La famille Dronne à Cheverny et Cour-Cheverny

L’origine de la famille Dronne est essentiellement sarthoise. Plus précisément du secteur de Teloché, Écommoy, Marigné- Laillé, Yvrain-le-Pôlin.
Le nom de Dronne provient du petit ruisseau Le Rhonne qui prend sa source à Saint-Marcd’Outillé près d’Écommoy et qui s’étire sur 25 km.
La famille Dronne à Cheverny et Cour-Cheverny
En 1320, Pierre de Rhonne est nommé maître des monnaies par le comte du Maine. Plus tard, les Dronne furent très impliqués durant la Réforme et l’occupation de la ville du Mans par les protestants en 1562.
Le 14 septembre 1986, 400 Dronne se sont réunis à Mulsanne, près du Mans, avec parmi eux Michel Dronne et sa famille pour représenter la branche des Dronne du Loir-et-Cher, soit une quinzaine de participants sur les 700 Dronne recensés actuellement en France.

Les Dronne viticulteurs à Cheverny et à Cour-Cheverny
Raymond Dronne (1917-2007). Né pendant la Première Guerre mondiale, Raymond effectua deux ans de service militaire (1937-1939), puis cinq ans de captivité en Allemagne, à partir de 1939, lors de la Seconde Guerre mondiale. Il eut deux filles : Adeline (1946) et Claudine (1949), puis un fils, Michel (1952).
La famille Dronne à Cheverny et Cour-Cheverny
Robert, le frère de Raymond eut deux filles, Jacqueline et Colette.
Les deux frères Dronne exercèrent sur des exploitations modestes et très diversifiées d’une quinzaine d’hectares aux lieudits « Les Rues » et à « La Gaudinière » sur Cour-Cheverny pour Robert et à « L’Ébat » pour Raymond sur Cheverny.
Michel Dronne a repris l’exploitation de son père en 1990, une quinzaine d’hectares à « La Grilletterie ». Il développe depuis 35 ans 14 hectares de vigne au « Grand Ébat » et au « Bois Doré », plantés en cépages Sauvignon-Chardonnay, Pineau noir et Romorantin, aux normes de l’appellation. Renaud a repris l’exploitation en 2010.

La famille Dronne à Cheverny et Cour-Cheverny
La passion de la chasse
Michel Dronne se livre à la chasse dite « devant soi (1) ». C’est la forme de chasse la plus courante, pratiquée le dimanche par les cultivateurs, à l’époque où le petit gibier sauvage proliférait encore. À partir de 1982, Michel a géré un territoire de chasse d’environ 250 hectares qui appartenait à une vingtaine de propriétaires, avec des tableaux de chasse plutôt modestes : quelques lièvres et lapins, des perdreaux gris et des faisans de volières...

La régulation des espèces encadrée par la loi
Le ministère de la chasse et de la faune sauvage fixe les différentes catégories de nuisibles, soit sur tout le territoire français, soit seulement sur certains départements. Une espèce est déclarée nuisible en fonction de l’atteinte qu’elle peut occasionner à notre santé, à la sécurité publique, à la flore et à la faune, aux activités humaines agricoles, forestières ou aquacoles. Signe des temps, on a inventé un acronyme qui remplace le mot « nuisible » : on parle désormais d’« Esod » qui demande une traduction : « Espèce susceptible d’occasionner des dégâts... ».
Michel Dronne a suivi une formation de piégeur via l’association des piégeurs Solognots (Vineuil) (2). À ce jour, il consacre beaucoup de son temps à cette activité qui complète sa passion de la chasse. P. D.

(1) « La chasse devant soi » signifie que l’on marche, avec son fusil, dans le but de lever un gibier. Les limites sont celles du territoire autorisé et de la gestion de la faune sauvage. C’est la chasse du dimanche.
(2) L’association a pour objectif de regrouper en son sein toutes les personnes volontaires et qualifiées pour réguler par piégeage ou autre moyen les prédateurs ainsi que les espèces envahissantes dans le cadre de la loi et de la réglementation en vigueur dans le département.

La Grenouille n°68 - juillet 2025

Commémorations et souvenirs

Le 8 mai dernier, comme dans toutes les communes de France, le 80 ème anniversaire de la capitulation de l’Allemagne nazie a été célébré à Cheverny et Cour-Cheverny.
Comme chaque année, le défilé, avec à sa tête la fanfare de la Lyre, les pompiers et les élus, a traversé nos villages, avec dépôts de gerbes aux monuments aux morts. La jeune génération était présente, avec les enfants de l’école Paul Renouard qui ont chanté le Chant des Partisans.

Les anciens étaient là aussi, fidèles à cette commémoration
Parmi eux, Bernadette Gaveau, courchoise, avec plusieurs de ses amies a, comme habituellement, participé à la quête auprès du public et distribué les cocardes au nom de l’Union Nationale des Combattants (UNC). En costume d’époque pour ces cérémonies, elle nous a brièvement évoqué le souvenir qu’elle garde de cette période de guerre.

Souvenirs de la guerre
Née en 1935, Bernadette vivait pendant la Seconde Guerre mondiale avec ses parents dans une cabane en forêt de Chambord où son père était bûcheron ; elle se souvient du lit avec son matelas de fougères et ses gros draps de lin… L’hiver, la famille revenait habiter dans un logement dans les communs du château.
Elle nous a évoqué la peur qui saisissait les habitants lorsqu’ils entendaient les avions allemands voler au-dessus d’eux et se cachaient comme ils pouvaient… Elle se souvient surtout de l’abbé Gilg, curé de Chambord à cette époque, qui a permis d’éviter le pire. En août 1944, le château de Chambord aurait sans doute été détruit et la population du bourg massacrée par les nazis sans son intervention auprès des Allemands : par chance, l’abbé Gilg était germanophone, diplomate et courageux (1). Bernadette se souvient que, gamine, elle lui réclamait des poupées, et le curé lui répondait qu’elle n’avait qu’une chose à demander dans ces périodes difficiles… : de quoi manger…  

(1)L’école, l’hôtel et quelques bâtiments ont été incendiés, et une quarantaine de civils pris en otages.

