Collectionneur par
hasard…
Dans un entretien en 2013, le Musée de Sologne a recueilli le
témoignage de Michel Pasquier qui raconte sa passion.
Michel Pasquier à son domicile de Cour-Cheverny en 2013, devant le portrait d'Alexandre Bigot. Au mur (à gauche), les photos de la véranda de la maison du céramiste, à Mer. |
Au
début, ses « récoltes » se faisaient souvent sur des chantiers de démolition,
puis des amis lui en ont apporté, puis il a pratiqué des échanges avec des
collectionneurs (notamment avec un collectionneur anglais), participé à des
bourses d’échanges, etc. Il faisait partie du Rotary Club et de l’association des
Amis du Musée de Sologne (dont il a été le président) et avait beaucoup d’amis.
Toutes les personnes de sa connaissance étaient chargées de ramener des briques
de leurs voyages à l’étranger…
Il ne collectionnait que les briques
estampillées : celles-ci comportent la marque du briquetier (artisan ou
industriel) et parfois le nom du village et du département d’origine. C’est ainsi
que le briquetier faisait sa publicité. Avec ces marques de fabrique, la
collection permet de voyager dans le temps et dans l’espace, et de découvrir
parfois la trace de briqueteries aujourd’hui disparues et oubliées…
On pourrait
écrire des pages entières pour évoquer ces briques : celles estampillées « AP »
(Administration pénitentiaire) fabriquées par les bagnards de Cayenne, ou
celles trouvées à Gièvres, fabriquées aux USA et importées en France par
l’armée américaine pendant la première guerre mondiale pour la construction des
bâtiments des immenses camps militaires installés dans la vallée du Cher. Il y
a aussi les briques sur lesquelles sont gravés des textes (une déclaration
d’amour, des décomptes d’heures travaillées, ou une revendication d’un salarié
de la briqueterie…) ou parfois la trace de patte d’un chat, d’un chien ou d’un oiseau
venu se poser sur la brique en cours de séchage…
Frédéric et Antoine
Pasquier, deux de ses fils, se souviennent
« Nous avons vu la maison
familiale se remplir progressivement de briques. Notre père avait toujours
quelques outils dans sa voiture, notamment une massette et un pic, ça pouvait toujours
servir sur des chantiers de démolition… Il a eu l’occasion d’entrer en contact avec
de nombreux collectionneurs, parfois à l’autre bout du monde, en Australie ou
en Nouvelle Zélande… Les échanges n’étaient pas toujours faciles, la brique
n’étant pas l’objet idéal à échanger par courrier… I
l lui a parfois fallu
négocier longuement pour acquérir des pièces auprès de leurs propriétaires, mais
il avait un certain pouvoir de persuasion… »
Antoine se souvient aussi
d’avoir été sermonné pour être revenu d’un voyage à Barcelone sans aucune
brique dans ses valises... et du voyage à Rugby en Angleterre avec son père, avec
une centaine de kilos de briques dans la voiture à l’aller et, bien sûr,
l’équivalent au retour en briques anglaises…
L’histoire vécue d’une passion
Monique
Leroux, sa compagne (institutrice à Cour-Cheverny pendant 30 ans), nous a
évoqué quelques péripéties vécues aux côtés du collectionneur : « Les
dimanches après-midi étaient entièrement consacrés à la recherche de briques
dans la région, ou au repérage d’anciennes tuileries désaffectées. Michel se promenait
toujours le nez en l’air, pour admirer les toitures ou les façades décorées, y
compris en conduisant, ce qui n’était pas très rassurant… J’ai moi-même été
contaminée par ce virus… et observe beaucoup les constructions : on y trouve
souvent des éléments très intéressants.
Partis un jour à Saint-Émilion pour
acheter du vin, nous sommes revenus avec un petit carton de bouteilles, le
reste de la voiture étant rempli de briques.
Il était à l’affût de tout : c’est
ainsi qu’il a un jour appris la vente d’une maison de Mer, où avait habité le
célèbre céramiste Alexandre Bigot et où était installée la fameuse « frise aux souris
» dans une véranda dont les acheteurs envisageaient la démolition… Heureusement,
Michel est intervenu et a pu sauvegarder cet ouvrage exceptionnel ».
Arrivé à
la retraite, Michel a pu commencer à trier ses briques et à les installer chez
lui dans des présentoirs adaptés. Cela lui a permis de faire visiter sa
collection à ses amis ou à des groupes (associations, etc.) pour des visites guidées
auxquelles je participais. C’est à cette époque qu’il a élargi le champ de sa
collection, en s’intéressant aux objets de décoration intérieure et extérieure
en céramique, et à réunir une très importante documentation (historique, technique…)
qui constitue une mémoire unique de cette industrie ».
