
l’estrade, la petite bibliothèque se trouvaient côté mur du fond, au sud. Les
fenêtres donnaient sur la rue côté droit et sur la cour des filles côté gauche.
J’ai dû rester deux ans dans cette classe où je me sentais bien. J’adorais les
histoires contées par la maîtresse. Ce que j’aimais moins, c’était les découpes
aux pointillés, ainsi qu’une punition qui m’envoya au coin, à gauche, à côté de
la bibliothèque.
Les récréations étaient communes avec les filles de tous les cours, y
compris les grandes de 14 ans. Elles se déroulaient dans la cour, face aux
classes des petits et des moyens. Il était interdit de passer la grande porte
qui séparait l’autre cour, celle des grands garçons. Nous accédions à l’école,
pour les piétons jusqu’au CE 2, par le premier perron, côté sud. Pour les chanceux
qui venaient à vélo, l’accès se faisait par la cour des grands, ouverte sur la
rue du Bûcher. Les vélos étaient entreposés sous le préau de la cour des
grands. Je revois encore le tas de vélos accolés les uns à côté des autres et
parfois sous les autres. Du coup, les premiers arrivés étaient les derniers à
retrouver leur « biclou », comme on disait alors. Les élèves arrivaient à
l’école à pied, ou à vélo pour ceux qui habitaient loin.
Sur le chemin de l’école
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La fosse Fesneau, allée du Chêne des Dames, dite allée des Sapins dans les années 40. |
Je n’ai pas le souvenir de voir des parents amener leurs enfants avec
quelque véhicule que ce fût. Quoique ! j’ai moi-même bénéficié d’un véhicule,
une fois ou deux, me chargeant sur le trajet. En effet, le fermier de la Rousselière,
M. Dufraisse attelait parfois une carriole et, se dirigeant vers Cour-Cheverny,
me faisait profiter au même titre que ses filles Jocelyne et Sylvie d’un
transport pittoresque. J’ai le souvenir bien marqué du son que faisaient les
sabots du cheval claquant sur le chemin empierré. Il arrivait au trot, et à ma
hauteur, un « hoooo ! » prolongé m’indiquait qu’il allait s’arrêter. M.
Dufraisse me proposait alors de monter, me tendait la main et me hissait d’une
volée jusque sur la banquette en bois. Aussitôt reparti, un léger claquement de
fouet mettait le cheval au petit galop et je sentais alors le vent dans les
cheveux. Quel plaisir ! arriver si vite à l’école et sans effort ! Après un
merci fort reconnaissant, je sautais de la charrette avec fierté devant les
copains étonnés. Il m’arrivait aussi quelques rares fois de bénéficier du
porte-bagage du vélo de ma soeur Renée. Elle travaillait à l’école de
Cour-Cheverny et me déposait au passage.
À pied, le trajet du chemin de l’école me semblait long, surtout en hiver.
Cependant, il me permit, sans m’en rendre compte, de voir et d’apprendre bien
des choses sur la vie et le travail des hommes que je rencontrais dans ce monde
rural dont je faisais partie. Je repense aux travaux pénibles qu’exerçaient
tous ces gens de la terre. M. Vanneau abattait les taillis à la cognée, sciait
les rondins à la scie à main, payé à la tâche et au stère. M. Combriat curait
les fossés avec pelle et pioche. M. Doucet, avec pelle et fourche à cailloux,
bouchait les nids de poules sur l’allée du Chêne des Dames. M. Briquet fauchait
les accotements avec une faucheuse mécanique tirée par un cheval. M. Girardeau
débardait le bois de chauffage avec deux chevaux attelés en tandem. M.
Poumeyreau débardait des grumes énormes de pins maritimes ; je le vois encore
passant avec ses deux superbes mules, assis au coin de sa trinqueballe (1) et
les dirigeant de la voix avec son accent du midi. J’entends encore M. Bezault,
encourageant son cheval blanc attelé d’une décavaillonneuse (2) travaillant
dans son carré de vigne.