Sources : Wikipédia et www.chambord.org/fr

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La vie de Château à Cour-Cheverny

La famille Château, bouchers à Cour-Cheverny
Boucher de père en fils…
Henri Château est né le 6 juillet 1888 à Vicqsur- Nahon dans l’Indre. Il travaillera chez son père, Georges Dieudonné, boucher dans ce village. Des documents généalogiques mentionnent un membre de la famille Château boucher en 1831, et d’autres indiquent pour Georges la profession de « sabotier puis charcutier ». On ignore quand Georges (1848- 1915) a cessé son activité, mais on croit savoir que la boucherie sera ensuite tenue par son fils Julien Romain, puis plus tard par sa petite fille Jeanne qui épousera en 1925 un des employés de la boucherie, Louis Henri Boucher (eh oui ! ça ne s’invente pas…).Quitte à sortir du cadre habituel de nos deux communes, nous ne résistons pas au plaisir de partager une information du même genre… : en rédigeant cet article, nous avons appris qu’à Contres, dans les années soixante, M. Isidore Cotellette tenait un « commerce de gros bestiaux » (Réf . Société.com). On apprend également que cette correspondance entre nom de famille et métier s’appelle un aptonyme…

Mais revenons à nos moutons
N’ayant semble-t-il pas eu la possibilité de reprendre le commerce paternel tenu par son frère, Henri Château cherche donc à s’établir ailleurs. Un autre de ses frères, Amédée, était boucher à Chitenay. C’est ainsi qu’Henri a dû connaître notre région, et qu’il achètera en 1913 la boucherie de Maxime Leroux, située rue Nationale à Cour-Cheverny. Celui-ci prend alors sa retraite et acquiert la maison située un peu plus bas dans la même rue, où habitera plus tard sa fille Rolande, épouse de Fernand Brunet qui fut maire de la commune de 1953 à 1970.

La famille Château, bouchers à Cour-Cheverny
Mais Henri n’exercera son métier que quelques mois dans sa boucherie courchoise, car il est mobilisé le 3 août 1914 pour la guerre contre l’Allemagne. Il avait auparavant participé à des campagnes militaires en Algérie et au Maroc de 1909 à 1911. Démobilisé le 12 juillet 1919, c’est seulement à partir de cette date qu’il pourra exercer son métier de boucher à Cour-Cheverny, après plus de sept années passées dans l’armée

La boucherie Château s’installe à Cour- Cheverny pour de longues années...
Henri se marie en 1919 avec Marcelle Léon et le couple aura quatre fils : René, né en 1921 et mort en bas âge, Jean, né en 1922, un autre René né en 1924, Georges (dit Jojo) né en 1926.

La famille Château, bouchers à Cour-Cheverny
Jean, au début de la Seconde Guerre mondiale, est réquisitionné par le Service du Travail Obligatoire (STO) instauré par l’Allemagne nazie occupant la France à cette époque. Son père lui ordonne de se cacher dans la forêt de Cheverny, chez René Briquet, métayer à la ferme de Béjun dans la plaine du Colombier, et son épouse Gabrielle ; le lieu est indiqué ainsi sur la carte IGN actuelle, « Béjuing » sur la carte de 1864 du Domaine de Cheverny et Bégin sur les plans du cadastre napoléonien de 1813 et sur la carte de Cassini (1760 environ) ; on ignore l’origine de ces dénominations successives ; Béjuing semble correspondre à « Pékin », écrit le plus souvent « Beijing » : de quoi susciter de prochaines recherches toponymiques....
Et c’est ainsi que Jean, caché en forêt de Cheverny, entre dans la Résistance ; René et Jojo le rejoindront plus tard et ils y resteront jusqu’à la Libération en 1944. Ils participent notamment à des parachutages dans la plaine du Colombier et à d’autres actions dont nous n’avons pas le détail.

La famille Château, bouchers à Cour-Cheverny
Il se dit dans la famille qu’ils ont toujours refusé d’être considérés comme des héros, car ils s’étaient engagés dans le mouvement comme par jeu, faisant des farces aux Allemands… Mais ils ont certainement vécu des évènements bien plus dramatiques, dont ils ne se sont jamais glorifiés…

Henri, boucher rue Nationale…
Dans son commerce de la rue Nationale, Henri vendait, avec son épouse Marcelle, de la viande de boeuf, de veau, de mouton et d’agneau. La boutique d’origine (photo ci-contre datant de 1930 environ) était typique des boucheries d’autrefois, avec une façade très ouverte sur l’extérieur, qui se fermait en déployant un rideau métallique qui se déplaçait sur des roulettes, guidé par un rail. Dans toute la France à cette époque, et jusque dans les années 60, on rencontrait fréquemment ce type de devanture de boucherie.
Henri abattait lui-même ses bêtes au fond de la cour derrière la boutique. La boucherie sera rénovée avec une façade moderne à une date inconnue. Henri cessera son activité en 1949 pour raison de santé, et décèdera en 1953.

…puis son fils Jean

La famille Château, bouchers à Cour-Cheverny
Jean avait travaillé de nombreuses années auprès de son père et lui succède en 1949. Il épouse Rolande Gaugry en 1946, et le couple aura deux enfants : Claudine née en 1950, aujourd’hui décédée, et Bertrand né en 1955. Rolande étant d’une famille de marchands de volailles à Mur-de-Sologne, le commerce de boucherie va se compléter avec la vente de « bêtes à plumes » : poulets, perdrix, etc., et lapins, le lapin étant aussi commercialisé par le volailler… Il était également charcutier, s’approvisionnant auprès de fournisseurs locaux. Lui aussi rénovera la boutique, avec une nouvelle façade.
Comme son père, Jean achetait sa viande en campagne, chez les éleveurs des villages alentour. Tout se faisait à l’époque en circuit court, ou très court… Les bêtes étaient désormais abattues à l’abattoir communal (1) de Cour-Cheverny, situé route de Blois (à l’emplacement de l’actuel ehpad La Favorite) et qui fermera ses portes en 1969.

