En visitant le château de Cheverny, on est toujours admiratif devant la qualité des décors et notamment des peintures, dans un état remarquable… Damien, Chevernois, nous a transmis le témoignage de son grand-père, qui lui a évoqué le souvenir de son métier de peintre oeuvrant autrefois au Château de Cheverny, artisan de cette qualité qui ne date pas d’hier…
D’abord au château de Ménars…
Guy Bleau est né en 1931 dans le hameau de Fleury sur la commune de Suèvres, d’un père cantonnier et cultivateur, et d’une mère qui tenait un café. En 1945, Guy, alors âgé de 14 ans, travaille en apprentissage comme peintre en bâtiment chez M. Gagnepain à Ménars, ami de ses parents.
La première année, il intervient comme peintre-vitrier au château de Ménars alors propriété de Saint-Gobain. Durant les années précédentes, les Allemands avaient repeint une bonne partie des pièces en gris et les plafonds en blanc, et brisé une multitude de carreaux aux fenêtres.
Perché à plusieurs mètres de hauteur sur son échelle double, assis en équilibre sur les barreaux, Guy retirera difficilement la peinture appliquée par les Allemands, avant de pouvoir étendre une nouvelle peinture. Il restaurera également les fenêtres ainsi que les parois d’une serre, allant chercher les verres à l’aide d’un diable à la gare de Ménars, en provenance des usines Saint-Gobain. Et Guy se souvient que c’est sur ce chantier qu’il en a le plus bavé.
…puis au château de
Cheverny
Suite à une altercation
avec son patron qui l’avait injustement sanctionné, Guy quitte l’entreprise un
vendredi soir, avec quelques difficultés pour récupérer ce qui lui était dû, et
est embauché dès le lundi chez Robert Janvier, peintre à Blois. M. et Mme
Janvier habitaient rue Chambourdin, dans une maison où était entreposé tout le
matériel de l’entreprise, et où était installé le salon de coiffure de Madame.
Guy réalisera de
nombreux travaux de peinture à l’intérieur du château, sur des murs, des boiseries,
des plinthes. Il réparera également, avec son patron, des tables, des chaises
et des fauteuils.
Tous deux allaient aussi repeindre de grands panneaux en bois indiquant « Visitez le château de Cheverny », qu’on pouvait voir sur les murs et sur les routes de tout le département. Certains, abimés par le soleil, nécessitaient une restauration complète, d’autres, en tôle galvanisée, avaient besoin d’un simple nettoyage à l’eau.
Le marquis de Vibraye les avait autorisés à s’installer dans un des box de la partie droite des écuries qui ne recevait plus de chevaux. Un jour d’hiver, Guy et ses collègues déjeunaient sur une table installée au fond de l’ancien box converti en atelier. Le marquis, entendant des voix, fait irruption dans l’atelier : « C’est ici que vous mangez ? Vous avez froid ! Je m’occupe de vous ». Il revient une trentaine de minutes plus tard et leur dit « À partir de maintenant vous demanderez au concierge, il vous expliquera, vous irez manger là-bas et il vous fera du feu le midi ». Après que le gardien eut remis en état la pièce présente sur la partie gauche des écuries, elle devint leur pièce de vie et ils purent ainsi manger au chaud.
Un jour de pluie, Robert Janvier s’adresse à ses ouvriers : « Vous voyez le temps qu’il fait, vous savez ce qu’il faut que l’on fasse... ». Ils durent repeindre toutes les sous-faces en bois du bâtiment des écuries, dépassant de 40 cm environ et s’étalant sur plus de 500 m de long…. Ils y apposèrent trois couches de couleur brun Van Dick (rouge sang foncé) et le travail devait être terminé en une semaine, avant une date précise. Pendant tout ce temps, il tombait de l’eau à ne plus jamais s’arrêter. Le patron leur avait acheté un semblant de veste imperméable qui ne leur servit pas à grand-chose car les toits n’ayant pas de gouttières, l’eau dévalait la toiture et se jetait sur eux ; ils en prenaient plein la figure et les bras, tandis qu’ils peignaient les dessous de toits qui eux étaient au sec…
Toujours bien traités Très souvent, à la suite d’une partie de
chasse à courre ou d’une vidange d’étang, le marquis venait retrouver Guy pour
lui dire : « Monsieur le Peintre ! Vous passerez voir le concierge avant de
partir ». Ce à quoi Guy répondait « Oui, oui, c’est d’accord Monsieur le
Marquis ». Cela indiquait qu’il leur avait mis de côté un demi-sac de viande
(biche ou cerf) ou de poisson, coupé et vidé. Et Guy de préciser : « Si tu
étais là, tu étais sûr de partir le soir avec quelque chose ».
