La guerre de 1914-1918 vécue par Henri CAZIN

Trois petits carnets précieusement conservés par la famille depuis 100 ans, encore jamais publiés, ont été confiés à « La Grenouille », autorisée à en livrer à ses lecteurs les principaux passages au long de ses parutions de 2014. Sous couverture sombre, ils offrent des pages pleines d’une écriture soignée, bien appliquée et à l’encre, quelquefois hâtivement écrites au crayon dans des conditions que l’on devine précaires. 
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Une expression avec un vocabulaire précis, servie par une orthographe sans fautes et un texte bien ponctué, donne encore plus de consistance au témoignage d’un homme qui a été appelé, parmi tant d’autres, à risquer sa vie au service de son pays. 
Il s’appelle Henri Modeste Cazin, matricule n° 1787, du recrutement de Blois, adresse fixe : Cour-Cheverny, du 169e d’Infanterie C.H.R., secteur postal 84 par Toul, Meurthe et Moselle


Henri Cazin tient scrupuleusement son journal de campagne, quotidiennement, quitte à ne signaler qu’une remarque sur le temps qu’il fait lorsqu’il « ne se passe rien ». 

Ajoutons que nous savons, par ailleurs, qu’il est cultivateur, exploitant sans doute aussi un vignoble et qu’il a 35 ans lorsqu’il rejoint le centre mobilisateur de Montargis d’où il part le 23 décembre 1914. 

Carnet n°1

Henri Cazin : « Nous passons à Gray, Langres et arrivons à Toul le 24 à midi pour repartir à 4 heures. Nous prenons le tramway de Thiaucourt, nous descendons à Manonviller, nous nous rendons à pied à Martincourt, je couche sur une pile d’avoine, fatigué par 36 heures de chemin de fer, je passe une bonne nuit. Je soupe une fois couché d’un morceau de pain et de fromage et d’un quart de vin rouge. C’est mon réveillon ». 

Henri Cazin rejoint Mamey le 25 décembre. En ce jour de Noël, il assiste à une messe célébrée dans une église abîmée par les bombardements. 

HC : « pendant la messe de Noël, un lieutenant chante « Minuit Chrétiens », l’église est comble, on écoute aux portes. Dans cette église trouée par les obus c’est très impressionnant. Le village est occupé par la troupe, il ne reste que trois habitants ».

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Le front est proche. Tranchées, trous d’obus montrent que l’on s’est battu là, sans doute les traces de la bataille du Grand Couronné du 4 au 13 septembre 1914. La canonnade et la fusillade proches se font fréquemment entendre. Les avions des deux camps sont aussi souvent présents au-dessus de leurs têtes et les ballons captifs observateurs - « les saucisses » - garnissent le ciel. Henri Cazin est d’abord affecté aide cuisinier puis cuisinier en titre. Donc un peu en retrait du front mais ce n’est quand même pas la vie de château !

HC : « Je fais la soupe, nous nous restaurons sérieusement et à la lueur de la lanterne j’écris pendant la cuisson du souper. Le gîte est passable vu les circonstances. Je rencontre Portier à qui j’apprends sans le faire exprès la mort de son frère. Quelle terrible chose que la guerre ». 

Mercredi 30 décembre 1914 : « Je suis habitué à mes nouvelles fonctions. Nous touchons du chocolat et on nous promet du champagne pour le 1er janvier. Les canons de 120 à droite du pays font rage le matin. À la brune (1) nous assistons de loin à un duel d’artillerie sur les hauts de Meuse, c’est grandiose et terrible à entendre ». 