La famille Château, bouchers à Cour-Cheverny

Jean était « Chef de la musique », c’est-à-dire de la Lyre de Cheverny/Cour-Cheverny. À ce propos, dans un courrier du 25 avril 1969, Jean écrit au maire de la commune pour lui signifier son mécontentement concernant la décision du Conseil municipal de fermer l’abattoir, qu’il concrétise en annonçant que « les bouchers étant bannis et expulsés de la commune, il cessera de participer aux défilés et répétitions, et d’assurer toute responsabilité au sein de la Lyre ». Voilà qui est dit ! Cette démission fera une heureuse : son épouse, qui pourra ainsi le voir plus souvent à la maison !

Quatrième génération de bouchers Château
La famille Château, bouchers à Cour-Cheverny
Après Georges, Henri et Jean, Bertrand s’est naturellement engagé dans le métier en se formant petit à petit auprès de son père, mais surtout à Paris, à l’Ecole Supérieure des Métiers de la Viande (ENSMV) qui lui a donné l’occasion de faire de nombreux stages en boutique, puis de travailler dans différents établissements de la capitale. Il revient à Cour-Cheverny en 1983 et prend la succession de Jean avec Anne son épouse, auparavant documentaliste, qui apprendra le métier à ses côtés. L’activité se complète avec la charcuterie désormais confectionnée sur place, la vente d’abats et le commerce de traiteur. On rêve aujourd’hui de retrouver un tel commerce dans le village !... Surtout quand on se souvient qu’à cette époque, le village comportait deux autres boucheries tenues par André Douet et Paul Arnoult, sans oublier la boucherie chevaline de M. Hochart et deux charcuteries tenues par Michel Geniès (et son grand-père quelques décennies plus tôt…) et Bernard Marier (précédemment M. Duguet) !...
La boutique et la façade de la boucherie Château seront à nouveau transformées en 1985, avec la réfection du laboratoire et des chambres froides. La boucherie a régulièrement employé cinq personnes, dont de nombreux apprentis qui se sont formés chez les Château. Tout comme Bertrand, qui se souvient avoir été « dressé », comme il dit, par Gilbert Bertrand, un des employés, qui habite toujours dans le village.

L’abattoir de Cour-Cheverny (1)
Bertrand Château : « J’ai quelques souvenirs de l’abattoir du temps où tout gamin j’y accompagnais mon père. Les gardiens se nommaient M. et Mme Haudon et je pense me rappeler que ces postes étaient réservés aux anciens combattants.
Chaque boucher avait sa case, soit au total quatre ou cinq pièces d’une quinzaine de m2, chacune équipée d’un treuil pour suspendre les bêtes après l’abattage. En bas de la cour une pièce était réservée à l’abattage des porcs et une autre au stockage des peaux qui étaient salées et pliées après chaque abattage. C’était en général le travail de l’apprenti, tâche qui demandait beaucoup de soins.
Un ramassage était organisé tous les six mois environ par les Tanneries vendômoises ; à cette époque ces peaux représentaient une valeur assez conséquente. Aujourd’hui cela ne vaut plus grand chose, et les peaux sont recyclées pour différents usages.
À la boucherie, les graisses et les os étaient ramassés chaque mois et partaient du côté de Nantes dans une fabrique de produits de beauté ».

Un métier très varié...
La continuité du métier dans la famille nous permet d’en prouver tout l’intérêt, que Bertrand nous décrit sous différents aspects :
B. C. : « J’adorais observer les animaux et le contact avec les éleveurs, pour connaître leurs pratiques d’élevage, et négocier avec eux pour acheter les bêtes. Il m’arrivait souvent d’y aller le lundi (jour de fermeture), car c’était un vrai plaisir pour moi ».
À ce sujet, 40 ans après, une cliente se souvient encore de l’expression d’une éleveuse locale, personnage haut en couleur, qui questionnait ainsi le boucher dans la boutique : « C’est-y d’mon viau la viande qu’tu vends aujourd’hui ?... ». Après la réponse positive du boucher, tout le monde prenait du veau… Et le commerce donnait de bonnes occasions de « tailler la bavette », à propos de viande ou d’autres sujets…
B. C. : 
La famille Château, bouchers à Cour-Cheverny
« Je faisais également des tournées, quatre fois par semaine, pour livrer dans les villages alentour. De quoi connaître par coeur toute la campagne environnante ! Je croisais souvent Josiane Tessier qui livrait le pain au volant de la 2CV camionnette de la boulangerie Renault. Je rendais également service au vétérinaire de Bracieux, M. Château (encore un Château !) puis M. Cornuau, en distribuant ses médicaments aux éleveurs qui se trouvaient sur ma tournée ; c’était aussi l’occasion de recruter du personnel : on me demandait souvent si j’avais une place pour accueillir un jeune attiré par la boucherie.
J’allais aussi deux fois par mois aux Halles de Rungis pour rapporter les morceaux qui me manquaient. J’y arrivais vers 3 heures du matin, et revenais en fin de matinée, après avoir partagé sur place un joyeux casse-croûte entre amis.
Le travail à l’abattoir et en boutique était très varié : découpe des quartiers, préparations bouchères (paupiettes, rôtis, etc.), confection de la charcuterie, et bien sûr la vente au client ».
À propos de quartiers, on peut rappeler que les quatre parties de la carcasse d’un boeuf (ou autre bétail) sont obtenues par la séparation de la carcasse, le long de l’épine dorsale, en deux demies, chacune de ces deux demies étant ensuite séparée transversalement en partie arrière et avant. Et Bertrand nous apprend que le « 5e quartier » désigne les abats…
Bertrand nous évoque également une tradition qui rappellera des souvenirs à beaucoup d’anciens : en boucherie, on offrait une rondelle de saucisson aux enfants qui accompagnaient sagement leurs parents pour faire les courses…
B. C. : « J’abattais un ou deux boeufs par semaine, et 5 porcs. Nous avions un stock de 3 semaines environ, sachant qu’il faut laisser la viande au repos une semaine, pour qu’elle mature ».
Et le boucher doit savoir vendre toute la viande des bêtes abattues, et donc gérer ses stocks, ce qui n’est pas simple... Les goûts du consommateur évoluent au fil des saisons et des années, et l’on mange aujourd’hui davantage de quartiers arrières (les « morceaux nobles » : côtes, entrecôtes, filets,…), que d’autres morceaux qui nécessitent une cuisine plus longue (ragoûts, viandes mijotées, etc.) et sont donc plus difficiles à commercialiser.

