Les Trudelles

De la mairie de Cour-Cheverny aux Trudelles (1), en passant par l’Angleterre

Les Trudelles à Cour-Cheverny
Emma Hindmarsh, citoyenne anglaise rési­dant à Swindon dans le Wiltshire (à 120 km à l’ouest de Londres) a récemment ques­tionné La Grenouille au sujet de quelques-uns de ses ancêtres, suite à ce qu’elle avait découvert sur notre blog à la lecture de l’article intitulé « Michel Cazin : un enfant du pays au service de la science » (2). Et comme c’est souvent le cas, ce question­nement permet d’enrichir notre mémoire locale au travers de l’histoire de plusieurs familles de nos villages.

Il s’agit principalement de la famille Cazin, du moins une branche, car la généalogie Cazin est si vaste qu’on peut facilement s’y perdre…, mais aussi des familles Michel et Destouches…
La grand-mère d’Emma, Marjorie Mary English (1907-2001) était mariée à Léon Jean Sparshott (1906-1978), lui-même fils d’Ernest Edward Sparshott (1870-1945) et de Justine Félicie Emma Michel (1863-1946). Celle-ci, née à Montbozon en Haute Saône, était venue en Angleterre comme professeur de français en 1891 ou avant, et y avait rencontré son futur époux, qu’elle épousa en 1898.

Les Trudelles à Cour-Cheverny
C’est là que se fait le lien avec la famille Cazin, car Justine Félicie Emma Michel n’est autre que la soeur de Charles Léon Michel, père d’Emma Nadine Michel, épouse d’Augus­tin Cazin et mère de Michel Cazin, éminent scientifique né à Cour-Cheverny, dont nous avons évoqué le parcours dans l’article cité précédemment…
Mais le lien ne s’arrête pas là, car une soeur de Charles Léon et de Justine Félicie Emma, Marie Eulalie Michel, a épousé en 1894 Louis Léon Cazin (1857-1945), appelé dans la famille « l’oncle Léon ».
Ces données généalogiques sont compli­quées mais elles nous ont permis de décou­vrir de nouveaux éléments de notre histoire locale, au travers notamment de la vie de Léon Cazin et de sa famille…

D’autres liens entre les familles Cazin, Michel et Destouches
Seules les familles concernées pourront s’y retrouver, mais quelques détails ci-dessous permettront à certains de trouver quelques repères…
Les arbres généalogiques de ces familles se relient et se croisent de plusieurs façons… « L’oncle Léon » est le fils de Louis Janvier Cazin (1824-1899), dont le frère, Michel Pierre, est l’arrière-arrière-grand-père de François, Bernadette et Pascal Cazin, bien connus à Cheverny et cousins de Philippe et Olivier Cril dont le père André a également été évoqué dans nos écrits…(2).
La soeur de Léon Cazin, Marie Aline Louise, épouse en 1871 Jean Gustave Alexandre Destouches. Leur fils, Louis Henri épou­sera Marguerite Michel (autre soeur de Charles Léon) en 1906. Leur fils, Jean-Louis Destouches (1909-1980), mènera un grande carrière de physicien, notamment auprès de Louis de Broglie, et aura une influence impor­tante dans la carrière de Michel Cazin (2).

Les Trudelles à Cour-Cheverny

Léon Cazin, pharmacien
On retrouve une partie du parcours de Léon Cazin sur le site internet des Laboratoires pharmaceutiques CDM Lavoisier (3) : « Léon Cazin est né à Blois le 27 mai 1857. Il obtient en 1882 son diplôme de pharmacien [Pharmacien de première classe de l’Internat des Hôpitaux de Paris] et entre dès 1894 dans la société Chaix et Rémy. Il y occupe un poste clé, étant notamment en charge du déploiement de l’activité à l’étranger. Dans les années 1910, il monte en grade et devient pharmacien en chef des laboratoires, dont il finit par reprendre l’activité en 1919 pour former Cazin et Compagnie. Il décide de s’as­socier avec Henri Hugon, alors jeune phar­macien fraîchement diplômé. En quelques années, tous deux parviennent à développer la gamme des produits des Laboratoires. Après le décès de son associé dans le courant des années 1930, Léon Cazin cède peu à peu ses droits dans la société qui a entre-temps pris le nom de Laboratoires Chaix, Hugon et Cazin ». Le dirigeant actuel, Philippe Truelle est l’arrière-petit-fils d’Henri Hugon.

