Boucher de père en fils…
Henri Château est né le 6 juillet 1888 à Vicqsur- Nahon dans l’Indre. Il travaillera chez son père, Georges Dieudonné, boucher dans ce village. Des documents généalogiques mentionnent un membre de la famille Château boucher en 1831, et d’autres indiquent pour Georges la profession de « sabotier puis charcutier ». On ignore quand Georges (1848- 1915) a cessé son activité, mais on croit savoir que la boucherie sera ensuite tenue par son fils Julien Romain, puis plus tard par sa petite fille Jeanne qui épousera en 1925 un des employés de la boucherie, Louis Henri Boucher (eh oui ! ça ne s’invente pas…).Quitte à sortir du cadre
habituel de nos deux communes, nous ne résistons pas au plaisir de partager une
information du même genre… : en rédigeant cet article, nous avons appris qu’à Contres,
dans les années soixante, M. Isidore Cotellette tenait un « commerce de gros
bestiaux » (Réf . Société.com). On apprend également que cette correspondance
entre nom de famille et métier s’appelle un aptonyme…
Mais revenons à nos
moutons
N’ayant semble-t-il pas
eu la possibilité de reprendre le commerce paternel tenu par son frère, Henri
Château cherche donc à s’établir ailleurs. Un autre de ses frères, Amédée,
était boucher à Chitenay. C’est ainsi qu’Henri a dû connaître notre région, et
qu’il achètera en 1913 la boucherie de Maxime Leroux, située rue Nationale à
Cour-Cheverny. Celui-ci prend alors sa retraite et acquiert la maison située un
peu plus bas dans la même rue, où habitera plus tard sa fille Rolande, épouse
de Fernand Brunet qui fut maire de la commune de 1953 à 1970.
Mais Henri n’exercera
son métier que quelques mois dans sa boucherie courchoise, car il est mobilisé
le 3 août 1914 pour la guerre contre l’Allemagne. Il avait auparavant participé
à des campagnes militaires en Algérie et au Maroc de 1909 à 1911. Démobilisé le
12 juillet 1919, c’est seulement à partir de cette date qu’il pourra exercer
son métier de boucher à Cour-Cheverny, après plus de sept années passées dans
l’arméeLa boucherie Château
s’installe à Cour- Cheverny pour de longues années...
Henri se marie en 1919
avec Marcelle Léon et le couple aura quatre fils : René, né en 1921 et mort en
bas âge, Jean, né en 1922, un autre René né en 1924, Georges (dit Jojo) né en
1926.
Et c’est ainsi que Jean,
caché en forêt de Cheverny, entre dans la Résistance ; René et Jojo le
rejoindront plus tard et ils y resteront jusqu’à la Libération en 1944. Ils
participent notamment à des parachutages dans la plaine du Colombier et à
d’autres actions dont nous n’avons pas le détail.Il se dit dans la
famille qu’ils ont toujours refusé d’être considérés comme des héros, car ils
s’étaient engagés dans le mouvement comme par jeu, faisant des farces aux Allemands…
Mais ils ont certainement vécu des évènements bien plus dramatiques, dont ils
ne se sont jamais glorifiés…
Henri, boucher rue
Nationale…
Dans son commerce de la
rue Nationale, Henri vendait, avec son épouse Marcelle, de la viande de boeuf,
de veau, de mouton et d’agneau. La boutique d’origine (photo ci-contre datant
de 1930 environ) était typique des boucheries d’autrefois, avec une façade très
ouverte sur l’extérieur, qui se fermait en déployant un rideau métallique qui
se déplaçait sur des roulettes, guidé par un rail. Dans toute la France à cette
époque, et jusque dans les années 60, on rencontrait fréquemment ce type de
devanture de boucherie.
Henri abattait lui-même
ses bêtes au fond de la cour derrière la boutique. La boucherie sera rénovée
avec une façade moderne à une date inconnue. Henri cessera son activité en 1949
pour raison de santé, et décèdera en 1953.
…puis son fils JeanJean avait travaillé de
nombreuses années auprès de son père et lui succède en 1949. Il épouse Rolande
Gaugry en 1946, et le couple aura deux enfants : Claudine née en 1950, aujourd’hui
décédée, et Bertrand né en 1955. Rolande étant d’une famille de marchands de volailles
à Mur-de-Sologne, le commerce de boucherie va se compléter avec la vente de «
bêtes à plumes » : poulets, perdrix, etc., et lapins, le lapin étant aussi
commercialisé par le volailler… Il était également charcutier, s’approvisionnant
auprès de fournisseurs locaux. Lui aussi rénovera la boutique, avec une
nouvelle façade.
