Le Temps des Copains...

La venue de Johnny Hallyday programmée, déjà en 1965, déclenchait beaucoup d’excitations dans le village pour les jeunes de la génération de Patrice Duceau, qui nous livre ici le souvenir de cet épisode.


Françoise Hardy sur la scène de La Borde
« Nous avions entre 15 et 18 ans et notre passe-temps du week-end était de nous retrouver à la terrasse du café des Trois Marchands pour bavarder et prendre un pot entre copains. Il y avait deux clans : celui des Beatles et celui des Rollings Stones. Mais nous étions tous copains pour nous affronter au baby-foot du café de Paris. Le Café de Paris avait appartenu à mes beaux-parents pendant la guerre. Il recevait fréquemment la visite des gendarmes lorsque, en fin de soirée, le ton montait au bar. Ce fut le cas quelques jours avant la visite annoncée de Johnny que nous commentions en ce samedi de début septembre, avant la rentrée scolaire. Un groupe de bûcherons débardeurs de bois s’était arrêté pour se désaltérer au bar en fin d’après-midi. Ils ont beaucoup commenté aussi la venue de l’idole des jeunes à La Borde. Le chef de ces costauds s’appelait Antoine Lepabic : une force de la nature qui n’avait peur de rien, et surtout pas des gendarmes. Ainsi, quand une patrouille de trois gendarmes fit irruption au café de Paris pour calmer le groupe, Antoine Lepabic leur proposa de leur payer une tournée. Les gendarmes lui proposèrent en retour de le conduire au poste. Le désaccord consommé, les trois gendarmes entreprirent de ceinturer Lepabic. Le plus jeune gendarme, le plus frêle aussi, fut immobilisé entre les cuisses de Lepabic qui coinça le deuxième avec le biceps de son bras gauche. Le chef voulut s’enfuir pour chercher des renforts. Lepabic attrappa le haut de sa manche de veste qui céda aux coutures. Lepabic, la manche de la vareuse dans la main, se mit à poursuivre le chef qui courait vers sa 4L. Lepabic criait : « Chef, chef, vous avez perdu la première manche ! » Le lendemain, 5 septembre 1965, en fin d’après-midi, les copains commentaient à la rigolade l’épisode de la veille quand ils virent arriver, place de l’église, des voitures et des gens « pas ordinaires ». Certains déjà connus, d’autres pas encore. La première à descendre d’un cabriolet américain fut Françoise Hardy, vêtue d’une mini jupe et de bottes de cuir, accompagnée d’un « chevalier servant » qui portait des lunettes Ray Ban. C’était un certain Jean-Marie Perrier. 
Carlos apparut à son tour, affublé d’une chemise à cocotiers et vahinées. Guy Bedos chahutait avec Sophie Daumier et un rocker frisé qui portait une veste à franges style « Davy Crokett » : c’était Eddy Mitchell, leader du groupe « Les Chaussettes noires ». Notre joie fut à son comble quand apparut Claude François, maigre comme un clou, chemise blanche et pantalon mauve à pattes d’éléphant. Il nous demanda où se trouvait la pharmacie... L’après-midi se passa à observer tous ces hurluberlus qui défilaient sur la place avec leurs musiciens et techniciens. Même si tous ces artistes n’étaient pas programmés pour chanter au spectacle prévu à La Borde, ils se retrouvaient là uniquement pour faire la fête ensemble.
Les musiciens de Johnnny
La nuit précédente, les musiciens de Johnny Hallyday remontaient du midi dans un break Impala de cinq mètres de long. Le conducteur s’est endormi au volant, dans un virage à l’entrée de Cour-Cheverny, sur la route de Romorantin, à hauteur du lieudit « La Chaumette ». Un musicien, légèrement blessé, s’est retrouvé à l’hôpital et un peu de matériel de sono a aussi souffert du choc contre un arbre. J’ai donc passé la fin de ma nuit à aider mon père, Roger Duceau, garagiste à Cour-Cheverny, à extraire l’Impala « enroulée » autour de l’arbre. Je jubilais à l’avance à l’idée de raconter cet épisode hors normes à mes copains. 


La nouvelle se répandit comme une trainée de poudre dans le village et, au matin, le garage de mes parents recevait autant de visiteurs que le château de Cheverny. Cette voiture américaine, longue comme deux 4L, était inconnue du public français et, avec ses plaques d’immatriculation de Los Angeles, nous faisait rêver de l’Amérique. Elle fit l’attraction pendant plusieurs semaines et tout le monde s’étonnait, vu l’état de la voiture, qu’un seul musicien fût blessé. Mes parents essayèrent longtemps, sans succès, de recouvrer les factures de dépannage et de gardiennage auprès de l’organisation responsable et du manager de Johnny Hallyday. Personne ne vint jamais réclamer le véhicule. L’Impala break, sièges en cuir, climatisation, et toit ouvrant... entama sa deuxième vie en servant de niche à chiens au Setter irlandais et à l’Épagneul breton de mon père. À ma connaissance, aucun chien de chasse n’a résidé dans une voiture de cette classe ! 
Johnny Hallyday sur la scène de La Borde


Le soir où Johnny s’est produit à La Borde, il est entré en scène sous une pluie battante, tout de noir vêtu, en chantant « Black is black ». Il n’y eut pas de guitares ni de chaises cassées. Mes copains et moi étions scotchés devant la scène et les filles étaient plus excitées par Johnny que par nous... Mon père et ses copains pompiers se tenaient prêts à asperger les éventuels agitateurs à l’aide de lances à incendie de diamètre 140 en cas de nécessité. Mais tout s’est bien passé. Nous sommes rentrés vers 2 heures du matin sur nos mobylettes bleues 49,9 cm3, sièges bi-places pour raccompagner les filles, en chantant « Pour moi la vie va commencer, en revenant dans ce pays »... La mobylette qui roulait à côté de moi était celle de mon ami Jean-Mary Grateau. Les jeunes filles à l’arrière, étaient de jeunes parisiennes à qui nous avions proposé d’aller voir s’il y avait de la lumière au « Chêne des Dames », dans les bois de Cheverny. 50 ans après, je peux confirmer qu’il n’y en a toujours pas... Mais c’est une autre histoire...».

Le Col Vert  – La Grenouille n°38 – Janvier 2018

Voir aussi l'article "Souvenirs, Souvenirs", qui nous parle aussi de cette soirée du 5 septembre 1965...

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