Les enfants de chœur

Ils sont le reflet d’une époque où les enfants participaient très tôt à la vie de la collectivité par des engagements forma­teurs au sein d’institutions ou d’organisa­tions qui n’étaient pas remises en ques­tion. Dans nos villages ruraux, beaucoup d’enfants se mêlaient naturellement au travail de la ferme ou rendaient quelques services en fonction de leur âge et de leurs possibilités, en dehors des horaires scolaires.

Patrice Duceau, élève de l’école publique de Cour-Cheverny à la fin des années 50/début des années 60, était enfant de chœur, comme une dizaine de ses camarades.


Patrice Duceau : « J’ai le souvenir d’une époque bienveillante. Nous avions entre 7 et 12 ans et suivions l’enseignement religieux au catéchisme. Nous étions surtout une bande de copains, issus de familles pas forcément pratiquantes, mais qui ne s’opposaient pas à notre engagement au service du curé, l’abbé Tertre. On se rendait très tôt autonomes pour notre argent de poche en occupant la fonction d’enfant de chœur. Mes copains avaient pour noms Jean-Mary et Jean-Claude Grateau, Charles et André Rigny, Daniel Besson, qui habitait près du pont de Beignon, Jean-Pierre Bigot, le fils de Roland, l’ouvrier de mon père, Jacky Beaufils, dont le père travaillait pour l’entreprise Roy à Cheverny...».

Les enfants de choeur dans les années 60 à Cour-Cheverny

Les enfants de chœur en 1971 ou 1972 

Premier rang, de g. à dr. : Éric Duceau ; Régis Guignebert ; ? Cattin ; Jean-François Lejard ; Pascal Lejard ; Jean-Luc Bessé Second rang, de g. à dr. : Olivier Drucy ; José Bessé ; l’abbé Pierre Dada ; Jean-Luc Guignebert ; Thierry Lelièvre.


Le sacerdoce des enfants de chœur

Patrice Duceau : « 7 ou 8 enfants de chœur servaient la messe le dimanche : la "petite messe" de 7 heures et la messe de 10 h 30. Deux d’entre-nous étaient agenouillés de chaque côté de l’autel. Un autre, à droite, sou­vent le plus jeune, actionnait la cloche pour le Sanctus (l’Élévation), un à gauche s’occu­pait des burettes et les autres se tenaient à l’arrière. Moi, j’étais souvent chargé d’agiter l’encensoir. À la sortie de la messe, un enfant de chœur portait la croix vers la sortie de l’église et la foule suivait... Puis nous quittions notre soutane pour nous retrouver au Café de Paris autour de diabolos menthe en écoutant Elvis... Nous achetions des Malabars et des P4 (1) pour les plus grands qui commençaient à fumer.

Nos missions n’étaient pas de tout repos : chaque jour de la semaine, le curé servait la "petite messe" à sept heures. Les semaines où j’étais d’astreinte, ma mère me réveillait à 6 h 30. Je buvais mon chocolat et je partais à pied du garage de mes parents situé près de l’Hôtel des Voyageurs (2), en direction de l’église. Je traversais les rues sombres du bourg avec ma lampe électrique, mes charen­taises aux pieds, sans oublier mon cache-col quand il faisait froid. Arrivé à la sacristie, j’enfilais ma soutane rouge avec ses 25 bou­tons et mon surplis blanc brodé. Seules trois femmes assistaient chaque jour à ces messes en semaine, dont Melle Madeleine, la respon­sable de l’école libre et Melle Chanteaume, son adjointe. L’enfant de chœur d’astreinte gagnait 1 franc par semaine pour assurer la "petite messe" pendant 6 jours ».