Et la chasse à courre ? comment ne pas en parler, alors que deux fois par
semaine, on entendait sonner la trompe, lorsque le vent était favorable.
Souvent, quand je rentrais de l’école, j’ai eu l’occasion de rencontrer chiens
et chevaux. Harassés et crottés, ils rentraient, bredouilles ou vainqueurs,
conduits de mains de maître par messieurs Mathon, père et fils (piqueux et
valet de chiens). Parfois, avec quelques camarades, à la sortie de l’école,
nous courrions jusqu’au Chêne des Dames afin de voir traverser le cerf ou
d’assister à la curée. Que de gens bien habillés ! et que de belles voitures
d’époque ! Ah ! La Cadillac de la comtesse de Tristan, un monument pour des
enfants de 10-11 ans. Elle brillait avec des chromes partout. Parfois, la
comtesse invitait les gamins à venir prendre un gâteau ou une friandise. Dès
l’ouverture de cet immense coffre, un attroupement se formait autour de cette
voiture.
Que de choses, sans m’en rendre compte, j’ai appris sur le chemin de
l’école... Finalement, le chemin, c’est déjà de l’école. Les années bonheur
terminées, il fallut passer aux choses sérieuses : la classe de madame Defin.
L’épouse de M. Defin avait en charge le CE 1 et le CE 2. Finies les histoires,
finis les dessins, je découvris qu’on était à l’école pour apprendre ! Cette
classe se situait proche de celle des petits, séparée par le couloir qui leur
donnait accès. Actuellement, ces deux classes réunies forment la salle des
fêtes, telle qu’elle se présente aujourd’hui. Pendant ces deux années, nous
restions encore pour les récrés, dans la cour des filles, avec le préau dans le
fond. Ce préau servait également de garage à la voiture de M. Defin : une
Dina-Panhard. Aujourd’hui, ce préau est aménagé en salle de danse.
La classe des grands
C’est en passant dans les cours moyens et de fin d’études que nous avions
droit à la cour des grands. C’est aussi à cette époque que mon cartable
s’alourdit légèrement. Le cartable sur le dos, je courais souvent, il est vrai
qu’il était cependant plus léger que ceux des enfants d’aujourd’hui. Très
solide, en cuir épais, il fit toute ma scolarité, même si, à la fin, il
semblait un peu défraîchi. Composé d’un seul compartiment, il ressemblait à une
gibecière, de couleur brique, avec une bretelle que je passais autour de mes
épaules. Bien calé sur le dos, j’avais ainsi les mains libres. Je l’avais
décoré par quelques décalcomanies du monde de Walt Disney… eh oui ! cela
existait déjà ! Son contenu était quelque peu disparate. J’y rangeais : le
cahier du soir, le cahier de brouillon, le cahier de récitations, le cahier et
le livre de la matière à étudier aux devoirs du soir (histoires, géo, sciences,
etc.) et le plumier. Il fallait aussi rajouter le torchon dans lequel maman mettait le
pain, la timbale pour le lait, les éventuels compléments au repas de midi.
Parfois, pour améliorer celui-ci, j’achetais chez madame Cayron, l’épicière,
une tranche de jambon et chez M. Tessier, le boulanger, une ficelle. Dans la
classe, le cartable-musette était accolé à un pied de la table.
Nous étions alors accueillis dans la classe de M. Defin. Cette classe était
située entre le préau des garçons et l’ancienne cantine. Son accès, aujourd’hui
condamné se faisait à partir du préau. C’est aussi à partir du 3ème perron
que nous accédions à l’école, pour les piétons. C’est dans cette classe que je
passais donc les dernières années de ma période scolaire, sanctionnée par le «
certif ». Quelques rares privilégiés passèrent en sixième à Blois. J’ai dû en
connaître deux ou trois sur l’ensemble de ma scolarité (dont le fils de
l’instituteur). Dans cette classe, les tableaux (verts et non
noirs) et le bureau du maître sur l’estrade, tout était côté du mur nord.