Comme son père, Jean achetait sa viande en campagne, chez les éleveurs des villages alentour. Tout se faisait à l’époque en circuit court, ou très court… Les bêtes étaient désormais abattues à l’abattoir communal (1) de Cour-Cheverny, situé route de Blois (à l’emplacement de l’actuel ehpad La Favorite) et qui fermera ses portes en 1969.
Quatrième génération de bouchers Château
Après Georges, Henri et Jean, Bertrand s’est naturellement engagé dans le métier en se formant petit à petit auprès de son père, mais surtout à Paris, à l’Ecole Supérieure des Métiers de la Viande (ENSMV) qui lui a donné l’occasion de faire de nombreux stages en boutique, puis de travailler dans différents établissements de la capitale. Il revient à Cour-Cheverny en 1983 et prend la succession de Jean avec Anne son épouse, auparavant documentaliste, qui apprendra le métier à ses côtés. L’activité se complète avec la charcuterie désormais confectionnée sur place, la vente d’abats et le commerce de traiteur. On rêve aujourd’hui de retrouver un tel commerce dans le village !... Surtout quand on se souvient qu’à cette époque, le village comportait deux autres boucheries tenues par André Douet et Paul Arnoult, sans oublier la boucherie chevaline de M. Hochart et deux charcuteries tenues par Michel Geniès (et son grand-père quelques décennies plus tôt…) et Bernard Marier (précédemment M. Duguet) !...
La boutique et la façade de la boucherie Château seront à nouveau transformées en 1985, avec la réfection du laboratoire et des chambres froides. La boucherie a régulièrement employé cinq personnes, dont de nombreux apprentis qui se sont formés chez les Château. Tout comme Bertrand, qui se souvient avoir été « dressé », comme il dit, par Gilbert Bertrand, un des employés, qui habite toujours dans le village.
L’abattoir de Cour-Cheverny (1)
Bertrand Château : « J’ai quelques souvenirs de l’abattoir du temps où tout gamin j’y accompagnais mon père. Les gardiens se nommaient M. et Mme Haudon et je pense me rappeler que ces postes étaient réservés aux anciens combattants.
Chaque boucher avait sa case, soit au total quatre ou cinq pièces d’une quinzaine de m2, chacune équipée d’un treuil pour suspendre les bêtes après l’abattage. En bas de la cour une pièce était réservée à l’abattage des porcs et une autre au stockage des peaux qui étaient salées et pliées après chaque abattage. C’était en général le travail de l’apprenti, tâche qui demandait beaucoup de soins.
Un ramassage était organisé tous les six mois environ par les Tanneries vendômoises ; à cette époque ces peaux représentaient une valeur assez conséquente. Aujourd’hui cela ne vaut plus grand chose, et les peaux sont recyclées pour différents usages.
À la boucherie, les graisses et les os étaient ramassés chaque mois et partaient du côté de Nantes dans une fabrique de produits de beauté ».
Un métier très varié...
La continuité du métier dans la famille nous permet d’en prouver tout l’intérêt, que Bertrand nous décrit sous différents aspects :
B. C. : « J’adorais observer les animaux et le contact avec les éleveurs, pour connaître leurs pratiques d’élevage, et négocier avec eux pour acheter les bêtes. Il m’arrivait souvent d’y aller le lundi (jour de fermeture), car c’était un vrai plaisir pour moi ».
À ce sujet, 40 ans après, une cliente se souvient encore de l’expression d’une éleveuse locale, personnage haut en couleur, qui questionnait ainsi le boucher dans la boutique : « C’est-y d’mon viau la viande qu’tu vends aujourd’hui ?... ». Après la réponse positive du boucher, tout le monde prenait du veau… Et le commerce donnait de bonnes occasions de « tailler la bavette », à propos de viande ou d’autres sujets…
B. C. : « Je faisais également des tournées, quatre fois par semaine, pour livrer dans les villages alentour. De quoi connaître par coeur toute la campagne environnante ! Je croisais souvent Josiane Tessier qui livrait le pain au volant de la 2CV camionnette de la boulangerie Renault. Je rendais également service au vétérinaire de Bracieux, M. Château (encore un Château !) puis M. Cornuau, en distribuant ses médicaments aux éleveurs qui se trouvaient sur ma tournée ; c’était aussi l’occasion de recruter du personnel : on me demandait souvent si j’avais une place pour accueillir un jeune attiré par la boucherie.
J’allais aussi deux fois par mois aux Halles de Rungis pour rapporter les morceaux qui me manquaient. J’y arrivais vers 3 heures du matin, et revenais en fin de matinée, après avoir partagé sur place un joyeux casse-croûte entre amis.
