Peinture à Cheverny

En visitant le château de Cheverny, on est toujours admiratif devant la qualité des décors et notamment des peintures, dans un état remarquable… Damien, Chevernois, nous a transmis le témoignage de son grand-père, qui lui a évoqué le souvenir de son métier de peintre oeuvrant autrefois au Château de Cheverny, artisan de cette qualité qui ne date pas d’hier…


D’abord au château de Ménars…
Guy Bleau est né en 1931 dans le hameau de Fleury sur la commune de Suèvres, d’un père cantonnier et cultivateur, et d’une mère qui tenait un café. En 1945, Guy, alors âgé de 14 ans, travaille en apprentissage comme peintre en bâtiment chez M. Gagnepain à Ménars, ami de ses parents.
La première année, il intervient comme peintre-vitrier au château de Ménars alors propriété de Saint-Gobain. Durant les années précédentes, les Allemands avaient repeint une bonne partie des pièces en gris et les plafonds en blanc, et brisé une multitude de carreaux aux fenêtres.
Perché à plusieurs mètres de hauteur sur son échelle double, assis en équilibre sur les barreaux, Guy retirera difficilement la peinture appliquée par les Allemands, avant de pouvoir étendre une nouvelle peinture. Il restaurera également les fenêtres ainsi que les parois d’une serre, allant chercher les verres à l’aide d’un diable à la gare de Ménars, en provenance des usines Saint-Gobain. Et Guy se souvient que c’est sur ce chantier qu’il en a le plus bavé.

Peinture à Cheverny - Guy Bleau

…puis au château de Cheverny

Suite à une altercation avec son patron qui l’avait injustement sanctionné, Guy quitte l’entreprise un vendredi soir, avec quelques difficultés pour récupérer ce qui lui était dû, et est embauché dès le lundi chez Robert Janvier, peintre à Blois. M. et Mme Janvier habitaient rue Chambourdin, dans une maison où était entreposé tout le matériel de l’entreprise, et où était installé le salon de coiffure de Madame.
Vers 1948, l’entreprise se voit confier la réalisation des travaux de peinture au château de Cheverny. Guy, âgé de 17 ans, est alors amené à y travailler, et y restera environ 3 ans, jusqu’à ses 20 ans. Outre Guy, l’équipe était constituée de Robert Janvier, Armel, originaire d’Onzain, réputé pour arriver en blanc le lundi matin et repartir le samedi soir sans une seule goutte de peinture sur lui, « un bon peintre qui travaillait bien mais qui n’aimait pas se salir », Gilbert, célibataire et père d’une fille trisomique qu’il élevait seul, Jojo, un gars spécial d’après Guy (« il ne mangeait pas de viande, il faisait du vélo et de la marche à pied en compétition »), du beau-frère de Jojo, puis quelques temps après de Michel, fils du patron. Deux staffeurs venus de Paris étaient parfois employés ; ils arrivaient le lundi, dormaient à Cour-Cheverny aux Trois Marchands et repartaient le samedi.

Peinture à Cheverny - Guy Bleau

Guy réalisera de nombreux travaux de peinture à l’intérieur du château, sur des murs, des boiseries, des plinthes. Il réparera également, avec son patron, des tables, des chaises et des fauteuils.

Tous deux allaient aussi repeindre de grands panneaux en bois indiquant « Visitez le château de Cheverny », qu’on pouvait voir sur les murs et sur les routes de tout le département. Certains, abimés par le soleil, nécessitaient une restauration complète, d’autres, en tôle galvanisée, avaient besoin d’un simple nettoyage à l’eau.


Souvenirs du travail au château
Le marquis de Vibraye les avait autorisés à s’installer dans un des box de la partie droite des écuries qui ne recevait plus de chevaux. Un jour d’hiver, Guy et ses collègues déjeunaient sur une table installée au fond de l’ancien box converti en atelier. Le marquis, entendant des voix, fait irruption dans l’atelier : « C’est ici que vous mangez ? Vous avez froid ! Je m’occupe de vous ». Il revient une trentaine de minutes plus tard et leur dit « À partir de maintenant vous demanderez au concierge, il vous expliquera, vous irez manger là-bas et il vous fera du feu le midi ». Après que le gardien eut remis en état la pièce présente sur la partie gauche des écuries, elle devint leur pièce de vie et ils purent ainsi manger au chaud.
Un jour de pluie, Robert Janvier s’adresse à ses ouvriers : « Vous voyez le temps qu’il fait, vous savez ce qu’il faut que l’on fasse... ». Ils durent repeindre toutes les sous-faces en bois du bâtiment des écuries, dépassant de 40 cm environ et s’étalant sur plus de 500 m de long…. Ils y apposèrent trois couches de couleur brun Van Dick (rouge sang foncé) et le travail devait être terminé en une semaine, avant une date précise. Pendant tout ce temps, il tombait de l’eau à ne plus jamais s’arrêter. Le patron leur avait acheté un semblant de veste imperméable qui ne leur servit pas à grand-chose car les toits n’ayant pas de gouttières, l’eau dévalait la toiture et se jetait sur eux ; ils en prenaient plein la figure et les bras, tandis qu’ils peignaient les dessous de toits qui eux étaient au sec…