…avec son lot de difficultés
La famille Château, bouchers à Cour-Cheverny
Bertrand et Anne évoquent notamment la crise de la vache folle dans les années 90, où il fallait convaincre la clientèle que la viande de la boutique, de provenance locale garantie, était tout à fait consommable.
Anne Château : « Le passage à l’euro en 2000 fut également un moment compliqué, où il a fallu changer la caisse enregistreuse, les balances et les étiqueteuses. Le passage aux 35 heures en 2000 fut aussi une période délicate dans la gestion du personnel, avec toujours la difficulté à recruter ».
Dans les « tâches annexes », il fallait aussi procéder à la lessive des tenues du personnel (vêtements, tabliers, etc.) qui se changeait une ou deux fois par jour, et bien sûr assurer la comptabilité.


Changement d’activité et nouveaux projets
En 2005, Anne et Bertrand décident, pour raison de santé, d’arrêter l’activité de boucherie, pour pratiquer l’élevage de poneys et l’accueil en chambre d’hôtes à la ferme de l’Ébat, route de Romorantin au lieudit « La Petite Taurie », que Jean avait achetée en 1960.
Les quatre enfants du couple ont apporté leur aide au commerce dans leur enfance, mais ont ensuite tous pris des voies différentes : Luc, célèbre cavalier et éleveur de chevaux, Pierre agriculteur céréalier, après avoir été quelques années acheteur-estimateur de bétail
(2), Antoine restaurateur à Charleroi (en Belgique) et Vincent maroquinier travaillant pour Hermès.
Le domaine de l’Ébat s’est petit à petit transformé et est maintenant devenu le Haras des Châteaux, géré par Luc et Caroline Quéval sa compagne.
Luc est un cavalier de renommée nationale et internationale, et a obtenu de nombreux succès avec son cheval Propriano, né à l’Ébat. Celui-ci est aujourd’hui âgé de 21 ans, et mène une vie de reproducteur en Allemagne. Il devrait rejoindre prochainement son haras natal.
Luc continue la compétition au plus haut niveau avec les enfants de Propriano, Cocorico de l’Ébat et Bastia de l’Ébat.

Merci à Anne et Bertrand Château, qui nous ont permis de retracer l’histoire d’une famille et d’un commerce dont le village aimerait profiter à nouveau…, ainsi qu’à Jacqueline Viginier, fille de René et Gabrielle Briquet.

P. L.

(1) Voir « Cheverny et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher... et nos petites histoires ». Éditions Oxygène Cheverny - Nov. 2018 : page 114 « L’abattoir de Cour-Cheverny ».
(2) L’acheteur-estimateur de bétail pratique le négoce de la viande, entre producteurs et distributeurs. On employait autrefois le terme de maquignon, qui s’appliquait au commerce des chevaux, puis par extension à celui de tout le bétail vivant. De manière péjorative, le terme désigne également un entrepreneur peu scrupuleux en affaires (Larousse).
(3) Nous reviendrons plus longuement sur cette galerie de portraits dans un prochain numéro de « La Grenouille ».

La Grenouille n°68 - juillet 2025

Peinture à Cheverny

En visitant le château de Cheverny, on est toujours admiratif devant la qualité des décors et notamment des peintures, dans un état remarquable… Damien, Chevernois, nous a transmis le témoignage de son grand-père, qui lui a évoqué le souvenir de son métier de peintre oeuvrant autrefois au Château de Cheverny, artisan de cette qualité qui ne date pas d’hier…


D’abord au château de Ménars…
Guy Bleau est né en 1931 dans le hameau de Fleury sur la commune de Suèvres, d’un père cantonnier et cultivateur, et d’une mère qui tenait un café. En 1945, Guy, alors âgé de 14 ans, travaille en apprentissage comme peintre en bâtiment chez M. Gagnepain à Ménars, ami de ses parents.
La première année, il intervient comme peintre-vitrier au château de Ménars alors propriété de Saint-Gobain. Durant les années précédentes, les Allemands avaient repeint une bonne partie des pièces en gris et les plafonds en blanc, et brisé une multitude de carreaux aux fenêtres.
Perché à plusieurs mètres de hauteur sur son échelle double, assis en équilibre sur les barreaux, Guy retirera difficilement la peinture appliquée par les Allemands, avant de pouvoir étendre une nouvelle peinture. Il restaurera également les fenêtres ainsi que les parois d’une serre, allant chercher les verres à l’aide d’un diable à la gare de Ménars, en provenance des usines Saint-Gobain. Et Guy se souvient que c’est sur ce chantier qu’il en a le plus bavé.

Peinture à Cheverny - Guy Bleau

…puis au château de Cheverny

Suite à une altercation avec son patron qui l’avait injustement sanctionné, Guy quitte l’entreprise un vendredi soir, avec quelques difficultés pour récupérer ce qui lui était dû, et est embauché dès le lundi chez Robert Janvier, peintre à Blois. M. et Mme Janvier habitaient rue Chambourdin, dans une maison où était entreposé tout le matériel de l’entreprise, et où était installé le salon de coiffure de Madame.
Vers 1948, l’entreprise se voit confier la réalisation des travaux de peinture au château de Cheverny. Guy, âgé de 17 ans, est alors amené à y travailler, et y restera environ 3 ans, jusqu’à ses 20 ans. Outre Guy, l’équipe était constituée de Robert Janvier, Armel, originaire d’Onzain, réputé pour arriver en blanc le lundi matin et repartir le samedi soir sans une seule goutte de peinture sur lui, « un bon peintre qui travaillait bien mais qui n’aimait pas se salir », Gilbert, célibataire et père d’une fille trisomique qu’il élevait seul, Jojo, un gars spécial d’après Guy (« il ne mangeait pas de viande, il faisait du vélo et de la marche à pied en compétition »), du beau-frère de Jojo, puis quelques temps après de Michel, fils du patron. Deux staffeurs venus de Paris étaient parfois employés ; ils arrivaient le lundi, dormaient à Cour-Cheverny aux Trois Marchands et repartaient le samedi.

