Cette période étant très vaste, sera divisée en plusieurs parties
: seront évoqués successivement :
• le toponyme Ingrandes à Cour-Cheverny ;
•
l’implantation gauloise (les Carnutes) et romaine ;
• les voies antiques, dont
le Chemin des boeufs ;
• Les vestiges : - le trésor de La Rousselière (voir La
Grenouille n° 31) - les enceintes gauloises ; - la plaine des Rasoirs
(Gallo-Romains).
Toponymie : Le Clos d’Ingrandes
Carte de Cassini, qui montre la route d'Orléans à "Saint-Agnan", Chemin des Boeufs actuel passant par Ingrandes |
Situé au sud de la commune de Cour- Cheverny – bois d’Ingrande sur
le cadastre actuel – carrefour de voies antiques et moyenâgeuses, ce toponyme
figure sur la carte de Cassini (début XVIIIe siècle) ainsi que sur la carte
établie par Jacques Soyer. (1)
Parmi les toponymes de nos deux villages, Ingrandes a une
signification particulière puisqu’il nous permet de nous projeter dans la
période antique en évoquant le peuplement de notre région par les tribus
gauloises et les Romains.
Tous les auteurs s’accordent pour dire qu’Ingrandes était
situé à la limite des civitas des Carnutes et Aurélianorum, puis des diocèses (Romains,
puis catholiques) de Chartres et d’Orléans. Il se trouve que cette limite
correspond au « Chemin des boeufs » qui passe dans le bois d’Ingrandes, puis
dans la forêt de Cheverny dans son tronçon reliant Bracieux à Contres, partie
de la route dite « de Saint- Agnan à Orléans ». (1)
L’origine du toponyme est
gauloise : tous les spécialistes de la toponymie nous indiquent qu’il s’agit
d’un nom masculin (depuis le XIVe s.) qui possède deux variantes : Aigurande
et Ingrannes. Le nom vient du gaulois « equoi » équivalent du
latin aequa = juste et Randa équivalent du latin fines =
limite ; bas latin igoranda = juste limite.
Le gaulois Randa a le
même sens que le latin fines = limite et indique la limite des cités gauloises.
Tous les lieux qui portent ce nom ou ses variantes, se trouvent à la limite de
deux diocèses, de deux cités romaines ou de deux peuples gaulois (près de
Cheverny se trouve le village de Feings = fines qui est aussi la limite
des territoires des Carnutes et Aurélianorum = Orléanais (1)).
L’implantation gauloise : les Carnutes
La Gaule, avant l’invasion Romaine est peuplée d’un peu plus d’une
soixantaine de tribus réparties en 4 régions principales : la Gaule Narbonnaise,
la Gaule Celtique, la Gaule Belgique (tous Celtes) et la Gaule Aquitaine (peuple
proto-Basque).
Arrivés vers le Ve siècle avant J.-C., les Carnutes
constituaient une puissante nation celtique de la Gaule centrale. Leur
territoire s’étendait sur les deux rives de la Loire jusqu’au Cher. Au sud se
trouvaient les Bituriges (Bourges) et à l’ouest les Turons (Tours).
Leur
capitale était Autricum et, sous l’occupation romaine, échangeant ce nom contre
celui de la population, elle devint la civitas Carnutum (Chartres). Parmi les
villes Carnutes on cite encore Cenabum (Orléans). Le territoire des Carnutes
forma plus tard les trois évêchés de Chartres, d’Orléans et de Blois (seulement
en 1637 pour ce dernier).
Les Romains
La Gaule romaine apparaîtra vers 50 av. J.-C. suite à la guerre
des Gaules mais, en ce qui concerne Cenabum (Orléans), c’est au troisième
siècle (en 275) que l’empereur Aurélien vint élargir et reconstruire l’ancienne
Cenabum, qui n’était qu’un « vicus » de la cité (civitas) des
Carnutum, la détachant de cette dernière. Aurélien lui donna son nom : Aurélianum
ou Aurélianis.