Le village à une autre
époque…
De l’autre côté de la route, se trouvait aussi un café-restaurant (aujourd’hui « Le Pinocchio ») ; il était ouvert le midi pour les ouvriers et tenu par une femme prénommée Marie et sa fille. Si la mère de Guy n’avait pas eu le temps de lui préparer à manger, il passait au café-restaurant le matin et demandait à Marie de lui préparer quelque chose pour le midi. Il mangeait avec elles et non dans la salle avec les autres ouvriers.
Guy a eu connaissance de la présence d’abris en bois recouverts de toits en tôle ou en ardoises sur le parking du château, où était amené le bois du parc afin de le transformer en charbon pour les gazogènes ; cela servait de carburant alternatif pour les véhicules car l’essence se faisait rare durant la guerre. Après-guerre, une fois qu’il y eut assez d’essence, les installations furent démolies
Le transport…
Un matin, le patron
déposa Guy et Jojo à Cheverny, avant de prendre la route pour Orléans. Guy et
Jojo travaillèrent toute la journée puis attendirent vainement leur patron de 18
h à 19 h pour le retour.
Ne le voyant pas
arriver, ils prirent à pied le chemin de Blois ; après 15 minutes de marche, ils
arrivent sur la place de l’église de Cour- Cheverny. Le patron des Trois
Marchands, M. Bricault, chez qui ils mangeaient certains midis et pour qui ils
ont travaillé longtemps dans les chambres et les salles de déjeuner, était un grand
ami de leur patron. En les apercevant, il leur demande où ils allaient ainsi à
pied et leur propose de les emmener, mais Jojo refuse. Et c’est ainsi que les
deux sportifs arrivèrent à Blois après 3 h 30 de marche sur 15 km...
Lorsque Guy arrive chez
son patron pour prendre son vélo et rentrer chez lui à Suèvres, celui-ci
s’aperçoit qu’il a oublié d’aller les chercher et leur demande comment ils ont
fait… Guy lui explique qu’ils sont revenus à pied… « M. Bricault a proposé
de nous emmener, mais Jojo a refusé ! ». « Ça ne m’étonne pas de celui-là » lui
répondit Robert Janvier.
Le lendemain matin, Guy
arrive au travail et son patron lui dit : « J’emmène les gars à Cheverny et
je reviens, tu m’attends ». Lorsqu’il revient, il s’adresse à Guy : «
Monte dans la bagnole, on s’en va chez le marchand de vin ». Situé au 8 rue
de la Garenne, Marcel Berruet est un ami de son patron et quand ils arrivent,
seul sa femme est présente. Janvier lui dit : « On vient pour ma bagnole ».
Elle les emmène dans une grange, là où se trouve dans le fond l’automobile de
Robert Janvier, une belle Hotchkiss noire, rangée là car elle ne servait pas.
Une fois sortie, nettoyée puis arrangée par un mécanicien, elle devint ainsi le
moyen de transport des ouvriers pour se rendre à Cheverny sans encombre ! Un
beau véhicule de service !
Les amis…
D’après Guy, une partie
des salariés qui travaillaient dans le château étaient logés à côté du
cimetière de Cour-Cheverny. Guy se souvient également des copains ouvriers
maçons, menuisiers, etc., qu’il a pu côtoyer, et des frères Ducolombier, dont
plusieurs travaillaient au château, et d’un plus jeune qui était peintre à
Cour-Cheverny et qu’il retrouva quelques années plus tard dans son équipe à
Blois.
L’ambiance était bonne…
Un jour au château, une
guide en pleine visite explique : « C’est un tableau d’époque Louis XV ».