Janvier 1915 
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Vendredi 1er janvier : « Temps couvert menaçant tout n’est que boue. Les canons et les fusils se reposent presque, est-ce à cause du jour de l’an. On se souhaite la bonne année fraternellement. Bien qu’on ait foi en la victoire et qu’on reconnaisse la nécessité de tenir bon, on est en général fatigué et des intempéries et de ne pouvoir avancer plus vite. Nous avons touché des vivres en supplément, des gâteries telles que vin rouge, champagne, cigares, fruits et quelques petits cadeaux, papier à cigarette, à lettre, etc. Je reçois la visite de Jules Portier qui se repose pendant deux jours, il revient des avant postes. Nous cassons une croûte et prenons un jus ensemble. Je lui ai garni sa gamelle de choux et jambon que j’ai en rabiau ». 
Mercredi 6 : « […] « Le soir, par une accalmie, je sors un peu vers 8 heures regarder les fusées éclairantes qui s’élèvent puis coulent comme une étoile filante en blanchissant les nuages. Un hangar attenant à notre cuisine s’écroule, la charpente a perdu l’équilibre, il faudra évacuer la maison, celle du maire de Mamey. Le chien n’a pas quitté la maison, je le soigne, il a l’air triste et semble de me dire : « Tu me soignes bien, mais tu n’es pas mon maître. » 
Jeudi 14 : « […] Une compagnie du 168e se repose à côté dans le bâtiment. Plusieurs hommes viennent dans la cuisine et racontent un peu ce qui se passe en 1ère ligne : À un endroit dans le Bois Leprêtre, les tranchées sont approchées à 12 mètres de l’ennemi. Une des nôtres a tourné une tranchée allemande, de sorte que ceux qui l’habitent doivent ou mourir de faim ou se rendre. Les artilleurs arrivent avec une audace extraordinaire à placer leurs batteries à 60 mètres à peine des premières lignes adverses de façon à les prendre en enfilade. Les pièces de 90 sont démontées, passées dans les tranchées, dans les boyaux et remontées dans les emplacements préparés à l’avance d’où elles sont presque invisibles. Les pièces de 75 sont presque aussi près et quand tout sera prêt, ce sera l’attaque. Tout cela se fait la nuit car le jour il ne faut pas se montrer. Nos conducteurs mènent le soir la paille, les pieux, les fils de fer jusqu’aux premières lignes souvent à moins de 100 mètres de l’ennemi ». 
Vendredi 22 : « Jour de St Vincent, on en parle et c’est tout. Belle journée, les aéros font une sortie au-dessus des nuages. On a fusillé un espion qui faisait des signaux qui nous ont coûté deux pièces de 75 démolies et 2 artilleurs tués et plusieurs blessés. Attaques et conte-attaques se succèdent ». 
Samedi 23 : « Les nouvelles du front sont meilleures. Les tranchées prises les premiers jours de la semaine et reprises par l’ennemi sont définitivement à nous. Les pièces en mauvaises postures sont enlevées. Les hommes aux pieds gelés sont de plus en plus nombreux. Le moral est intact malgré cela, on ne voit pas de découragement »
Dimanche 24 : « J’ai 36 ans, c’est vrai, mais rien autre chose ne signale ce jour particulièrement ». 
Lundi 25 : « La fusillade et le canon m’ont réveillé quelques instants vers 3 heures. La journée se passe encore très calme. Pendant le ravitaillement, nous sommes croisés par une pièce de siège attelée de 16 chevaux. La neige tombe, l’attelage quitte la route et grimpe la côte à travers les champs, les chevaux ayant plus de pied. Hier soir au même endroit passait une batterie de 75 s’en allant au repos, les chevaux avaient belle allure et paraissaient très vifs. J’ai eu plaisir à les voir ». 