Peinture à Cheverny - Guy Bleau

Guy réalisera de nombreux travaux de peinture à l’intérieur du château, sur des murs, des boiseries, des plinthes. Il réparera également, avec son patron, des tables, des chaises et des fauteuils.

Tous deux allaient aussi repeindre de grands panneaux en bois indiquant « Visitez le château de Cheverny », qu’on pouvait voir sur les murs et sur les routes de tout le département. Certains, abimés par le soleil, nécessitaient une restauration complète, d’autres, en tôle galvanisée, avaient besoin d’un simple nettoyage à l’eau.


Souvenirs du travail au château
Le marquis de Vibraye les avait autorisés à s’installer dans un des box de la partie droite des écuries qui ne recevait plus de chevaux. Un jour d’hiver, Guy et ses collègues déjeunaient sur une table installée au fond de l’ancien box converti en atelier. Le marquis, entendant des voix, fait irruption dans l’atelier : « C’est ici que vous mangez ? Vous avez froid ! Je m’occupe de vous ». Il revient une trentaine de minutes plus tard et leur dit « À partir de maintenant vous demanderez au concierge, il vous expliquera, vous irez manger là-bas et il vous fera du feu le midi ». Après que le gardien eut remis en état la pièce présente sur la partie gauche des écuries, elle devint leur pièce de vie et ils purent ainsi manger au chaud.
Un jour de pluie, Robert Janvier s’adresse à ses ouvriers : « Vous voyez le temps qu’il fait, vous savez ce qu’il faut que l’on fasse... ». Ils durent repeindre toutes les sous-faces en bois du bâtiment des écuries, dépassant de 40 cm environ et s’étalant sur plus de 500 m de long…. Ils y apposèrent trois couches de couleur brun Van Dick (rouge sang foncé) et le travail devait être terminé en une semaine, avant une date précise. Pendant tout ce temps, il tombait de l’eau à ne plus jamais s’arrêter. Le patron leur avait acheté un semblant de veste imperméable qui ne leur servit pas à grand-chose car les toits n’ayant pas de gouttières, l’eau dévalait la toiture et se jetait sur eux ; ils en prenaient plein la figure et les bras, tandis qu’ils peignaient les dessous de toits qui eux étaient au sec…

Peinture à Cheverny - Guy Bleau

Toujours bien traités Très souvent, à la suite d’une partie de chasse à courre ou d’une vidange d’étang, le marquis venait retrouver Guy pour lui dire : « Monsieur le Peintre ! Vous passerez voir le concierge avant de partir ». Ce à quoi Guy répondait « Oui, oui, c’est d’accord Monsieur le Marquis ». Cela indiquait qu’il leur avait mis de côté un demi-sac de viande (biche ou cerf) ou de poisson, coupé et vidé. Et Guy de préciser : « Si tu étais là, tu étais sûr de partir le soir avec quelque chose ».


Le village à une autre époque…
Au niveau de l’actuelle billetterie, se trouvait le logement du concierge qui avait été repeint, tandis qu’à côté, le bâtiment donnant sur la route était, d’après Guy, une ancienne écurie avec un grand bazar. Elle fut refaite à neuf par des ouvriers maçons et charpentiers, avant que vienne le tour des peintres qui y restèrent un bon moment, car la peinture fut refaite dans un style ancien, afin d’y accueillir un snack-bar qui est devenu de nos jours le restaurant « Le Grand Chancelier ».
De l’autre côté de la route, se trouvait aussi un café-restaurant (aujourd’hui « Le Pinocchio ») ; il était ouvert le midi pour les ouvriers et tenu par une femme prénommée Marie et sa fille. Si la mère de Guy n’avait pas eu le temps de lui préparer à manger, il passait au café-restaurant le matin et demandait à Marie de lui préparer quelque chose pour le midi. Il mangeait avec elles et non dans la salle avec les autres ouvriers.
Guy a eu connaissance de la présence d’abris en bois recouverts de toits en tôle ou en ardoises sur le parking du château, où était amené le bois du parc afin de le transformer en charbon pour les gazogènes ; cela servait de carburant alternatif pour les véhicules car l’essence se faisait rare durant la guerre. Après-guerre, une fois qu’il y eut assez d’essence, les installations furent démolies

Peinture à Cheverny - Guy Bleau


Le transport…

Un matin, le patron déposa Guy et Jojo à Cheverny, avant de prendre la route pour Orléans. Guy et Jojo travaillèrent toute la journée puis attendirent vainement leur patron de 18 h à 19 h pour le retour.

Ne le voyant pas arriver, ils prirent à pied le chemin de Blois ; après 15 minutes de marche, ils arrivent sur la place de l’église de Cour- Cheverny. Le patron des Trois Marchands, M. Bricault, chez qui ils mangeaient certains midis et pour qui ils ont travaillé longtemps dans les chambres et les salles de déjeuner, était un grand ami de leur patron. En les apercevant, il leur demande où ils allaient ainsi à pied et leur propose de les emmener, mais Jojo refuse. Et c’est ainsi que les deux sportifs arrivèrent à Blois après 3 h 30 de marche sur 15 km...

Lorsque Guy arrive chez son patron pour prendre son vélo et rentrer chez lui à Suèvres, celui-ci s’aperçoit qu’il a oublié d’aller les chercher et leur demande comment ils ont fait… Guy lui explique qu’ils sont revenus à pied… « M. Bricault a proposé de nous emmener, mais Jojo a refusé ! ». « Ça ne m’étonne pas de celui-là » lui répondit Robert Janvier.

Le lendemain matin, Guy arrive au travail et son patron lui dit : « J’emmène les gars à Cheverny et je reviens, tu m’attends ». Lorsqu’il revient, il s’adresse à Guy : « Monte dans la bagnole, on s’en va chez le marchand de vin ». Situé au 8 rue de la Garenne, Marcel Berruet est un ami de son patron et quand ils arrivent, seul sa femme est présente. Janvier lui dit : « On vient pour ma bagnole ». Elle les emmène dans une grange, là où se trouve dans le fond l’automobile de Robert Janvier, une belle Hotchkiss noire, rangée là car elle ne servait pas. Une fois sortie, nettoyée puis arrangée par un mécanicien, elle devint ainsi le moyen de transport des ouvriers pour se rendre à Cheverny sans encombre ! Un beau véhicule de service !