L’argent de poche

Patrice Duceau : « En plus des messes quotidiennes, les enfants de chœur offi­ciaient pour les enterrements : un seul était sollicité pour l’occasion, qui gagnait 50 centimes. Suite à un décès, M. Ouvrard, le garde-champêtre, se postait à 4 ou 5 endroits stratégiques du village pour annon­cer la nouvelle, qu’il accompagnait de rou­lements de tambour. Il criait en substance : "Attendez-vous à savoir : Jules X est mort ! L’enterrement aura lieu après-demain à 14 h. Qu’on se le dise !". Le corbillard était remisé dans une grange, au fond de la cour, passé le porche qui se trouve près de l’entrée du bureau de poste actuel. M. Gaveau attelait Pompon, son cheval, et l’équipage attendait le cercueil à la sortie de l’église. Le cercueil chargé, une véritable procession se formait derrière le corbillard. En tête, l’enfant de chœur qui portait la croix, suivi du curé, de la famille et des relations... On entamait alors un vrai tour du village. Le cortège se dirigeait vers le boulevard Carnot (qui passe près de l’école et de l’ancienne gare), on tournait à gauche au bout du boulevard (rue du 8 Mai 1945) pour rattraper la rue Nationale et se diriger à nouveau vers le centre bourg jusqu’au garage. Là, nous bifurquions à gauche vers la place de la mairie. Ensuite seulement nous prenions le chemin le plus court vers le cimetière.

Les messes de baptême étaient servies après la messe du dimanche. Deux enfants de chœur restaient pour seconder le curé.

Pour une messe de mariage, quatre enfants de chœur étaient mobilisés. À la sortie de la messe, nous étions autorisés à faire la quête et à en partager le produit entre nous.

Lors de la messe de Pâques, nous achetions des brioches à la boulangerie Renault. Nous les coupions en petits morceaux que le curé bénissait. Nous les distribuions à la sortie de la messe en même temps que la quête qui était aussi à notre bénéfice ».


La collecte des œufs de Pâques

Patrice Duceau : « La collecte des œufs de Pâques mobilisait tous les enfants de chœur pendant six jours complets. Il s’agissait de se rendre en délégation dans toutes les fermes et les 27 châteaux de la commune pour y collecter des œufs de poule. Chaque soir, nous allions les vendre à M. Baudouin, le cocassier (3) du bou­levard Carnot. À la fin de la semaine, le curé partageait l’argent récolté entre ses enfants de chœur. Chacun d’entre nous gagnait environ 50 francs à l’issue de cette période. Un vrai "pactole" si on considère qu’une mobylette coûtait 92 francs. Plusieurs de mes copains ont pu se payer la fameuse mobylette après deux ans de service. Bien sûr, seuls ceux qui avaient 14 ans pouvaient la piloter...

Chaque matin de cette semaine était une expédition. Nous traînions deux "carrioles" : l’une était un ancien landau de bébé modifié, avec de grosses roues et deux ridelles pour réhausser les côtés. Nous avions tapissé le fond avec de la balle, résidu du battage du blé, pour y entreposer les œufs. Notre deuxième "véhicule" était une remorque un peu plus grande qui contenait notre logistique (sacs, pique-nique, boissons, vêtements chauds...).

Notre périple était bien défini :

- 1er jour : La route de Blois, Clénord, retour par La Bijourie, Les Huards... ;

- 2jour : Route de Romorantin jusqu’aux bois de Cheverny et retour par la route de Fontaines-en-Sologne ;

- 3jour : Route de Bracieux, La Borde jusqu’à la limite de Tour-en-Sologne ;

- 4jour : Route de Fontaines, Le Gué-la- Guette, Route de Sérigny, Chercherelle... ;

- 5jour : Route de Fougères, le Petit Chambord, Pontchardon... ;

- 6jour : Le bourg.

Nous progressions au long des routes et des chemins en chantant : "Alléluia du fond du cœur, n’oubliez pas les enfants de chœur car le Bon Dieu vous bénira. Alléluia !".

L’ambiance était joyeuse. Tout en avançant, nous cherchions à nous distraire et ça nous coûtait généralement quelques œufs...

Un de nos jeux consistait à lancer un œuf par dessus les câbles électriques portés par les poteaux à quelques mètres du sol au bord de la route. Il s’agissait de rattraper l’œuf de l’autre côté du câble sans le casser...