Peinture à Cheverny - Guy Bleau

Toujours bien traités Très souvent, à la suite d’une partie de chasse à courre ou d’une vidange d’étang, le marquis venait retrouver Guy pour lui dire : « Monsieur le Peintre ! Vous passerez voir le concierge avant de partir ». Ce à quoi Guy répondait « Oui, oui, c’est d’accord Monsieur le Marquis ». Cela indiquait qu’il leur avait mis de côté un demi-sac de viande (biche ou cerf) ou de poisson, coupé et vidé. Et Guy de préciser : « Si tu étais là, tu étais sûr de partir le soir avec quelque chose ».


Le village à une autre époque…
Au niveau de l’actuelle billetterie, se trouvait le logement du concierge qui avait été repeint, tandis qu’à côté, le bâtiment donnant sur la route était, d’après Guy, une ancienne écurie avec un grand bazar. Elle fut refaite à neuf par des ouvriers maçons et charpentiers, avant que vienne le tour des peintres qui y restèrent un bon moment, car la peinture fut refaite dans un style ancien, afin d’y accueillir un snack-bar qui est devenu de nos jours le restaurant « Le Grand Chancelier ».
De l’autre côté de la route, se trouvait aussi un café-restaurant (aujourd’hui « Le Pinocchio ») ; il était ouvert le midi pour les ouvriers et tenu par une femme prénommée Marie et sa fille. Si la mère de Guy n’avait pas eu le temps de lui préparer à manger, il passait au café-restaurant le matin et demandait à Marie de lui préparer quelque chose pour le midi. Il mangeait avec elles et non dans la salle avec les autres ouvriers.
Guy a eu connaissance de la présence d’abris en bois recouverts de toits en tôle ou en ardoises sur le parking du château, où était amené le bois du parc afin de le transformer en charbon pour les gazogènes ; cela servait de carburant alternatif pour les véhicules car l’essence se faisait rare durant la guerre. Après-guerre, une fois qu’il y eut assez d’essence, les installations furent démolies

Peinture à Cheverny - Guy Bleau


Le transport…

Un matin, le patron déposa Guy et Jojo à Cheverny, avant de prendre la route pour Orléans. Guy et Jojo travaillèrent toute la journée puis attendirent vainement leur patron de 18 h à 19 h pour le retour.

Ne le voyant pas arriver, ils prirent à pied le chemin de Blois ; après 15 minutes de marche, ils arrivent sur la place de l’église de Cour- Cheverny. Le patron des Trois Marchands, M. Bricault, chez qui ils mangeaient certains midis et pour qui ils ont travaillé longtemps dans les chambres et les salles de déjeuner, était un grand ami de leur patron. En les apercevant, il leur demande où ils allaient ainsi à pied et leur propose de les emmener, mais Jojo refuse. Et c’est ainsi que les deux sportifs arrivèrent à Blois après 3 h 30 de marche sur 15 km...

Lorsque Guy arrive chez son patron pour prendre son vélo et rentrer chez lui à Suèvres, celui-ci s’aperçoit qu’il a oublié d’aller les chercher et leur demande comment ils ont fait… Guy lui explique qu’ils sont revenus à pied… « M. Bricault a proposé de nous emmener, mais Jojo a refusé ! ». « Ça ne m’étonne pas de celui-là » lui répondit Robert Janvier.

Le lendemain matin, Guy arrive au travail et son patron lui dit : « J’emmène les gars à Cheverny et je reviens, tu m’attends ». Lorsqu’il revient, il s’adresse à Guy : « Monte dans la bagnole, on s’en va chez le marchand de vin ». Situé au 8 rue de la Garenne, Marcel Berruet est un ami de son patron et quand ils arrivent, seul sa femme est présente. Janvier lui dit : « On vient pour ma bagnole ». Elle les emmène dans une grange, là où se trouve dans le fond l’automobile de Robert Janvier, une belle Hotchkiss noire, rangée là car elle ne servait pas. Une fois sortie, nettoyée puis arrangée par un mécanicien, elle devint ainsi le moyen de transport des ouvriers pour se rendre à Cheverny sans encombre ! Un beau véhicule de service !