Les amis…

D’après Guy, une partie des salariés qui travaillaient dans le château étaient logés à côté du cimetière de Cour-Cheverny. Guy se souvient également des copains ouvriers maçons, menuisiers, etc., qu’il a pu côtoyer, et des frères Ducolombier, dont plusieurs travaillaient au château, et d’un plus jeune qui était peintre à Cour-Cheverny et qu’il retrouva quelques années plus tard dans son équipe à Blois.


L’ambiance était bonne…

Un jour au château, une guide en pleine visite explique : « C’est un tableau d’époque Louis XV ». Guy, qui travaillait à côté avec un collègue, ne put s’empêcher de murmurer « Menteuse, ce n’est pas vrai, il est du XV e », ne pensant pas être entendu ; après la visite, la guide vint à leur rencontre leur dire d’un ton amusé : « Vous savez que l’on entendait toutes vos âneries et que tous les visiteurs rigolaient, j’aurais pu louper ma visite ! ».

Un autre jour, une porte séparant deux pièces était ouverte, d’un côté Guy, de l’autre une guide qui conte à ses visiteurs : « C’est un fauteuil d’origine qui n’a jamais été réparé », et Guy de commenter : « Ça fait 15 jours que je l’ai réparé ». Car Guy et son patron ont tous deux oeuvré parfois à la restauration de certaines chaises et fauteuils en bois. Les chaises étaient peintes d’une couleur gris clair avec des filets de dorure, mais si elles étaient cassées ou abimées, c’était au menuisier de s’en charger.


Et les accidents…

Lors d’une période de froid, Guy accompagné de deux collègues travaillaient sur un pavillon en forêt de Cheverny qu’ils mettaient à neuf intérieurement et extérieurement, dans le but de pouvoir y accueillir un garde. Gilbert, ouvrier peintre, voyant du bois et des brindilles bien sèches dans le large four à pain de la demeure, décide d’y faire une petite flambée. D’après Guy : « Le four était tellement large que l’on aurait pu y faire cuire un chevreuil entier ».

Mais tout ne se déroula pas comme prévu, car le bois, bourré à bloc, très sec du fait de sa présence ici depuis 10 ou 15 ans, flamba très vite et provoqua un début d’incendie. Fort heureusement, un puits se trouvait à proximité, Guy y tira des seaux d’eau en vitesse pour les passer à Gilbert et Jojo, qui attaquèrent les flammes. C’est en venant les chercher le soir que leur patron, interrogé par la fumée qu’il aperçut au loin se dit qu’il y avait quelque chose d’anormal. À son arrivée, voyant la situation, il les aida avant de leur dire : « Si il était resté des armes et munitions cachées là pendant la guerre par des FFI [Résistants, nombreux à se cacher en forêt] tout aurait explosé ! ». Plus de peur que de mal !...


Autres emplois…

Quelques temps plus tard, son patron, ayant perdu un gros chantier, doit se séparer d’un ouvrier. Guy laisse sa place à son collègue Gilbert, indiquant qu’il est nécessaire pour lui de garder son emploi pour subvenir aux besoins de sa fille handicapée : « Si je m’en vais, demain matin, j’attaque ailleurs, y’a un patron qui m’attend ».

Après sa mobilisation en Algérie, Guy travaille quelques temps en région parisienne puis s’installe à Blois après son mariage. Il est embauché par la ville comme responsable d’une équipe technique. Il réalise une multitude de travaux dont des faux marbres à la mairie, des décors à la Halle-aux-grains, des faux-bois sur les portes des écoles, mais aussi les fleurs de lys de la grande salle des États généraux du château de Blois. Il réalisera plusieurs peintures artistiques dont certaines furent longtemps exposées à la mairie de Blois. Il a aussi refait la totalité de la peinture du château des Forges à Suèvres entre les années 70 et 80.


De beaux souvenirs

Guy, aujourd’hui âgé de 94 ans, est un puits de souvenirs et d’anecdotes en tout genre… C’était un grand sportif, footballeur et cycliste à Suèves avant de rejoindre l’AAJB (Association Amicale de la Jeunesse Blésoise). Il garde encore un très bon souvenir du Château de Cheverny, des bons moments passés, des bons copains ; il se souvient que lui et ses collègues étaient bien payés et n’avaient pas besoin de courir pour que le travail soit bien fait, et il nous décrit le marquis Philippe Hurault de Vibraye et son épouse comme des personnes « remarquables, gentilles, altruistes et très agréables ».


P. L.


La Grenouille n°68 - juillet 2025

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
C’est l’histoire d’une femme hors normes : par son caractère rude, autoritaire, l’oeil vif, se mettant souvent en colère en jurant avec des « noms d’oiseaux » ; ensuite par sa posture physique : grande et belle rousse, très élégante quand elle se parait de bijoux et apparaissait en manteau d’Astrakan lors des fêtes familiales.







Eugénie, née le 6 juillet 1874, avait reçu une belle instruction dans une famille courageuse et âpre au gain. Son ambition et sa rigueur au travail la prédisposaient à réussir sa vie. Sa vie de femme, elle la commença avec son mari François Chéry comme fermière à La Borde jusqu’en 1914. Elle avait alors 40 ans. Il est remarquable que ce couple, en 24 ans (Eugénie est décédée en 1938) a, à force de travail, pu acheter quatre fermes autour de La Borde. La première, La Champinière en 1907 ; ensuite La petite Champinière (les bâtiments ont aujourd’hui disparu), puis La Closerie du Pont, et La Guillonnière, sur la route de Tour-en-Sologne. À cela s’ajoute la maison familiale à Cheverny (La Petite Bourdonnière), avec ses vignes et ses champs de céréales.