Je revois parfaitement les trois doubles rangées de tables, bien plus modernes
que dans les classes précédentes. Les pieds en tubes de couleur verte, le
plateau en bois clair et toujours l’encrier en porcelaine dans le coin droit
(tant pis pour les gauchers…), la rainure en haut pour les crayons. Je revois
aussi nettement les cartes cartonnées représentant la France avec ses fleuves,
ses montagnes, ses principales villes et ses départements ainsi que la
mappemonde où nous découvrions le monde. Et, sur le coin du bureau, l’éternel
globe terrestre avec son air penché qu’on aimait voir tourner sur son axe afin
de voir l’autre face de la Terre. J’ai aussi un souvenir reconnaissant du gros
poêle rond, caché derrière sa grille de protection. Il nous prodiguait ses
ronronnements rassurants mais surtout sa bonne chaleur parfumée au feu de bois.
Je revois encore les deux élèves désignés d’office à la récré de 10 heures.
Ils approvisionnaient ce poêle en longs quartiers de chêne grossièrement
fendus. Ils en déposaient une lourde brassée dans la grande caisse en bois. Les
odeurs d’une classe d’école sont inoubliables. De même que les silences studieux,
lorsque tout le monde planchait sur les deux problèmes quotidiens
d’arithmétique ou encore pendant l’énoncé d’un texte, où seul le phrasé du
maître résonnait pour la dictée, elle aussi quotidienne. Seuls, les soupirs
troublaient ces silences, quand arrivait un mot difficile ou un accord
délicat.
M. Defin, l’instituteur, nous paraissait austère. Il ne riait pas souvent,
mais, je le compris plus tard, il était aussi très compétent. Ses méthodes
d’enseignement, basées sur des exemples concrets et des moyens mnémotechniques
me convenaient bien. J’étais bavard et parfois dissipé, ce qui me valut quelques
expulsions à la porte, mais aussi quelques tours de cour. J’ai également eu
droit aux 100 lignes réglementaires pendant la récré. Cependant, j’ai eu ma
minute de gloire lors d’une question posée à l’ensemble de la classe. Au cours
d’une dictée où il était mentionné qu’un élève possédait un plumier chinois, le
maître demanda : « comment reconnaît-on que ce plumier est chinois ?
» Je lève la main et là, je répondis : « à ses yeux bridés ».
J’ai fait rire l’assistance et j’ai vu alors à son sourire qu’il avait de
l’humour… Je l’ai vu aussi parfois quelque peu agacé, notamment, lorsque
l’église sonnait le glas et qu’il fallait libérer pour l’enterrement les 3 ou 4
enfants de choeur scolarisés. En effet, à cette époque, un curé officiait à
l’église de Cheverny avec le concours d’enfants de choeur. Ces derniers
trépignaient d’impatience, attendant l’ordre libérateur. Évidemment, l’école
était laïque, mais ces coutumes étaient encore pratiquées même si, à cette
époque, la statue religieuse du pignon nord avait été retirée de sa niche.
Les récrés
Ah ! ces récrés si attendues ! Tout le monde déboulait dans la cour plus ou
moins bruyamment. On reprenait les jeux arrêtés à la précédente récré ou on en
commençait un autre. Les jeux de groupe étaient transmis par les grands, avec
leurs règles et leurs noms bizarres : loup-mout (langage courant des élèves
pour loup-mouton), senne, verré. Ces jeux de groupe, pratiqués l’hiver,
consistaient à courir autour des éternels tilleuls. Un élève désigné par
l’ensemble, ou parfois auto-désigné, devait courir assez vite, et rattraper un
à un les éléments du groupe et ce jusqu’au dernier. Dans certains jeux, il
était aidé par les rattrapés. D’autres jeux plus classiques étaient pratiqués :
balle-aux-prisonniers, cache-cache, chat-perché, etc. Les étés nous voyaient
entamer des occupations plus calmes : d’interminables parties de billes, des
circuits de Tour de France creusés dans le sable de la cour, maçonnés, fignolés
et qui servaient plusieurs jours. Quand il faisait très chaud ou qu’il
pleuvait, le préau des garçons (actuellement la salle des Séniors) accueillait
les compétitions de toupies que l’on faisait ronfler sur le sol cimenté, des
jeux de devinettes et même des parties de cartes. Ces dernières étaient assez
mal vues du maître.
