C’est
juste après la guerre que Roger Charbonnier, fils d’agriculteur de
Soings-en-Sologne, achète l’Hôtel des Voyageurs à la famille Brunel. Nous
sommes en 1946 et la famille Charbonnier vient d’avoir son deuxième enfant,
Jean, après Ghislaine née quatre ans plus tôt.
L'Hôtel des Voyageurs dans les années 60 |
Tous les dimanches à la belle
saison, la jeunesse locale s’affrontait lors de mémorables courses cyclistes.
En fin d’après-midi, Denise offrait gratuitement des tartes aux pommes aux
coureurs. Roger était un « acharné » du vélo et ouvrait toutes les courses en
précédant le peloton sur sa moto. Les congés payés apportèrent leurs effets et
les parisiens commencèrent à arriver le week-end.
Les entreprises de Blois
étaient friandes de la bonne cuisine des deux restaurants de qualité de
Cour-Cheverny qu’étaient « Les Voyageurs » et « Les Trois Marchands », les
références du bien manger et du bon accueil.
La boucherie Arnoult dans les années 60 |
Une affaire de famille
En
1957, Jean-Claude Pillault, jeune cuisinier sorti depuis peu de l’école
hôtelière, arrive à l’hôtel-restaurant des Voyageurs pour seconder Denise aux
fourneaux. En 1962, il épousera la fille des patrons, Ghislaine, qui secondait son
père dans la gestion de l’établissement. Jean-Claude et Ghislaine eurent trois
enfants : Sylvie, Corinne et Éric. Sylvie seconda sa mère et Corinne épousa
Daniel, le second de son père en 1971. Éric fit l’école hôtelière avant de
faire ses armes dans de grands établissements et de rentrer au bercail en 1996 pour
soulager son père malade.
Une vie de quartier bienveillante dans les années 1955 à 1970
La vie de quartier s’était organisée autour d’un « point d’eau
» : le bar de l’Hôtel des Voyageurs ! Les indigènes se nommaient, et surtout se
surnommaient :
- le docteur Benoistel, dit « Beubeu » ;
- Paul Arnoult, le
boucher, dit « Popaul » ;
- Roger Duceau, le garagiste, dit « Duduce » ;
-
l’abbé Vert, dit « Monseigneur » ;
- Robert Morin, le conducteur de car, dit «
Bébert » ;
- M. Menault, le jardinier, dit « Loin du ciel » (1,55 m) ; -
Mme
Baranger, dite « la mère Tapdur » ;
- Robert Chéry, le grainetier/taxi ;
- M.
Charbonnier, l’hôtelier, dit « Ouin-ouin ».
Il était d’usage aussi pour les
clients du garage ou de la boucherie, d’aller boire un « petit coup de blanc »
dans la matinée ou à l’heure de « l’apéro » vers midi. Cette vie de quartier se
prolongeait le soir aux beaux jours quand, après le dîner, tous les habitants
alentour sortaient leur chaise sur le trottoir, devant leur porte, et
papotaient jusqu’à la nuit. La télévision n’avait pas encore investi les
foyers... Les enfants jouaient dans la rue où il passait une voiture seulement
de temps en temps. Une sorte d’insouciance et de bonheur tranquille planait sur
cette vie de quartier simple et joyeuse.
La grange du garage Peugeot, au fond
du terrain, était mitoyenne avec le mur d’enceinte du parc du château de
Cheverny. La petite fenêtre, une « bouinotte (1) », donnait directement sur le parc et les gamins du village
passaient par ce « petit trou » pour aller pêcher dans la rivière (le Conon)
qui traverse le parc et dans « la piscine des chevaux » avec l’autorisation du régisseur,
« l’oncle Berthier ». Les enfants rapportaient des bourriches remplies de
perches « Arc-en-ciel », immangeables, mais qui donnaient le sentiment de
privilège que de pouvoir s’ébattre en liberté dans le parc du château.
En 1966,
Roger Duceau fit construire un nouveau garage à la sortie du bourg de
Cour-Cheverny et vendit à Roger Charbonnier son emplacement qui permit à
l’hôtel d’aménager un parking. À la fin des travaux, en 1969, l'Hôtel des
Voyageurs prit le nom de « Hôtel Saint-Hubert », en l'honneur du Saint patron
des chasseurs.
Le Tour de France à Cour-Cheverny
La passion du vélo de
Roger Charbonnier fut récompensée un jour par le passage de François Mahé et de
son épouse un soir d’automne, après un critérium local. François Mahé et ses deux
copains, les frères Groussard, étaient trois coureurs cyclistes bretons qui
faisaient office de « porteurs d’eau » pour les leaders des grandes équipes au
sein du peloton. Les vedettes de l’époque étaient Jacques Anquetil, Raymond
Poulidor, Eddy Merckx, Roger Pingeon, Lucien Aimar... François Mahé se lia
d’amitié avec Roger Charbonnier et promit de revenir avec ses copains après le
Tour de France. Il tint parole et les plus grands noms du cyclisme prirent
l’habitude, pendant plus d’une dizaine d’années, d’investir l’Hôtel Saint-Hubert
en septembre. En plus des grands vainqueurs comme Jacques Anquetil et Eddy Merckx,
une partie du peloton suivit : André Darrigade, Jean Graczyk (dit
"Popof"), Jean Stablinski, Rudi Altig, Tom Simpson, Raphaël Géminiani...
et le journaliste sportif de la télévision : Robert Chapatte. Pendant deux jours,
les enfants du village défilaient en file indienne pour solliciter des
autographes. Tous ces grands sportifs venaient courir un critérium à
Soings-en-Sologne en échange d’une partie de chasse et d’un casse-croûte.
Anquetil buvait du champagne dès 9 h du matin et Popof avait un faible avéré
pour les jeunes serveuses... L’ambiance était « bon enfant ». Roger Charbonnier
proposa à la municipalité et aux instances sportives locales de créer un événement
sportif autour du parc du château de Cheverny. L’épreuve eut lieu une seule
fois. D’autres belles rencontres se produisirent à l’Hôtel Saint-Hubert pendant
le tournage du film « Peau d’Âne » à Chambord : Jacques Demy, le metteur en
scène, y séjourna un mois, ainsi que Catherine Deneuve.
Les chasses «
républicaines »
Dans les années 80-90, François Mitterrand avait coutume
d’inviter à la chasse à Chambord quelques amis de Château-Chinon. Un groupe
d’une dizaine de personnes passait plusieurs jours à prendre du bon temps à la chasse
et à la table de l’Hôtel Saint-Hubert. La dernière année du mandat de François Mitterrand,
ses amis, pressentant la défaite du parti, arrosèrent copieusement au champagne
ce dernier séjour à Cour-Cheverny.
Le coeur a ses raisons...
Une cliente
« fidèle » venue de Bretagne réserva un soir un dîner pour deux et une chambre.
Son ami était en fait le curé de son village de Bretagne. Lorsqu’ils
pénétrèrent dans la salle du restaurant, ils se retrouvèrent face à un groupe
d’habitants de leur village qui séjournait à l’hôtel pour un week-end de chasse
en Sologne. Le couple en fut quitte pour monter un plateau repas dans sa
chambre...
De tous ces commerces qui foisonnaient de la vie et de la
convivialité d'une époque révolue, seul l'Hôtel Saint-Hubert demeure en
activité aujourd'hui. L’hôtel-restaurant « Le Saint-Hubert » a été cédé à M. et
Mme Tisserand en 1999 et ensuite à Chistian Peudevin en octobre 2016.
(1) Bouinotte : lucarne en berrichon.
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