Le quotidien
Le couple eut à lutter, en cette fin de XIXe siècle, contre le phylloxera et le mildiou. Il n’était pas rare de voir Eugénie traiter ses vignes cep par cep au sulfate de cuivre contre le mildiou les nuits de clair de lune, et au furet (1) rempli de poudre de pyrèthre (2) contre le phylloxera... Elle était pieds nus car les traitements rongeaient les chaussures. Fin 1900, elle reçut même une médaille en récompense de son acharnement pour avoir contribué à sauver les vignes des Huards et de La Bervinière qui s’étendaient jusqu’à La Bijourie.
Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Deux fois par semaine, Eugénie cuisait son pain vers quatre heures du matin, battait son beurre et plumait les poulets pour les vendre au « marché au beurre » qui se déroulait rue Basse à Blois chaque fin de semaine. Elle s’y rendait en carriole tirée par son cheval, « contre vents et marées » depuis Cour- Cheverny, après avoir traversé la forêt.
Un jour de décembre, elle dut conduire en urgence une bonne vers l’hôpital pour accoucher. Elle franchit l’octroi de l’entrée de la ville à toute vitesse, sans obtempérer, en injuriant copieusement le gardien qui constatait qu’elle roulait trop vite. Finalement, c’est Eugénie qui accoucha sa bonne dans la carriole, sous la neige, au milieu du pont de Blois.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Une femme très cultivée et raffinée
Eugénie et son mari élevèrent leurs quatre enfants dans le respect de la discipline et du travail. Elle aimait l’art et investissait sa « mitraille d’or » du marché en achetant des objets d’art, des bronzes, des porcelaines, des meubles et des tableaux...
Elle aimait aussi les belles voitures : elle fut certainement la première à acheter une Peugeot Torpédo et une 301 familiale. Toujours en avance sur son temps, elle fit installer le chauffage central à La Champinière en 1935.

Eugénie fut terrassée par une attaque cérébrale en 1938, à 64 ans. Elle n’eut pas le temps de communiquer à son époux et à ses enfants la cachette de son « bas de laine » : une peau d’anguille remplie de Louis d’or dissimulée dans un mur de La Champinière (?).

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
François Chéry, l’époux d’Eugénie
François, dit « Titi Chéry », était un mari jovial, doux et courageux. Il était né le 29 janvier 1870 à La Bervinière. Il avait 11 mois quand il perdit son père lors d’une épidémie de variole. François fut élevé parmi des demi frères et soeurs, sa mère s’étant remariée avec un certain François Cazin... Il faut bien constater que les couples de l’époque se formaient à une dizaine de kilomètres à la ronde. On apprend, en consultant les archives, que la famille de François habitait déjà La Champinière en 1706, tous vignerons tour à tour dans diverses closeries de Cour-Cheverny. L’opportunité voulut que François Chéry et son épouse Eugénie rachetèrent La Champinière en 1907. Ils eurent quatre enfants :

- Jeanne, qui habita La petite Bourdonnière (Cheverny) ;
- René, qui habita La Champinière ;
- Maurice, qui habita La Guillonnière ;
- Hélène, qui habita La closerie du Pont.
François Chéry accomplit ses obligations militaires dans le Blésois en 1914-1918.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Retour aux sources de la famille Chéry
La branche que nous allons suivre est celle de René Chéry (né en 1900), qui eut trois enfants : Renée Chéry Martineau, Rolande Chéry Gendrier , Raymond Chéry.
En 1942, René Chéry prit le risque de cacher dans sa ferme un jeune qui avait l’obligation de partir au STO (Service de travail obligatoire) en Allemagne. Il ne fut jamais dénoncé par la population comme « réfractaire ». Ce jeune s’appelait Raoul Martineau (père de Pierrette). René le garda comme ouvrier à la ferme. Raoul devint son gendre en épousant sa fille Renée à 21 ans. De mémoire de Pierrette, ce fut compliqué car Raoul n’avait pas de dot à offrir...
François Chéry fut terrassé en 1939 (un an après son épouse Eugénie) par une crise cardiaque dans un moment festif suite aux retrouvailles d’un copain de régiment. Il fut enterré à Cour-Cheverny, comme ses aïeux depuis cinq siècles.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Témoignage d’Alain Chéry
Le début de vie d’Alain Chéry, marqué par l’adversité, ressemble beaucoup à celui de son arrière -grand-père François. Tous deux perdirent leur père dans leur première jeunesse. Quand Alain, à l’âge de onze ans, se retrouve le dernier de la lignée Chéry, il prend conscience qu’il ne peut compter que sur lui. Il mettra très vite toute son énergie pour relever le challenge qui s’ouvre à lui. Il veut prouver à tous qu’il relèvera la tête et réussira comme ses parents et grands-parents à la sueur de son front en se levant tôt le matin.
Encore aujourd’hui, 50 ans après, Alain est toujours combatif et fier de s’en être sorti...
Dans l’action, il prit conscience très vite que seul, ce serait très difficile, et qu’il fallait jouer collectif pour limiter le coût des matériels. Ce fut son combat à partir de 1993, lorsqu’il créa la coopérative des utilisateurs de matériel agricole (CUMA) dont il fut le président pendant plus de trente ans. Cet engagement constitue véritablement un exploit, car rassembler des dizaines de viticulteurs pour se partager équitablement du matériel selon les besoins d’exploitations toutes différentes les unes des autres sur un temps aussi long, en dit beaucoup sur la pugnacité d’Alain. La CUMA commença avec une dizaine de cultivateurs pour terminer avec 45 exploitants.
Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Alain peut être fier, au moment de transmettre à son fils Baptiste, d’avoir doublé sa superficie viticole en ayant rénové les bâtiments et son outil de production. Dans la pièce de dégustation, vous pourrez voir la photo d’Eugénie et de François entourés des enfants, prise devant le perron de La Champinière, dans un arbre généalogique géant, ainsi que les plans de la propriété de La Guillonnière qu’il a acquis auprès de son grand oncle Maurice. Alain a entrepris de la restaurer, à l’orée de la retraite, en gardant en mémoire l’époque où son père organisait des veillées « greffage de vignes » avec Marcel Gendrier. Ils partageaient ensuite les plants qu’ils avaient préparés pour augmenter leurs surfaces d’exploitations.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
P. D.

