Roger Duceau, en
septembre 1954, quitte le garage de Contres où il travaille de puis 1945. Il
achète, avec sa femme Andrée, le garage Roulier qui jouxte l’Hôtel des
Voyageurs (Hôtel Saint-Hubert aujourd’hui). Sur cette parcelle se trouve une
petite maison et, au fond du terrain, un hangar qui borde le Domaine de
Cheverny. Le garage Roulier avait fait faillite. Les murs appartenaient à M.
Bray, dont le fils Jacques a été chef des ventes au garage Warsemann de
Bracieux durant toute sa carrière professionnelle.
Le premier Garage Duceau à Cour-Cheverny |
Le garage Peugeot de
Roger Duceau était tout proche du garage Citroën de Jean Girault (garage
Beaugrand aujourd’hui) et la cohabitation se passait très bien. Roger Duceau
conserve lontemps les activités annexes du garage qui, en plus de la vente et
de la réparation d’automobiles, réparait aussi les engins agricoles, les
motoculteurs..., et assurait une activité « Armes et cycles ». Patrice Duceau,
qui avait 5 ans à l’époque, se souvient du grand comptoir de l’accueil et des
centaines de petits tiroirs en bois qui contenaient des plombs, de la bourre,
des feutres... qui servaient à fabriquer des cartouches pour les fusils de
chasse. D’autres ustensiles servaient à la fabrication des balles...
Patrice Duceau : « Mon
père, en 1954, avait deux gros clients : la Vinicole de Touraine et un
grossiste maraîcher, Marcel Cheramy, qui collectait les légumes chez les
producteurs locaux et partait les livrer toutes les nuits aux halles de Paris.
Il était basé non loin du garage, derrière la boutique du boucher Paul Arnoult.
Mon père travaillait souvent les nuits pour remettre les camions en état ».
Le garage était à
l’étroit à cet emplacement et l’entrée de l’hôtel des Voyageurs se faisait par
le porche mitoyen. Une situation pas vraiment pratique pour accéder à l’hôtel.
Le garage Girault |
Entrée du premier Garage Duceau à Cour-Cheverny en 1965 - Au fond la boucherie Arnoult |
Le
deuxième garage
Le deuxième garage Duceau |
En 1966, Roger Duceau
vend l’emplacement du garage à Roger Charbonnier, propriétaire de l’Hôtel des
Voyageurs, qui abat la petite maison et aménage un parking. Le nouveau garage
Peugeot est construit à la sortie de Cour-Cheverny, sur la route de Blois, dans
le prolongement de la rue Nationale (le bâtiment accueille actuellement les
ateliers municipaux).
Patrice Duceau : « À 17
ans, j’ai réparé ma première 203 avec des pièces d’occasion. C’était une
voiture accidentée que j’ai mis 2 ans à remettre en état. Mon copain Jean-Mary
Grateau avait la même : à 16 ans, nous avions tous les deux une mobylette bleue
et à 19 ans chacun notre 203 noire ! »
Le jeune Patrice
Duceau, en 1969, prépare l’école d’ingénieurs de Sochaux avec pour objectif de
faire carrière aux usines Peugeot. Mais en 1972, Roger Duceau, est victime d’un
infarctus (à 51 ans). Patrice prend la suite de son père cette même année au
garage de Cour-Cheverny. L’année précédente, il s’était marié avec Anne-Marie,
qui lui apporte alors son appui administratif et organisationnel, elle-même
assistante de direction.
Patrice Duceau : « Quand
la sortie d’autoroute a été ouverte à Blois, dans les années 70, mon père
faisait partie du groupement de dépannage des autoroutes une semaine sur
quatre. Les voitures de l’époque n’étaient pas conçues pour rouler à 130 km/h,
c’est-à-dire « pied au plancher » durant des heures. Partant
de Paris, les moteurs cassaient fréquemment à proximité de Blois pour cause de
surchauffe, problème de joint de culasse en particulier... Ces années là, mon
père partait la nuit au volant de sa dépanneuse. Quand j’arrivais au garage le
matin vers 6 h, il y avait du monde partout sur le parking du garage, des
voitures avec des bagages et des vélos sur les galeries... tout l’attirail de
la famille qui part en vacances. Les radiateurs des voitures fumaient encore.