Les amis…

D’après Guy, une partie des salariés qui travaillaient dans le château étaient logés à côté du cimetière de Cour-Cheverny. Guy se souvient également des copains ouvriers maçons, menuisiers, etc., qu’il a pu côtoyer, et des frères Ducolombier, dont plusieurs travaillaient au château, et d’un plus jeune qui était peintre à Cour-Cheverny et qu’il retrouva quelques années plus tard dans son équipe à Blois.


L’ambiance était bonne…

Un jour au château, une guide en pleine visite explique : « C’est un tableau d’époque Louis XV ». Guy, qui travaillait à côté avec un collègue, ne put s’empêcher de murmurer « Menteuse, ce n’est pas vrai, il est du XV e », ne pensant pas être entendu ; après la visite, la guide vint à leur rencontre leur dire d’un ton amusé : « Vous savez que l’on entendait toutes vos âneries et que tous les visiteurs rigolaient, j’aurais pu louper ma visite ! ».

Un autre jour, une porte séparant deux pièces était ouverte, d’un côté Guy, de l’autre une guide qui conte à ses visiteurs : « C’est un fauteuil d’origine qui n’a jamais été réparé », et Guy de commenter : « Ça fait 15 jours que je l’ai réparé ». Car Guy et son patron ont tous deux oeuvré parfois à la restauration de certaines chaises et fauteuils en bois. Les chaises étaient peintes d’une couleur gris clair avec des filets de dorure, mais si elles étaient cassées ou abimées, c’était au menuisier de s’en charger.


Et les accidents…

Lors d’une période de froid, Guy accompagné de deux collègues travaillaient sur un pavillon en forêt de Cheverny qu’ils mettaient à neuf intérieurement et extérieurement, dans le but de pouvoir y accueillir un garde. Gilbert, ouvrier peintre, voyant du bois et des brindilles bien sèches dans le large four à pain de la demeure, décide d’y faire une petite flambée. D’après Guy : « Le four était tellement large que l’on aurait pu y faire cuire un chevreuil entier ».

Mais tout ne se déroula pas comme prévu, car le bois, bourré à bloc, très sec du fait de sa présence ici depuis 10 ou 15 ans, flamba très vite et provoqua un début d’incendie. Fort heureusement, un puits se trouvait à proximité, Guy y tira des seaux d’eau en vitesse pour les passer à Gilbert et Jojo, qui attaquèrent les flammes. C’est en venant les chercher le soir que leur patron, interrogé par la fumée qu’il aperçut au loin se dit qu’il y avait quelque chose d’anormal. À son arrivée, voyant la situation, il les aida avant de leur dire : « Si il était resté des armes et munitions cachées là pendant la guerre par des FFI [Résistants, nombreux à se cacher en forêt] tout aurait explosé ! ». Plus de peur que de mal !...


Autres emplois…

Quelques temps plus tard, son patron, ayant perdu un gros chantier, doit se séparer d’un ouvrier. Guy laisse sa place à son collègue Gilbert, indiquant qu’il est nécessaire pour lui de garder son emploi pour subvenir aux besoins de sa fille handicapée : « Si je m’en vais, demain matin, j’attaque ailleurs, y’a un patron qui m’attend ».

Après sa mobilisation en Algérie, Guy travaille quelques temps en région parisienne puis s’installe à Blois après son mariage. Il est embauché par la ville comme responsable d’une équipe technique. Il réalise une multitude de travaux dont des faux marbres à la mairie, des décors à la Halle-aux-grains, des faux-bois sur les portes des écoles, mais aussi les fleurs de lys de la grande salle des États généraux du château de Blois. Il réalisera plusieurs peintures artistiques dont certaines furent longtemps exposées à la mairie de Blois. Il a aussi refait la totalité de la peinture du château des Forges à Suèvres entre les années 70 et 80.


De beaux souvenirs

Guy, aujourd’hui âgé de 94 ans, est un puits de souvenirs et d’anecdotes en tout genre… C’était un grand sportif, footballeur et cycliste à Suèves avant de rejoindre l’AAJB (Association Amicale de la Jeunesse Blésoise). Il garde encore un très bon souvenir du Château de Cheverny, des bons moments passés, des bons copains ; il se souvient que lui et ses collègues étaient bien payés et n’avaient pas besoin de courir pour que le travail soit bien fait, et il nous décrit le marquis Philippe Hurault de Vibraye et son épouse comme des personnes « remarquables, gentilles, altruistes et très agréables ».


P. L.


La Grenouille n°68 - juillet 2025

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