Ainsi, le territoire des Carnutes fut divisé en deux cités : la
civitas Carnutum et la civitas Aurélianorum qui, dans l’organisation
administrative romaine, devinrent à la fin du IIIe s. les diocèses de Chartres
et d’Orléans. (1
et 2)
Nous
retrouvons donc le toponyme Ingrandes de Cour-Cheverny, qui était situé à la
frontière entre ces deux civitas, Cheverny et Cour-cheverny restant rattachés à
la civitas Carnotum et au diocèse (romain puis, ensuite, catholique) de
Chartres.
À l’époque mérovingienne (dynastie des rois Francs de la tribu des
Saliens qui régna en Gaule depuis la fin du Ve siècle jusqu’au milieu du VIIIe
s.), la civitas Carnotum était divisée en huit pagi ou comtés, dont six
: le Pincerais, le Dreugesin, le Chartrain, le Dunois, le Vendomois et le
Blaisois, correspondaient aux six archidiaconés (3) primitifs de l’ancien
diocèse de Chartres.
Les voies antiques
Dans son ouvrage, Jacques Soyer évoque deux voies antiques ayant
un tronçon commun de Blois (faubourg de Vienne) jusqu’à Cour-Cheverny par les
ponts Saint-Michel et le gué de Clénord :
• la voie de Blois à Bourges par
Romorantin ;
• la voie de Blois à Gièvres, vers Limoges et Poitiers. Cette
dernière voie « traversait la forêt de Russy, arrivait à Clénord (localité celtique),
où il y avait un gué... sur le Beuvron, passait à Cour-Cheverny (Cabriniacus,
cheflieu d’une condita, subdivision administrative du pagus Blesensis sous la
monarchie franque), se séparait à cet endroit de la route de Blois à Romorantin
puis, abandonnant la civitas Carnutum et entrant dans la civitas Aurelianorum,
elle passait dans le bourg celtique de Soings » vers Gy.
Le tronçon vers
Romorantin passait, lui, par Ingrandes et Mur-de-Sologne (voir la carte établie
par Jacques Soyer). (4)
Le Chemin des boeufs
Le Chemin des Boeufs aujourd'hui, dans le bois d'Ingrandes |
- L’origine du nom : dans son ouvrage, Jacques Soyer évoque les
dénominations locales données dans notre région à certaines voies antiques,
telles que : « chemin de César, chemin perré, via publica... » mais
aussi « chemin des vaches, chemin des boeufs, chemin des cochons, ainsi
nommés parce que, lorsqu’elles furent abandonnées par les véhicules dans le cours
des âges, ces voies antiques servirent, jusqu’au début du XIXe siècle, aux
marchands à mener vers les grandes villes, et surtout vers Paris, leurs
troupeaux de bestiaux avec plus de rapidité et moins de danger que sur les routes
modernes très fréquentées ».
− Ses tenants et aboutissants : Pour les connaître,
il faut se reporter à l’itinéraire de la voie d’Orléans à Limoges qui passait
par Neung-sur-Beuvron. Jacques Soyer expose qu’ « au Moyen-âge, la direction
de cette route fut légèrement modifiée entre Orléans et Neung... On la fit
passer par l’importante seigneurie de La-Ferté-Nabert, (aujourd’hui La-Ferté-Saint-Aubin),
par Chaumont-sur- Tharonne (autrefois Chaumont-en-Sologne) et
La-Ferté-Avrain (aujourd’hui La-Ferté- Beauharnais), un peu à l’est de
Neung-sur- Beuvron, tandis qu’à l’ouest, une autre route, qualifiée dès le XIe
siècle de via publica, gagnait Saint-Aignan-sur-Cher, par Jouy-le- Potier,
Ligny-le-Ribault, Bracieux et Contres ». Il se trouve que le tracé de cette
dernière portion de voie (entre Bracieux et Contres) existe encore de nos jours
dans la traversée de nos communes. Il correspond, en venant du nord (par
Fontaines-en-Sologne), au Chemin des boeufs (voie de la Roche) qui traverse le
bois d’Ingrandes puis la forêt de Cheverny jusqu’à Marçon (commune de Fresnes)
en direction de Contres (voir extrait de la carte de Cassini).
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Les vestiges
Quelles traces de cette époque antique nous reste-t-il aujourd’hui
?