Léon Cazin, maire de Cour-Cheverny de 1908 à 1919 et conseiller d’arrondissement
Suite aux élections municipales des 3 et 10 mai 1908, le conseil municipal (composé à l’époque de 16 membres) élit Léon Cazin au poste de maire. Le village compte à cette époque 664 électeurs inscrits (2 220 aujourd’hui). Léon Cazin sera ensuite réélu en 1912 : le mandat de maire était alors de 4 ans (il passera à 6 ans en 1929). Du fait de l’état de guerre que subit la France, les élec­tions prévues en 1916 n’auront pas lieu ; les mandats de maires sont prolongés jusqu’en 1919, date à laquelle le mandat de Léon Cazin prendra fin après 11 ans d’exercice, et c’est Gustave Brinon qui lui succédera.

Nous n’avons pas trouvé la trace d’événe­ments significatifs dans les comptes-rendus des conseils municipaux de cette époque, et curieusement, la guerre n’y est pratique­ment jamais évoquée… Notons cependant, qu’au cours de l’année 1919, sur propo­sition du Maire, le Conseil décide à l’una­nimité d’envoyer à Monsieur Clémenceau, Président du Conseil, l’adresse suivante : « Le Conseil municipal de Cour-Cheverny adresse à Monsieur Clémenceau, Président du Conseil, l’hommage de son admiration et de sa reconnaissance pour son dévouement à la Patrie et l’énergie avec laquelle il a assuré la victoire de la France. Il envoie également les témoignages de son administration aux armées victorieuses de la République et à celles des alliés ».
Léon Cazin est également élu conseiller d’ar­rondissement le 18 septembre 1910, repré­sentant le canton de Contres, arrondissement de Blois (4), en l’emportant dans 11 des 17 communes du canton. Léon Cazin devait avoir une vie bien remplie, compte tenu de ses activités professionnelles importantes à Paris, de ses deux mandats d’élus et de ses nombreuses activités personnelles…

Propriétaire aux Trudelles
En 1977, dans une lettre à sa fille Nadine qui s’apprête à venir en France visiter notre région, Léon Jean Sparshott évoque ses souvenirs de jeunesse des années 1910-1920 : « La maison où j’ai passé la plupart de mes vacances en France s’appelait "Les Trudelles", à Cour- Cheverny. C’était une grande maison entiè­rement isolée en pleine campagne. C’était à environ deux ou trois miles (pour autant que je m’en souvienne…) de la petite ville de Cour- Cheverny…/… ».
Léon Cazin avait hérité du domaine des Trudelles à la mort de son père en 1899, qui lui-même l’avait acquis aux environs de 1870, ainsi que plusieurs terres auprès de différents propriétaires, puis des bâtiments auprès de M. Vallières, propriétaire vigneron. Le domaine ne comportait alors qu’une petite maison d’habitation et des dépendances où étaient élevés quelques animaux. Léon Cazin fait démolir l’habitation pour construire une nouvelle maison aux environs de 1902, qui comporte 20 ouvertures comme l’indiquent les registres du cadastre consultés aux Archives départementales du Loir-et-Cher. Il continue ensuite à agrandir son domaine en rachetant différentes terres alentour.