Le travail à l’abattoir et en boutique était très varié : découpe des quartiers, préparations bouchères (paupiettes, rôtis, etc.), confection de la charcuterie, et bien sûr la vente au client ».
À propos de quartiers, on peut rappeler que les quatre parties de la carcasse d’un boeuf (ou autre bétail) sont obtenues par la séparation de la carcasse, le long de l’épine dorsale, en deux demies, chacune de ces deux demies étant ensuite séparée transversalement en partie arrière et avant. Et Bertrand nous apprend que le « 5e quartier » désigne les abats…
Bertrand nous évoque également une tradition qui rappellera des souvenirs à beaucoup d’anciens : en boucherie, on offrait une rondelle de saucisson aux enfants qui accompagnaient sagement leurs parents pour faire les courses…
B. C. : « J’abattais un ou deux boeufs par semaine, et 5 porcs. Nous avions un stock de 3 semaines environ, sachant qu’il faut laisser la viande au repos une semaine, pour qu’elle mature ».
Et le boucher doit
savoir vendre toute la viande des bêtes abattues, et donc gérer ses stocks, ce
qui n’est pas simple... Les goûts du consommateur évoluent au fil des saisons
et des années, et l’on mange aujourd’hui davantage de quartiers arrières (les «
morceaux nobles » : côtes, entrecôtes, filets,…), que d’autres morceaux qui
nécessitent une cuisine plus longue (ragoûts, viandes mijotées, etc.) et sont
donc plus difficiles à commercialiser.
…avec son lot de
difficultés
Bertrand et Anne
évoquent notamment la crise de la vache folle dans les années 90, où il fallait
convaincre la clientèle que la viande de la boutique, de provenance locale
garantie, était tout à fait consommable.
Anne Château : « Le passage à l’euro en 2000 fut également
un moment compliqué, où il a fallu changer la caisse enregistreuse, les
balances et les étiqueteuses. Le passage aux 35 heures en 2000 fut aussi une
période délicate dans la gestion du personnel, avec toujours la difficulté à
recruter ».
Dans les « tâches
annexes », il fallait aussi procéder à la lessive des tenues du personnel (vêtements,
tabliers, etc.) qui se changeait une ou deux fois par jour, et bien sûr assurer
la comptabilité.
En 2005, Anne et
Bertrand décident, pour raison de santé, d’arrêter l’activité de boucherie, pour
pratiquer l’élevage de poneys et l’accueil en chambre d’hôtes à la ferme de
l’Ébat, route de Romorantin au lieudit « La Petite Taurie », que Jean avait
achetée en 1960.
Les quatre enfants du
couple ont apporté leur aide au commerce dans leur enfance, mais ont ensuite
tous pris des voies différentes : Luc, célèbre cavalier et éleveur de chevaux, Pierre
agriculteur céréalier, après avoir été quelques années acheteur-estimateur de bétail
(2), Antoine restaurateur à Charleroi (en Belgique) et Vincent
maroquinier travaillant pour Hermès.
Le domaine de l’Ébat
s’est petit à petit transformé et est maintenant devenu le Haras des Châteaux,
géré par Luc et Caroline Quéval sa compagne.
Luc est un cavalier de renommée nationale et internationale, et a obtenu de nombreux succès avec son cheval Propriano, né à l’Ébat. Celui-ci est aujourd’hui âgé de 21 ans, et mène une vie de reproducteur en Allemagne. Il devrait rejoindre prochainement son haras natal.
Luc continue la compétition au plus haut niveau avec les enfants de Propriano, Cocorico de l’Ébat et Bastia de l’Ébat.
Merci à Anne et Bertrand
Château, qui nous ont permis de retracer l’histoire d’une famille et d’un
commerce dont le village aimerait profiter à nouveau…, ainsi qu’à Jacqueline Viginier,
fille de René et Gabrielle Briquet.
P. L.
(1) Voir « Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher... et nos petites histoires ». Éditions Oxygène Cheverny - Nov. 2018 : page 114 « L’abattoir de Cour-Cheverny ».
(2)
L’acheteur-estimateur de bétail pratique le négoce de la viande, entre
producteurs et distributeurs. On employait autrefois le terme de maquignon, qui
s’appliquait au commerce des chevaux, puis par extension à celui de tout le
bétail vivant. De manière péjorative, le terme désigne également un
entrepreneur peu scrupuleux en affaires (Larousse).
(3) Nous reviendrons
plus longuement sur cette galerie de portraits dans un prochain numéro de « La
Grenouille ».
La Grenouille n°68 - juillet 2025
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