Voici l’histoire du presbytère de Cheverny qui,
après la révolution française, resta dans le patrimoine de la paroisse grâce à
l’intervention d’un comte espagnol. (1)
La Révolution française.
Les abords de l’église avant les aménagements actuels. |
Le 2 novembre 1789, un décret met les biens du
clergé à la disposition de la nation (avec quelques contreparties pour
l’exercice du culte). Cette mise à disposition n’entraînait pas systématiquement
la vente et les biens qui étaient mis en vente trouvaient rarement preneur. Le
clergé, ouvertement hostile, ne désespérait pas d’en conserver la jouissance en
menaçant en chaire les éventuels acquéreurs. Pour remédier à cette situation,
un décret du 17 mars 1790 décida du transfert des biens du clergé aux
municipalités. Ainsi, les ventes devenaient plus faciles puisqu’il ne
s’agissait plus d’acheter les biens de l’église. La paroisse de Cheverny (dont
les biens étaient administrés par la Fabrique) (2) conserva donc la jouissance du presbytère sans en être
propriétaire (application du concordat du 15 juillet 1801 signé avec le pape
Pie VII) jusqu’à ce que la commune décide de sa mise en vente. À ce stade de
l’histoire, il faut savoir que les biens non aliénés ont été rendus aux
fabriques par décret du 7 thermidor an XI (26 juillet 1803). Et l’acquisition
par un tiers du presbytère de Cheverny, avant ce décret, ne permettait donc pas
sa restitution.
La donation prémonitoire du comte Olavides de Pilos
Les archives diocésaines du Loir-et-Cher ont
conservé l’acte sous seing privé (certifié par les notaires et visé par
l’ambassadeur de France), en date du 11 juin 1802, aux termes duquel Don Paul
d’Olavides, comte de Pilos, de nationalité espagnole, faisait donation à la
paroisse de Cheverny du presbytère (et du jardin attenant) acquis par lui
(vraisemblablement avant 1798) (1).
Cette donation, adressée à Monseigneur Bernier,
évêque d’Orléans, « dans l’intéret du village de Cheverny » est ainsi
rédigée :
« Baeza 11 juin 1802 (3)
Monsieur,
Je demeurais à Cheverni chez feu Mr Dufort lorsqu’on
a fait la vente du presbitère de l’endroit, comme je n’ay jamais douté du
retour de la religion, voulant conserver ce presbitère et le jardin y atenant
aux curés présents et a venir de cette parroisse j’ay acheté de mes deniers
l’un et l’autre par les mains du citoyen Jumeau qui était l’homme de confiance
de feu mon ami » (pour le compte de Nicolas
Dufort). « J’apprends qu’en conséquence des arrangements à faire selon le
concordat actuel il pourrait se faire qu’il n’y ait ni cure ni succursale à
Cheverni : mais je persiste dans le désir que cette propriété qui m’appartient
(…) soit remise Monsieur entre vos mains afin que vous en fassier l’usage que
vous jugerer dans votre sagesse le plus convenable aux besoins du canton et a
la plus grande gloire de la Religion... »
La restitution par la veuve du comte Nicolas Dufort
(décédé le 28 février 1802)
La restitution du presbytère et de son jardin à la
Fabrique de Cheverny est consignée dans un document écrit de la main de la
veuve de Nicolas Dufort en date du 4 octobre 1814, ainsi libellé :
« Je soussigné Legendre veuve de Nicolas Dufort
déclare que j’ai toujours eu l’intention de remettre au prieuré curé de
Cheverny la maison presbytérale de ladite cure que monsieur le comte Olavides
de Pilos a acquis du gouvernement sous le nom de mon époux pour être restituée
à l’époque ou la religion serait rétablie. Le prix de cette maison a été payé
en papier monnaie (4) par monsieur de Pilos ; mais le quart qui depuis a
été exigé en numéraire a été acquité par moi de mes deniers. Pour remplir et
exécuter les volontés pieuses de monsieur de Pilos je fais aujourd’hui la
restitution de cette maison à la fabrique de Cheverny, n’y ayant jamais
prétendu aucun droit mais tel qu’en jouit monsieur le Prieur curé et sans pouvoir
prétendre rien sur sa portion qui en a été détachée et comprise dans le contrat
de vente de la terre de Cheverny. (5) (…) Je déclare enfin que je
réaliserai à la volonté de monsieur le Prieur de Cheverny ou de la fabrique la
présente restitution par donation authentique mais aux frais de cette
fabrique... Signé Legendre Dufort. »
Les lois du 9 décembre 1905 et du 13 avril 1908
La loi de séparation des églises et de l’État du 9
décembre 1905 fut complétée par la loi du 13 avril 1908 qui disposait dans le
3° de son art. 1er : « Les immeubles bâtis, autres que les édifices
affectés au culte, qui n’étaient pas productifs de revenus lors de la
promulgation de la loi du 9 décembre 1905 et qui appartenaient aux menses
archiépiscopales et épiscopales, aux chapitres et séminaires, ainsi que les
cours et jardins y attenant, seront attribués par décret, soit à des
départements, soit à des communes, soit à des établissements publics pour des
services d’assistance ou de bienfaisance ou des services publics »
(1) Pablo de Olavide, comte de Pilos, né à Lima (Pérou) en 1725, fut
intendant de Séville (Andalousie). Esprit libéral, il lutta contre
l’Inquisition et fut condamné à 8 ans de prison en 1776. Il s’évada et se
réfugia en France en 1780. Il obtint la permission de retourner en Espagne en
1798 (Encyclopédie Universalis). Le presbytère de Cheverny ne figure pas dans
un inventaire du 23/12/1799 (canton de Cellettes) concernant les « ...édifices
non aliénés destinés originairement aux exercices d’un ou plusieurs cultes dont
les communes étaient en possession au 1er
jour de l’an II de la
République ». Par contre, les presbytères non aliénés comme ceux de Chitenay
ou Cour-Cheverny y sont bien mentionnés (Archives départementales).
(2) Voir l’article dans le n° 30 de La Grenouille (janvier 2016).
(3) La ville de Baeza est située en Andalousie.
(4) Le papier monnaie vit le jour
avec l’émission des premiers assignats, édités à l’occasion de la vente des
biens du clergé en 1789. Supprimés en 1796 du fait d’une trop forte
dépréciation, ils furent remplacés par les mandats territoriaux, eux-mêmes
démonétisés en 1797. Le 21 juin 1800 sont créés les premiers billets de la
Caisse des comptes courants, dont l’encaissement est confié à la Banque de
France, nouvellement créée. C’est avec l’une de ces monnaies de papier que le
comte de Pilos a réglé une partie du prix du presbytère de Cheverny.
Le Héron - La Grenouille n°33 - Octobre 2016
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