Sa relation avec le
Musée de Sologne l’a amené à diversifier et approfondir ses recherches et à
donner à sa collection une dimension très élaborée… Cela lui a également permis
de donner un sens à sa passion, en mesurant le réel intérêt de sa collection
qui participait à la sauvegarde du patrimoine, et envisager sa pérennité…
Une
trace de notre passé artisanal et industriel
Michel Pasquier avait créé un abattoir
de porcs dans les années 70 à Contres. Sa modestie et son humour l’amenaient à
déclarer qu’il était « diplômé de Sciences porc »… ; il aurait pu aussi
se déclarer brickostampaphile, puisque c’est ainsi que sont désignés les
collectionneurs de briques estampillées, mais aussi céramologue, et même
historien, car grâce à lui, c’est tout un passé industriel et artisanal régional,
national et mondial dont la mémoire a été conservée et portée à la connaissance
des générations futures.
Merci à Frédéric et Antoine Pasquier, et à Monique
Leroux d’avoir confié leurs souvenirs à La Grenouille, et de les
partager ainsi avec ses lecteurs. Michel Pasquier à
son domicile de Cour-Cheverny (en 2013), devant le portrait d’ Alexandre Bigot.
Au mur (à gauche), les photos de la véranda de la maison du céramiste, à Mer.
La Collection Pasquier "Céra Brique" à Romorantin
Céra'Brique |
Une partie de la collection a d’abord fait l’objet d’une
exposition temporaire en 2013 au Musée de Sologne, qui a permis de donner au
public un aperçu de cette collection exceptionnelle.
La mise en valeur d’un
trésor
Aujourd’hui, c’est à « l’Espace Normant » que la collection «
Céra’Brique » est exposée. C’est le site de l’ancienne usine de textile Normant
(fermée en 1969) et occupée ensuite par la société Matra jusqu’en 2003.
Céra'Brique |
Cette vaste salle de 4 200 m² est un espace évènementiel,
et il abrite désormais en permanence une partie de la collection Pasquier dans
de magnifiques vitrines installées en périphérie de cette salle et occupant un
linéaire de plus de 150 m.
On peut y voir, bien sûr, une bonne quantité de
briques estampillées : certaines sont incluses dans les maçonneries des
supports des vitrines, classées par région, et on peut ainsi découvrir des
origines très variées provenant de toute la France et du monde entier. Mais
l’exposition nous présente bien d’autres objets… : • des éléments de
construction en terre cuite : tuiles, tuiles de rive, tuiles chatières,
antéfixes (1), balustres (2), métopes (3), décorations de jardin, briques et
tuiles vernissées, carreaux… • une soixantaine de machines et outils de briqueterie
; • des objets de décoration architecturaux en céramique : épis de faîtage,
frises, cabochons, frontons, ou de décoration d’intérieur : cheminées, poêles,
etc. • des documents (images, maquettes, textes, croquis, etc.) qui nous
informent sur l’histoire de cette industrie et des noms qui y sont associés (Perrusson,
Loebnitz, Bigot, ...).
Un projet très élaboré
L’exposition a été conçue
autour de 6 thématiques :
- l’argile matériau universel ;
- le savoir-faire du
tuilier ;
- ces briques qui colorent la France ;
- de la céramique à tous les
coins de rue ;
la céramique, décor d’intérieur et d’exception ;
- Alexandre
Bigot au grès de l’art nouveau (allusion aux grès émaillés que ce célèbre céramiste,
originaire de Mer, a utilisés dans de nombreux éléments de décoration).
Ne sont
exposés que 1 000 objets sur les 7 000 (dont 4 000 briques) que compte la collection…
le reste est conservé dans des réserves et soigneusement inventorié, pour d’éventuelles
recherches ultérieures.
Michelle Massault et Fadhila Smatel, salariées du Musée
de Romorantin, et Yves Auger, tous trois membres de l’association des Amis du Musée
de Sologne, ont évoqué pour nous la genèse de cette exposition….
« À
l’origine, c’est un ami de Michel Pasquier, passionné par les briques et membre
de l’association des Amis du Musée de Sologne, qui lui a suggéré d’adhérer à
l’association. Quelques années plus tard, Michel Pasquier en est devenu le
président, et c’est tout naturellement qu’il a, le moment venu, décidé de vendre
sa collection à la ville de Romorantin Lanthenay, qui gère le Musée de Sologne.
Sa seule exigence était que cette collection ne soit pas dispersée mais
conservée dans un unique lieu. »
C’est au moment de ce transfert que Julie Brossier-Duclos,
muséographe, a intégré le Musée de Sologne et a orchestré dès 2010 toute la
mise en valeur de cette collection dans le projet Céra’Brique.
Vint ensuite la
réalisation de l’exposition temporaire en 2013, qui a donné au public un petit aperçu
de cet ensemble, en attendant la création de l’exposition permanente.
Julie a
travaillé pendant 10 ans à ce projet muséographique, et une dizaine de
bénévoles de l’association des Amis du Musée de Sologne ont participé à la mise
en place de l’exposition.