Guy, qui travaillait à côté avec un collègue, ne put s’empêcher de murmurer «
Menteuse, ce n’est pas vrai, il est du XV e », ne pensant pas être entendu
; après la visite, la guide vint à leur rencontre leur dire d’un ton amusé : «
Vous savez que l’on entendait toutes vos âneries et que tous les visiteurs rigolaient,
j’aurais pu louper ma visite ! ».
Un autre jour, une porte
séparant deux pièces était ouverte, d’un côté Guy, de l’autre une guide qui
conte à ses visiteurs : « C’est un fauteuil d’origine qui n’a jamais été
réparé », et Guy de commenter : « Ça fait 15 jours que je l’ai réparé ».
Car Guy et son patron ont tous deux oeuvré parfois à la restauration de certaines
chaises et fauteuils en bois. Les chaises étaient peintes d’une couleur gris
clair avec des filets de dorure, mais si elles étaient cassées ou abimées,
c’était au menuisier de s’en charger.
Et les accidents…
Lors d’une période de
froid, Guy accompagné de deux collègues travaillaient sur un pavillon en forêt
de Cheverny qu’ils mettaient à neuf intérieurement et extérieurement, dans le
but de pouvoir y accueillir un garde. Gilbert, ouvrier peintre, voyant du bois
et des brindilles bien sèches dans le large four à pain de la demeure, décide
d’y faire une petite flambée. D’après Guy : « Le four était tellement large
que l’on aurait pu y faire cuire un chevreuil entier ».
Mais tout ne se déroula
pas comme prévu, car le bois, bourré à bloc, très sec du fait de sa présence
ici depuis 10 ou 15 ans, flamba très vite et provoqua un début d’incendie. Fort
heureusement, un puits se trouvait à proximité, Guy y tira des seaux d’eau en
vitesse pour les passer à Gilbert et Jojo, qui attaquèrent les flammes. C’est
en venant les chercher le soir que leur patron, interrogé par la fumée qu’il
aperçut au loin se dit qu’il y avait quelque chose d’anormal. À son arrivée,
voyant la situation, il les aida avant de leur dire : « Si il était resté
des armes et munitions cachées là pendant la guerre par des FFI [Résistants,
nombreux à se cacher en forêt] tout aurait explosé ! ». Plus de peur que
de mal !...
Autres emplois…
Quelques temps plus
tard, son patron, ayant perdu un gros chantier, doit se séparer d’un ouvrier.
Guy laisse sa place à son collègue Gilbert, indiquant qu’il est nécessaire pour
lui de garder son emploi pour subvenir aux besoins de sa fille handicapée : «
Si je m’en vais, demain matin, j’attaque ailleurs, y’a un patron qui m’attend
».
Après sa mobilisation en
Algérie, Guy travaille quelques temps en région parisienne puis s’installe à
Blois après son mariage. Il est embauché par la ville comme responsable d’une
équipe technique. Il réalise une multitude de travaux dont des faux marbres à
la mairie, des décors à la Halle-aux-grains, des faux-bois sur les portes des
écoles, mais aussi les fleurs de lys de la grande salle des États généraux du
château de Blois. Il réalisera plusieurs peintures artistiques dont certaines
furent longtemps exposées à la mairie de Blois. Il a aussi refait la totalité
de la peinture du château des Forges à Suèvres entre les années 70 et 80.
De beaux souvenirs
Guy, aujourd’hui âgé de
94 ans, est un puits de souvenirs et d’anecdotes en tout genre… C’était un
grand sportif, footballeur et cycliste à Suèves avant de rejoindre l’AAJB
(Association Amicale de la Jeunesse Blésoise). Il garde encore un très bon
souvenir du Château de Cheverny, des bons moments passés, des bons copains ; il
se souvient que lui et ses collègues étaient bien payés et n’avaient pas besoin
de courir pour que le travail soit bien fait, et il nous décrit le marquis Philippe
Hurault de Vibraye et son épouse comme des personnes « remarquables,
gentilles, altruistes et très agréables ».
P. L.
La Grenouille n°68 - juillet 2025
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