Certains passagers montaient même leur tente sur la pelouse en attendant que
leur voiture soit réparée. On pouvait changer une vingtaine de moteurs de juin
à fin août. Les familles de Portugais qui descendaient de Paris étaient des
clients fréquents. Les hôtels de Cour-Cheverny les accueillaient... Un jour,
mon père a dépanné une Jaguar conduite par une femme. Il reconnut le passager en
la personne de François Mitterrand ».
Le
troisième garage
Le troisième garage Duceau |
Roger Duceau était
adjoint au maire de Cour- Cheverny. Pourtant, il ne croyait pas au projet de
déviation du village dont on commençait à entendre parler depuis 1984. Puis le
projet se confirme. Patrice Duceau voit venir le problème : d’ici peu, le
garage ne sera plus situé sur l’axe principal Blois/Romorantin.
Patrice Duceau : « La
partie de la plaine des Vaulx où je souhaitais construire un nouveau garage
appartenait à André Randuineau, (propriétaire par ailleurs du moulin de
Vollet). Un soir, je me suis rendu à son domicile pour solliciter l’achat
d’une parcelle de terre. Je lui ai expliqué ma situation : la déviation
prochaine passera derrière mon garage actuel et c’est la faillite pour moi si
je ne réagis pas... André Randuineau m’a écouté, puis m’a répondu : « Tu veux
cette parcelle ? C’est bien embêtant, c’est celle qui a le meilleur rendement !
» Il produisait des céréales. Paulette, sa femme, intervient :
« André, la terre, on ne va pas
l’emporter au cimetière ! Vends un morceau à Patrice pour construire son garage
».
André réfléchit : « T’en veux quelle
surface ? » - « C’est par rapport à ce que je peux
dépenser » que je lui réponds. Il
me dit : « Non, il faut que tu achètes grand ! » André
accepte de me vendre 5 000 m2 en me
disant : « Je vais t’en réserver un peu plus. Si tu t’agrandis, tu en auras
besoin ».
J’étais heureux... jusqu’à ce qu’il me
dise, après plusieurs Ricard (j’ai horreur du Ricard...) :
« Patrice, on est d’accord sur tout,
mais il y a un problème : ton père, c’est un con ! Il m’a engueulé l’autre jour
et on est fâché. Je te vendrai le terrain quand il sera venu me présenter ses
excuses.» Et il m’explique une embrouille avec une histoire de chasse...
Je file directement chez mes parents
pour leur exposer la situation. Mon père : « Randuineau, c’est un con ! Jamais
je ne lui présenterai d’excuses...».
« Ce sont Paulette Randuineau et ma mère
qui ont oeuvré pour réconcilier leurs maris. Finalement, André m’a octroyé 1
hectare que j’ai acheté en plusieurs fois et mon père et lui sont devenus les
meilleurs amis du monde ».
Remise de la médaille du travail à Gérard Bidault, chef d’atelier. De g. à dr. : Anne-Marie Duceau, Bernard Billot, maire de Cour-Cheverny, Gérard Bidault et Patrice Duceau |
Patrice Duceau a
bénéficié d’un autre bon conseil : « Bernard Warsemann m’a
dit : Si tu n’as pas d’argent, c’est pas grave ! Tu me paieras les voitures
quand tu les auras vendues. Lève toi avant les autres, couche toi après les
autres et sois plus malin que les autres. Tu verras, le plus dur, dans la vie,
c’est de gagner le premier milliard »
De 1986 à 1988, les
pompes à essence étaient en place au bord de la déviation. En 1988, le nouveau
garage est construit près des pompes. Une trentaine d’apprentis ont été formés
durant la période d’activité de Patrice Duceau et le garage a employé entre 10
et 15 salariés.
En 1998, Patrice
Duceau reçoit une proposition d’achat de son garage très alléchante de la part
d’un groupe de la grande distribution alimentaire. Il est alors adjoint au maire.
Il hésite pendant deux jours avant, finalement, de ne pas y donner suite en
pensant aux conséquences néfastes prévisibles pour les commerçants du village
en cas d’implantation d’un supermarché à Cour-Cheverny.
En 2006, pour préparer
sa retraite, Patrice Duceau met son garage en vente. L’acquéreur meurt la
veille de la signature. C’est en 2007 que le garage sera effectivement vendu.
Il sera remplacé en 2015 par la biscuiterie de Cour-Cheverny.
Comme le dit Patrice
Duceau : « Nous avons eu une clientèle exceptionnelle, de confiance
et fidèle, même si le garage, ça n’a pas été tous les jours du gâteau ! »
Propos recueillis par La Grenouille.
La Grenouille n° 39 - Avril 2018
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