Les communes de Cheverny et Cour-Cheverny sont pauvres dans ce domaine,
contrairement à Soings-en-Sologne ou Contres, ses voisines. La présence de
l’occupation gauloise ou galloromaine se manifeste principalement :
• par la
découverte de monnaies anciennes, notamment à Cour-Cheverny, au « Vivier », près
du moulin Voley et à La Rousselière (voir La Grenouille n° 31) ;
• par
l’existence de vestiges d’enceintes gauloises, notamment pour Cour-Cheverny à Pontchardon,
Sérigny et au Donjon (dans le bourg près de la rivière le Conon (tous situés à proximité
de la voie antique menant de Blois à Romorantin – voir supra) ;
• pour
Cheverny, E.C. Florange cite les enceintes de l’Ebat, de l’Aulnay, de la Taille
du Fort de l’Arche du Colombier et de la Pétardière (ces 4 dernières enceintes
ne sont pas localisées sur la carte IGN) ; (5)
• par les nombreux vestiges retrouvés par Louis de la Saussaye (6) situés au lieudit La Plaine
des Rasoirs à Cheverny (au sud de Villavrain). À cet endroit, Louis de la
Saussaye, accompagné du marquis Paul de Vibraye, a pu constater par lui-même dans
les années 1830-1835, l’existence : « ...des restes d’une localité
gallo-romaine [qui] s’y rencontrent en abondance et les fragments de
briques et de tuiles [qui] couvrent un espace de terrain d’environ 10
hectares. La tradition a conservé dans le pays le souvenir d’une ville et même
de la date de sa destruction. Les paysans, en assurant que la ville des Rasoirs
périt par le feu, il y a près de 1 500 ans, sont peut-être peu éloignés de la
vérité car cette époque ne correspond pas mal à celle des fréquentes invasion
des barbares. Les traces d’incendie sont encore assez évidentes, et cette
localité, bâtie comme toutes les villes de Gaule, en bois ou en clayons et en
torchis a péri aussi comme elles par le feu...
En fouillant les ruines... nous
avons retrouvé les fondations en pierres des habitations, les aires de ces
habitations composées d’une coche de maçonnerie formée de briques et de petites
pierres concassées et noyées dans le mortier que supporte un bloc en pierres
sèches ; les puits dont se servaient les habitants, des fragments de meules à
bras, des débris de vases en terre ordinaire et en terre rouge, ornés de bas
reliefs, et quelques médailles de Tetricus et de Gallien... ».
S’interrogeant
sur l’origine du nom de Rasoir, Louis de la Saussaye évoque le souvenir des «
raseurs » ou « des barbares qui ont rasé la ville », mais aussi la
possibilité d’un « nom romain comme celui de rasorium ». Cette dernière
origine possible est celle donnée par Denis Jeanson (7) : latin populaire rasorium
= burin, grattoir, instrument à tranchant fin ; terrain gratté, rasé.
Le Héron – La Grenouille n°38 – Janvier 2018
(1) Dans son étude sur les voies antiques de l’Orléanais, Jacques
Soyer indique que l’Orléanais est pris dans le sens de l’expression latine
civitas Aurelianorum. Ses limites sont celles du diocèse d’Orléans (romain)
avant la création du diocèse (catholique) de Blois en 1697. On sait, en effet,
que les grandes divisions ecclésiastiques ont été calquées sur les
circonscriptions administratives de l’Empire romain, le terme diocèce ayant été
conservé (A. Longnon, Atlas historique, 1re livraison. Paris, 1884, p. III). La
civitas Aurelianorum est un démembrement de la civitas Carnutum. Voir
développements qui suivent.
(3) Archidiaconé : subdivision
d’un diocèse placé sous l’autorité d’un archidiacre.
(4) Jacques Soyer confond
Cour-Cheverny - Cabrianicus - avec Cheverny et il est en désaccord sur le tracé
avec deux autres auteurs, Chauvigné et Florances qui font passer la voie vers
Gièvres par Cellettes.
(5) Classement chronologique des camps, buttes et enceintes du
Loir-et-Cher (fin) E.-C. Florance, Bulletin de la société préhistorique de
France 1919 n° 5.
6) Louis de la Saussaye : Mémoires sur les antiquités de la Sologne
blésoise – Archives départementales de Loir-et-Cher. G F/274 (7) Denis Jeanson : toponymie
région Centre-Val de Loire.
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