Les récrés étaient, comme dans toutes les écoles je pense, turbulentes et
bruyantes. On criait, on s’interpellait avec force décibels, par nos noms, nos
prénoms et, à cette époque, par de nombreux surnoms. Nous étions vite baptisés,
notamment par les anciens. Je me souviens de certains camarades affublés de
surnoms vraiment difficiles à porter et sans aucun rapport avec leur patronyme
réel. J’ai côtoyé un cannelle, un bosco, un gorille, un kopa, un Mexique, un
queue de rat, un mistoufle, un toto l’électrique, un cochon et quelques autres
du même genre. Chacun s’en accommodait, sans vraiment y prêter attention, du
moins en apparence.
Je revois très bien la disposition de cette cour, avec ses cinq tilleuls,
ses WC à la turque avec ses demi-portes. Le potager du maître, au-delà du mur,
sur lequel on s’asseyait par groupe ou par deux pour discuter. La pompe à
balancier et son bassin en ciment où, l’été, nous venions nous désaltérer. Un
camarade pompait et chacun à son tour nous buvions l’eau qui coulait dans nos
mains accolées servant d’écuelle. L’hiver, cette eau servait au lavage des
blouses grises, des mains et des genoux souillés par les chutes provoquées lors
de jeux quelque peu virils. La technique consistait à gratter la boue à l’aide
d’un canif (outil très répandu chez les élèves à l’époque) et à rincer à l’eau
de la pompe. Les égratignures des genoux et des mains étaient aussi soignées à
l’eau de la pompe (celle-ci n’existe plus aujourd’hui). J’ai vu, dans mes
dernières années scolaires, le modernisme arriver sous la forme de lavabos avec
robinets individuels (quel luxe !).
Les blouses étaient encore omniprésentes, mais, un changement vestimentaire
se faisait sentir. Elles souffraient beaucoup dans les récrés. Dans les jeux
physiques, souvent les poches craquaient et aussi les ceintures. Mais personne
ne se plaignait, ni au maître ni auprès des parents. Quand une punition
tombait, c’est qu’elle était méritée et acceptée comme telle. Souvent, on
omettait d’en parler aux parents, de peur de la voir doublée.
La cantine…
Ah la cantine ! Un moment délicat pour moi. Il fallait manger tout et de
tout, même quand ce n’était pas bon, et c’était souvent pas bon… Un potage
composé d’eau trouble où nageaient quelques squelettiques vermicelles, du riz
sec et dur, cuit dans des grands plats d’aluminium sans la moindre noisette de beurre, de la purée épaisse, avec très peu de
lait et encore moins de beurre, des grosses nouilles soit-disant gratinées au
four mais sans gratin, etc. Les rares plats que j’arrivais à manger avec un
minimum d’appétit étaient : les haricots secs, les choux et les épinards que
j’accompagnais de deux oeufs durs apportés de la maison. Il fallait également
apporter son pain. Nous étions végétariens avant l’heure. Seuls, les desserts
avaient à mes yeux, ou plutôt à mes papilles, une attention digne d’intérêt,
soit deux cuillerées de compote ou de confiture ou deux gâteaux vitaminés au
goût de citron. C’était dur pour les baby-boomers !...
La cantine était située dans un premier temps à l’extrémité nord du
bâtiment, au rez-de-chaussée du logement de M. et Mme Defin. Deux fenêtres
s’ouvraient sur la rue, juste en face de l’épicerie de M. Pierre Gauthier.