Ce travail a consisté, entre autre, à inventorier tous
les objets de la collection. Puis il a fallu emballer et déménager l’ensemble
avec précaution depuis Cour-Cheverny et
ce ne fut pas une mince affaire : certains objets étant très lourds (malaxeurs,
presses, etc.) et beaucoup d’autres très fragiles… Les 7 000 objets ont ensuite
été photographiés, mesurés, numérotés et classés par catégories, en s’appuyant
sur une recherche documentaire importante (catalogues des fabricants, cartes postales,
photos d’architectures locales, etc.) pour mettre en valeur chaque pièce en vue
de l’exposition, dans l’objectif d’une présentation didactique pour chacun
d’entre eux.
Mais un événement a perturbé la réalisation du projet : les
inondations de juin 2016 qui ont submergé pendant presque une semaine environ
80 % de la collection... Il a donc fallu ensuite nettoyer, sécher et
ré-étiqueter chaque objet, toujours en prenant mille précautions…, travail
fastidieux réalisé par une vingtaine de bénévoles très motivés, pendant plus de
trois mois.
Céra'Brique |
Le partage d’une passion
Michel Pasquier à son domicile de Cour-Cheverny en 2013 |
Michel Pasquier est décédé à la maison de retraite
de Cour-Cheverny le 23 mars 2017, dans sa 86e année, et n’aura donc pas pu partager le plaisir et l’intérêt que
procure au visiteur la présentation de sa collection dont il a patiemment et
amoureusement réuni les éléments pendant plus de 20 ans. Mais heureusement, sa
passion va maintenant pouvoir profiter à tous à l’Espace Normant.
L’exposition
Céra’Brique a été inaugurée le 8 avril 2017
Elle est accessible au public
lors des évènements culturels programmés à l’Espace Normant et sur demande pour
des visites guidées, en groupes de 10 personnes minimum. La visite dure environ
2 heures.
Les autres modalités d’accès à l’exposition pour les mois à venir ne
sont pas encore connues. Elles seront publiées au cours du second semestre 2017
et La Grenouille vous en informera dès que possible.
Merci au Musée de
Sologne et à l’Association des Amis du Musée pour leur accueil et les informations
fournies à La Grenouille pour la réalisation de cet article.
Renseignements :
Musée de Sologne : tél. 02 54 95 33 66
museedesologne@romorantin.fr
www.museedesologne.com
Facebook :
Musée de Sologne et Association les Amis du Musée de Sologne
(1) Antéfixe : motif placé sur les
toits ou corniches d’un édifice à l’extrémité d’une rangée de tuiles.
(2) Balustre : petite colonne, élément
d’ornement de balustrade.
(3) Métope : panneau architectural de forme rectangulaire, le plus
souvent décoré de reliefs.
Le Triton - La Grenouille n°36 - Juillet 2017
Voir aussi l'article consacré à Michel Pasquier dans le n°3 de La Grenouille
Complément d'information : à partir du 3 février 2018, l'exposition est ouverte le mercredi après-midi de 14h à 17h en visite libre. L'exposition sera également ouverte en continu au mois d'août 2018.
Tarif 2 € en visite libre - gratuit pour les enfants de moins de 10 ans - groupes sur réservation
Céra'Briques - Espace Normant
2, avenue François Mitterrand
41 200 Romorantin
Tél. : 02 34 06 10 34
www.museedesologne.com
Voir aussi l'article consacré à Michel Pasquier dans le n°3 de La Grenouille
Complément d'information : à partir du 3 février 2018, l'exposition est ouverte le mercredi après-midi de 14h à 17h en visite libre. L'exposition sera également ouverte en continu au mois d'août 2018.
Tarif 2 € en visite libre - gratuit pour les enfants de moins de 10 ans - groupes sur réservation
Céra'Briques - Espace Normant
2, avenue François Mitterrand
41 200 Romorantin
Tél. : 02 34 06 10 34
www.museedesologne.com
Michel Pasquier
collectionnait aussi les faïences (objets en terre cuite émaillée ou vernissée)
et avait réuni des pièces remarquables, d’origines diverses (faïences de Blois,
de Gien, d’Orléans, de Nevers, d’Ecuisses, etc.), souvent uniques et de toute
beauté.
Cette collection sera mise en vente le samedi 23 septembre à 14
h chez
Maître Pousse-Cornet, 32 avenue du Maréchal Maunoury à Blois.
La faïence de
Blois
Citons également la parution récente du livre (bilingue français-anglais) « La faïence de Blois 1862 - 1953 », de Martine Tissier de Mallerais, conservateur en chef honoraire du patrimoine.
Cet
ouvrage, illustré par le photographe Michel Berger, nous raconte l’histoire des
faïenciers de Blois (Ulysse Besnard, dit Ulysse, Émile Balon, Gaston Bruneau,
Josaphat Tortat, Adrien Thibault) et présente de nombreuses photographies de
superbes objets : vases, plats, assiettes, pieds de lampe, mais aussi souliers,
encriers, et même un violon… Bon nombre d’entre-eux proviennent de la
collection de Michel Pasquier.
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