Et le jour où Mme Montagne, à Chercherelle, nous a donné une douzaine d’œufs, ceux-ci n’ont pas franchi la cour de la ferme. Charles Rigny ayant surpris, ou tout au moins soup­çonné, un mauvais regard vers lui de la part de la mère Gobette (4) lui a envoyé spontanément à la tête les œufs qu’il avait en main. Les autres enfants de chœur ont emboîté le mouvement et la douzaine d’œufs s’est éclatée sur la pauvre truie. Mme Montagne nous a chassés à coups de balai... De retour le soir au village, le curé, qui avait été mis au courant de notre attitude, nous a passé une avoinée ! ».

Les enfants de choeur dans les années 60 à Cour-Cheverny


1965

Cette année-là, en octobre, l’abbé Pierre Dada arrive à Cour-Cheverny. Il succède à l’abbé Tertre, qui était en poste depuis 1928, et assure ses fonctions sur les communes de Cour-Cheverny et de Cheverny. L’abbé Dada décède en 2000.

1965 est aussi l’année du concile Vatican II, qui modifie certaines pratiques au sein de l’Église catholique. Le rituel de la messe est désormais servi par le curé face à l’assemblée et la messe est dite en français et non plus en latin. L’abbé Dada réaménage le chœur de l’église en fonction des nouvelles contraintes. La soutane rouge des enfants de chœur est remplacée par une aube blanche et le surplis brodé est supprimé.


1967 : le « Club des cinq »

C’est l’année où Éric Duceau, le jeune frère de Patrice Duceau, devient enfant de chœur, en même temps que Olivier Drucy, Jean- Luc Bessé, Jean-Luc Guignebert et Thierry Lelièvre. Puis sont arrivés des plus jeunes, issus des rangs du cathéchisme.

Éric Duceau : « Les sœurs, qui logeaient à l’école libre près du pont de Beignon, faisaient évidemment partie des fidèles qui fréquentaient la messe. Elles nous sermon­naient quand, vers 14 ans, les enfants de chœur regardaient les filles de la maison des Fuselières (des Parisiennes en résidence secondaire).

Suite à Vatican II, les enfants de chœur ont été mobilisés pour effectuer les lectures qui précèdent l’Évangile, lu par le Père, et les psaumes. La fuite d’Égypte, un texte difficile à lire, c’était pour moi... Comprenait-on toujours ce que l’on lisait ? Ça se discute...».


1969

Les filles ont la possibilité de devenir enfant de chœur, au bon vouloir des évêques et des curés. On pouvait prétendre à la fonction de 7 à 20 ans.


Les années 70

Éric Duceau : « Je me souviens des chauve-souris qui voletaient dans la nef les soirs de messe. Des travaux importants ont été effectués dans les années 70 par la mairie (les sols, le chauffage, les bancs, les boiseries du chœur qui étaient totalement vermoulues...). On changeait d’époque en passant de l’après-guerre au monde moderne : la preuve, j’ai reçu ma mobylette orange peu après...

Les communions solennelles étaient aussi un grand moment attendu qui prenait des allures de fête pour les villages.

Notre petit groupe d’enfants de chœur s’est doucement dissous et de nouvelles têtes sont arrivées dans les années 76 ».

Au début des années 80, Marie-Christine Guy et Emmanuelle Debré ont été les premières filles enfants de chœur auprès de l’abbé Dada. Marie-Chistine se souvient particuliè­rement de la messe de la Sainte-Cécile, où chaque année la fanfare venait honorer la patronne des musiciens.


J.-P. T.


Merci à Patrice Duceau, Éric Duceau, Christophe Lejard, et Marie-Christine Guy pour leurs témoignages et leur aide.

(1) P4 : Cigarettes « Parisiennes » vendues par paquets de 4.

(2) L’Hôtel des Voyageurs est devenu Le Saint- Hubert.

(3) Cocassier : Ramasseur d’œufs qui par­courait en voiture la campagne et achetait les œufs dans les fermes ; on l’appelait aussi coquetier - (Bulletin de la Société Paul Claudel, Volumes 25 à 32, 1967 / Wikipédia) .

(4) Gobette : Truie en solognot.


La Grenouille n°48 - septembre 2020

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