Celui-ci fournissait le lait dans un grand bidon métallique, comme on en
trouve dans les laiteries. Je le revois encore frappant à la fenêtre par
laquelle la cantinière, madame Lecomte (puis madame Leclerc qui lui succéda)
récupérait le bidon. Nous avons connu le verre de lait obligatoire de l’école,
résultat de la loi Mendès- France de 1954. Celle-ci supprima le vin dans les
écoles et le remplaça par le fameux verre de lait de la récré. Il est vrai que
le vin était la boisson de l’époque. J’ai effectivement vu des enfants de 12-14
ans apporter leur boisson, le breuvage était composé d’eau et de vin rouge, (le
pourcentage d’alcool n’était pas indiqué sur l’étiquette…). Le contenant était
souvent en verre, de type bouteille de sirop avec bouchon à vis (le plastique
était quasi-absent à l’époque). Cette boisson était courante dans les
campagnes, où la vigne était très présente, et considérée comme normale. Le
lait était distribué à la fin d’une récréation afin de pallier les carences en
calcium. Selon le slogan du Président du Conseil cité plus haut : «
Pour être studieux, solide, fort et vigoureux, buvez du lait ». Comme on le
trouvait fade et pas sucré, la cantinière y ajoutait quelques grammes de
cacao. Chacun apportait sa timbale personnelle (dans son sac d’écolier, avec
le pain et les oeufs durs), qu’on était tenu de boire en entier devant le
maître ou la maîtresse.
Cette cantine fut ensuite déplacée pour faire place à une quatrième classe.
Le baby-boom était maintenant en âge scolaire. Nous étions environ 30 élèves
par classe, soit 120 enfants scolarisés à Cheverny. Il fallut installer une
nouvelle cantine. Celle-ci trouva sa place dans le rez-de-chaussée du logement
de l’instituteur. Ce bâtiment, qui n’existe plus aujourd’hui, fermait la cour
sur la route du Bûcher. L’instituteur fut totalement relogé à l’étage
au-dessus de la nouvelle classe.
Le certificat d’études primaires
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Le bâtiment de l'ancienne cantine, qui donnait route du Bûcher, a été démoli en 1986 |
Dans les dernières années de ma scolarité, j’avais réussi à récupérer un
vieux vélo de ma mère et j’eus l’autorisation de l’utiliser pour venir à
l’école. Quel bonheur, en cinq ou six minutes, j’étais arrivé et, surtout,
j’échappais à la cantine car je revenais manger le midi à la maison. La
dernière année scolaire arriva, en 1958-59. Les choses sérieuses se précisèrent.
Les compositions devenaient de vraies compétitions pour la première place et
j’aimais ça. Je trouvais très stimulant le fait d’être talonné, voire même
dépassé par quelques camarades. Cela me poussait à être plus assidu et plus
concentré sur le travail. Je me souviens de la période où l’instituteur devait
nous préparer au « certif » (certificat d’études primaires). Dès le mois de
mai, il « sélectionnait » les candidats potentiellement aptes au C.E.P., au
grand dam des autres. Il nous préparait par une heure d’étude supplémentaire,
le soir, après la sortie normale : calcul, dictée, questions, grammaire,
conjugaison, etc. L’étude était entrecoupée d’une récréation au cours de
laquelle le maître nous préparait aussi pour le brevet sportif populaire (B.S.P.).
L’entraînement se déroulait dans la cour. Les tilleuls en pleines fleurs
embaumaient et les cris des martinets envahissaient l’espace où l’atmosphère
était studieuse. Je vois encore notre « instit » se muer en coach sportif, en
blouse grise ! Nous avions, cet été là, abandonné la blouse grise pour le short
et la chemisette. Étaient au programme : le saut en hauteur, le lancer du
poids, le grimper de corde lisse, les mouvements de gymnastique et la course à
pied (sprint). Je le vois encore, notre coach d’un été, nous initiant au lancer
du poids, le boulet collé derrière l’oreille et, d’un mouvement de rotation,
propulser le poids avec le bras. À l’époque, j’étais « enflé comme une anse de
sieau », comme cela se dit en Sologne ! Et j’avais l’impression que c’était moi
qui reculais quand je lançais le poids. Par ailleurs, j’étais très vexé car une
fille le lançait plus loin que moi… Heureusement, je grimpais à la corde comme
un singe, je courais vite et sautais haut, ce qui faisait dire à notre prof de
gym : « Je ne m’en fais pas pour toi, tu passeras largement ».