Merci à Hélène Bidault-Rutard, qui nous fait profiter des fruits de ses recherches afin de porter à la connaissance des lecteurs de La Grenouille l’histoire des familles Gendrier- Chéry, ses ancêtres, qui se sont implantés de longue date sur les communes de Cheverny et de Cour-Cheverny.

Merci à Pierrette Cazin et à Alain Chéry pour leurs témoignages.

(1) Furet : Sorte de fumigateur à poudre à usage manuel, employé autrefois par les vignerons pour chasser des vignes les insectes volants et rampants.
(2) Pyrèthre : L’extrait de pyrèthre végétal, plante herbacée apparentée au chrysanthème, agit par contact avec un effet choc contre les insectes volants et rampants.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière
Les évènements tragiques du 21 août 1944

Le matin du 21 août 1944, un convoi allemand venant de Cour- Cheverny se dirige vers Blois. En traversant la forêt, il est attaqué par un groupe de maquisards, très inférieur en nombre, qui se retire rapidement. La colonne allemande contourne alors la forêt et se dirige vers Mont-près-Chambord. Elle incendie des maisons et massacre les habitants. Puis la colonne se dirige vers Huisseau, Chambord, La-Ferté-Saint-Cyr. On déplorera 31 victimes pour cette seule journée.

Eugénie née Gendrier, à la Petite Bourdonnière


21 août 1944, entre Cour-Cheverny et Mont-près-Chambord
Le docteur Jean Grateau était à l’époque jeune médecin établi à Cour-Cheverny. Il était venu procéder à un accouchement à Montprès- Chambord. Au retour, sur son vélo, il croisa un groupe de FFI à proximité du lieudit « Le Plein », fermes de la famille Martineau-Chéry. Les FFI se mettaient en position pour attendre la colonne d’Allemands qui se dirigeait vers le bourg. Le docteur les mit en garde en vain sur le fait que les Allemands étaient beaucoup mieux armés, plus nombreux, et prêts à des représailles sur la population en cas d’attaque. La suite fut dramatique... Peut-être rien n’aurait-il changé en renonçant à l’attaque car on ignorait les intentions des Allemands.

Propos recueillis par Pierrette Cazin

Témoignage de Rolande Chéry
Lundi 21 août 1944. Début de matinée, très humide, coup de feu vers 9 heures. Nous sortons dehors et nous apercevons une rangée de militaires allemands fusils braqués tout le long du fil utilisé par le cordier du village. Nous sommes rentrés et nous avons entendu des coups de feu toute la matinée.
À notre porte, il y avait des pommiers et divers matériels agricoles, les Allemands avaient installé là une cuisine, la Croix Rouge et une petite mitrailleuse et un autre engin de ce genre. C’était l’heure du repas et un officier allemand est entré chez nous révolver au poing pour demander du poivre que nous n’avions pas, il a tiré deux coups de feu dans la cuisine où nous étions tous, ma mère, mon petit frère de six ans, une petite fille de 13 ans venue chercher du lait, et moi-même.
Une balle s’est logée dans la patte de la table, l’autre a atteint le chien. Heureusement les deux hommes présents, Louis Martineau et Jean Mauguin, 16 ans, qui travaillaient chez nous, ont sauté par une fenêtre et ont couru (très vite) à travers les balles vers la forêt. Par chance personne n’a été blessé.
Après avoir cru entendre leur départ, nous sommes sortis prudemment et avons aperçu ma tante (madame Amiot) les bras au ciel. Ils ont tué Raymond et Daniel (ses deux fils) et mis le feu avec une bombe incendiaire a un de ses bâtiments et à celui de leur voisine ; tout fut perdu. Une autre voisine (madame Morin) est là. Passe Pierre Daridan auquel elle apprend que les Allemands ont tué ses deux frères (Roland et Maurice) et sa mère. Le pauvre repart en titubant, mais il n’a pas le temps d’aller bien loin, il rencontre George Morin, et là, face aux Allemands, on devine la suite ...
Je le revoie et l’entend toujours; ils furent tués tous les deux dans les minutes suivantes, je ne l’ai pas vu, mais entendu deux coups secs qui restent à jamais gravés dans mes oreilles. Après un moment, je suis sortie dans la cour et à la vue des deux corps allongés, j’ai fait demi-tour.
Le lendemain, très pénible, Louis Mauguin est venu, très mal en point ayant perdu sa femme, ses trois enfants et un ami, monsieur Mérillon. C’était très pénible, tout le monde était très compatissant à ces drames et impuissant...
Le jour des obsèques, je gardais mon petit frère et ma cousine de cinq ans dont le père Raymond Amiot et l’oncle avaient été tués, avec une grande angoisse car la peur était là, surtout celle de voir revenir les soldats ...
Je suis la seule survivante capable de me souvenir de ces maudits moments et ces tristes souvenirs restent gravés dans ma mémoire comme pour tous ceux qui les ont vécus.

Ce témoignage fut donné à Pierrette Cazin peu avant le décès de Rolande Chéry. C’est à force de pugnacité qu’elle l’obtint car les événements dramatiques relatés eurent lieu dans la maison natale de Pierrette.

L’acte de bravoure de Louis Martineau
Dans sa lettre, Rolande explique que les deux jeunes de 16 ans qui travaillaient à la ferme, Louis Martineau et Jean Mauguin, échappèrent aux allemands en sautant par la fenêtre. Ils réussirent à échapper aux balles en courant à travers les vignes situées derrière la ferme et se réfugièrent dans la forêt.
L’action remarquable de Louis Martineau fut de sauter sur un vélo trouvé à l’extrémité d’un rang de vigne et d’aller prévenir la population de Mont-près-Chambord qui était en train de décorer leur village avec des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « Mont libéré ! ». Il parcourut le bourg pour prévenir la population de retirer toutes les pancartes et de se cacher en criant : « Les boches tuent tout le monde ! ». Lorsque la colonne allemande traversa le bourg, il était désert... De ce fait, il n’y eut pas d’autres victimes.
Louis rentra à travers champs et par la forêt pour retrouver son copain Jean Mauguin. Il découvrit alors l’ampleur de la tragédie qui avait eu lieu un peu plus tôt...

Propos recueillis par Pierrette Cazin

La Grenouille n°67 - Avril 2025