Les Trudelles à Cour-Cheverny
Souvenirs de vacances aux Trudelles, entre 1910 et 1920
Léon Jean Sparshott complète ses souvenirs : « Je me souviens de trois longues vacances aux Trudelles. La première en 1912 alors que j’avais six ans, quand j’y ai passé plusieurs mois à me remettre d’une coqueluche qui m’avait bien affecté. La coqueluche et la toux m’avaient fatigué le coeur, et cela a fait éclater les vaisseaux sanguins de mes yeux. Je me souviens que le blanc de mes yeux était abso­lument rouge sang, et plusieurs personnes sur le trajet ont demandé à ma mère si j’étais aveugle.
Les secondes vacances ont eu lieu en 1914 lorsque la guerre a éclaté [l’Allemagne déclare la guerre à la France le 3 août 1914 à 18 heures]. Charles [son frère aîné] et moi étions tous les deux là et avons dû être renvoyés chez nous en toute hâte. Les troisièmes vacances se sont déroulées en 1920, et Charles et moi étions de nouveau là-bas ensemble.
Mon oncle possédait beaucoup de terres, principalement des vignes et des bois. Il fabri­quait son propre vin, rouge et blanc, et distillait sa propre eau-de-vie. Il fabriquait également une liqueur de cassis qui était mon breuvage préféré. Il élaborait également un parfum de rose (distillé je crois dans le même alambic que pour l’eau-de-vie) à partir de pétales de roses de la grande roseraie et produisait aussi du cidre.
Il élevait deux vaches, des poules, des canards et des pintades, et il y avait un grand étang à poissons dans les bois. Tous les fruits et légumes étaient cultivés sur place.
Mes dernières vacances en France remontent à 1922, mais elles se passèrent dans la maison de ville de mon oncle à Blois, car il avait cédé les Trudelles à Nadine [la nièce de son épouse] et son mari [qui était aussi son neveu]. Cette maison se trouvait sur la rive sud de la Loire sur le port de plaisance, Quai Villebois …/…. Pendant que j’étais là-bas, je pense qu’il a dû acheter une autre maison. À la même époque, les Destouches achetèrent une maison très proche. Ces deux maisons se trouvaient sur le quai Ulysse Besnard qui se trouve sur la rive nord de la Loire…/….
Le château de Cheverny n’était pas ouvert au public à cette époque, mais je me souviens d’une visite privée en famille. En dehors de la magnifique approche et de la belle façade, je me rappelle d’une grande pièce chargée de bois ciré et de tapisseries ou de tableaux.
J’espère que tu apprécieras ton voyage et que tu pourras visiter certains des endroits que j’ai connus. Tu goûteras sans doute aux vins de Loire. Bien que nous buvions habituellement les vins des Trudelles, mon oncle ouvrait, lors d’occasions spéciales, une bouteille de Vouvray pétillant. Je n’ai jamais eu l’occasion de boire du Vouvray pétillant depuis, mais j’ai souvent bu du Vouvray tranquille (5) qui est très agréable ».
Léon Cazin a également voyagé avec son épouse en Angleterre dans les années 1920, comme en témoignent les belles photos de famille que nous a transmises Emma Hindmarsh.

Les Trudelles à Cour-Cheverny
Le domaine des Trudelles change de pro­priétaire
Le domaine des Trudelles sera vendu en 1922 par Louis Cazin, et plusieurs propriétaires se succéderont ensuite : Mme Goudard, puis M. et Mme Guichard, et Mme Berthe Brialix en 1929. Jean Dardouillet, neveu de Mme Brialix, et son épouse Arlette deviendront propriétaires en 1988 et y habiteront plus de 30 ans. Jean et Arlette, tous deux décédés en 2023, furent pendant de nombreuses années de fidèles adhérents de notre association Oxygène Cheverny. Cet article est aussi pour nous l’occasion de les remercier pour la générosité dont ils ont fait preuve envers La Grenouille.

P. L.

(1) Pour en savoir plus sur l’origine du nom de ce lieu, voir « Les grandes heures de Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher… et nos petites histoires » - Éditions Oxygène Cheverny 2018 – page 293 : « Les toponymes ».
(2) Voir « Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher… À la poursuite de notre histoire » - Éditions Oxygène Cheverny 2022 - page 203 « Michel Cazin – Un enfant du pays au service de la science » – page 164 « André Gabriel Cril, un commerçant dont on se souvient ».
(3) La société, devenue aujourd’hui « Les Laboratoires CDM Lavoisier » a son siège social à Paris ; son site de production s’installe à Blois en 1964 et est transféré en 1990 à La Chaussée Saint-Victor. www.lavoisier.com/fr/dirigeants
(4) À cette époque le conseil d’arrondissement était formé par des conseillers élus sur les territoires des cantons, élus pour 6 ans. Leurs attributions étaient réduites et ils intervenaient surtout dans la répartition des contributions directes. Les conseils d’arrondissement ont été suspen­dus par l’acte dit loi du 12 octobre 1940 et n’ont jamais été réactivés.

(5) Un vin tranquille est un vin qui n’est pas effervescent.

La Grenouille n°64 - Juillet 2024

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