Nous étions neuf candidats au C E P en ce mois de juin 1959 : trois filles et
six garçons. Les épreuves se déroulaient à Contres. Comme la plupart des
parents n’avaient pas d’auto, M. Defin en emmena une partie et un autre parent
se chargea des autres. Le résultat fut inespéré car aux dires de notre « instit
», beaucoup paraissaient trop justes… : 9 candidats présentés, 9 reçus ! Il
était intérieurement très ému et nous ravis. C’est ainsi que, muni du double
sésame de l’époque (C E P et B S P), dès le 1er octobre 1959, j’embauchais
dans l’atelier du village comme apprenti chaudronnier avant de retrouver mes
racines forestières après de nouvelles études.
Du travail dès la sortie de l’école
À l’automne de ces années cinquante, nous étions au début des « 30
glorieuses », comme les décrivent les économistes d’aujourd’hui. Tout le monde
trouvait une place dans la vie active. Le travail ne manquait pas, mais il
était manuel à 80 %. Ainsi, la quasi-totalité de mes camarades des classes 43 à
46 trouva un emploi dans ce domaine. Nous étions : vendeuse, coiffeuse,
serrurier, boulanger, peintre en bâtiment, plombier, mécanicien auto,
électricien, maçon, plâtrier, et d’autres, fils d’agriculteurs et de vignerons
allaient travailler avec leurs parents, et souvent sans réelles rémunérations…
La formation s’effectuait la plupart du temps « sur le tas ». Moi-même, j’ai
intégré le seul atelier pluridisciplinaire de la commune (à part le château)
qui s’appelait CEIC (Compagnie Electro Industrielle du Centre) appartenant à M.
René Louis Roy. Les activités comprenaient trois corps de métiers principaux
: un atelier de tôlier-chaudronnier, un de plombier-chauffagiste et un
d’électricien toutes disciplines. Nous étions entre 6 et 8 ouvriers par corps
de métier.
Appartenant au château, ces bâtiments se trouvaient derrière son mur
d’enceinte. L’entrée de la cour, toujours visible aujourd’hui, se situe face à
la place de l’église. On y trouve encore la grande porte blanche donnant accès
à la cour intérieure et qui desservait les divers bâtiments alloués à chaque
corps de métier. Le bâtiment des plombiers était face à cette entrée, on le
devine de la rue. L’atelier de tôlerie se situait à l’emplacement occupé actuellement
par la billetterie du château. Celui des électriciens était à l’étage au-dessus
des plombiers. Les électriciens occupaient aussi, pour le câblage d’armoires
électriques, une pièce accolée au bureau du contremaître. Ce bureau était
contigu au restaurant Le Grand Chancelier situé à l’angle de la rue du Château.
La cour intérieure, occupée par la terrasse du café-restaurant, est aujourd’hui
tronquée en partie. Le mur d’enceinte, partiellement abattu, laisse l’accès à
cette terrasse. Seul le vieux puits, vestige rescapé de cette époque, est
encore visible. C’est là que, midi et soir, nous nous lavions les mains…
(1) Trinqueballe : Le triqueballe ou trinqueballe est un engin
forestier, de type du fardier, qui sert au transport des troncs d’arbres peu de
temps après leur abattage au cours du débardage. (Wikipedia).
(2) Décavaillonneuse
: charrue conçue pour travailler la terre des vignes au plus près des ceps, là
où la charrue ordinaire ne peut intervenir, afin de désherber (Wiktionnaire)
Le Circaète - La Grenouille n°40 - Juillet 2018
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