Février 1915
Lundi 8 : « […] À la nuit pendant quelques instants on voit un duel d’artillerie comme il est presque impossible de se faire une idée. Les coups se succèdent et les détonations des charges et des projectiles emplissent l’horizon de lueurs vives et de bruits effrayants ». Mercredi 17 : « Je suis réveillé la nuit vers 3 heures et demie. Sur Lironville les canons tonnent sans relâche, pendant une heure je compte les coups à raison d’au moins 40 par minute. Que se passe-t-il ? Dans la journée la canonnade reprend, c’est un vrai roulement sur un large front. À part quelques renseignements plus ou moins sûrs on n’a aucun rapport officiel sur le résultat des diverses attaques, car on a attaqué sur Mortmare, sur Bois Leprêtre et plus loin. Les aéros adversaires surveillent les mouvements ». 
Vendredi 19 : « Par un beau temps dans la matinée un avion ennemi vient nous survoler, quelques coups de 75 bien pointés l’obligent à atterrir dans nos lignes à Frouard. Les aviateurs abandonnent l’appareil et se sauvent à travers bois. Le soir une canonnade intense se fait entendre dans la direction de Flirey, les Allemands attaquent car d’après les nouvelles ils ont perdu du terrain sur les Hauts de Meuse. Toujours d’après les dires, on aurait repris St Mihiel. Les nouvelles des opérations sur Pont-à- Mousson sont bonnes ».

Mars 1915 
Vendredi 5 : « Les Allemands ont attaqué en masse, selon leur habitude, cette nuit. On estime l’infanterie engagée à deux bataillons au moins. Ils sont arrivés à quelques dizaines de mètres, mais l’artillerie et surtout les mitrailleuses les ont fauchés comme du blé mûr. Leurs pertes sont élevées et on dit avoir fait cent prisonniers. Cette nouvelle jointe au succès de la dernière attaque secoue un peu la torpeur de tous et produit la meilleure impression morale. On devient de plus en plus certains de la victoire quoique depuis longtemps on n’en doute plus ». 
Samedi 13 : « […] Des mouvements de troupe sont signalés partout. Est-ce le commencement des grandes opérations, je suis tenté de le croire. Le calme relatif qui régnait ici n’existe plus. […] Quelque chose plane dans l’air et donne l’impression que des événements graves vont se produire. Les travaux de toutes sortes, routes, abris, tranchées, sont poussés avec activité. L’intensité du feu est un indice sérieux que des actions partielles sont tentées pour étudier les endroits où la percée est possible ». 
Mardi 16 : « Belle journée un peu brumeuse. Quelques rafales de nos pièces sont tirées espacées régulièrement. Le soir vers 9 heures une attaque a lieu. Nous sortons au bruit et la vue des fusées éclairantes jointe au fracas de la fusillade et aux détonations des pièces et des obus produit un effet saisissant, grandiose et terrible à la fois ». 
Mercredi 17 : « Depuis trois jours le canon tonne sans interruption dans la direction de St-Mihiel, à Verdun ça doit chauffer encore de ce côté ». 
Dimanche 21 : « Splendide journée, quelque chose dit que c’est dimanche. Trop beau temps pour être à la guerre. Les aéros sont en l’air, on oublie presque la situation. Dans l’après-midi les obus se mettent à dégringoler et nous rappellent à la réalité. Il en éclate un juste au dessus de la maison. On a tellement l’habitude d’en entendre qu’on n’en a aucun effroi ». 
Mardi 23 : « Le temps est plus frais, un peu couvert, la vue porte loin. Est-ce la cause que les observateurs ennemis nous voient nombreux à travailler dans le pays et nous envoient une douzaine de projectiles. L’un d’eux tombe et éclate à 8 mètres de ma porte, un autre blesse 3 chevaux dont un mortellement et chose plus grave 3 hommes dont l’un est peut-être aussi mortellement atteint. Sur le front quelques salves et tout est calme ». 
Samedi 27 : « […] Des bruits d’une attaque prochaine circulent. Les officiers tiennent conseil tous les jours. Notre colonel, de Riberprey, passé général déploie une activité prodigieuse et paraît assuré du succès. Tout le monde ici a confiance en lui. La canonnade est intense sur St-Mihiel jusqu’à Verdun ». 
Mardi 30 : « Vers minuit une courte fusillade marque l’attaque des petits postes de la route de Thiancourt. Une canonnade intermittente a lieu toute la nuit. Je compte à chaque reprise plus de 100 coups par minute. De 5 à 7 heures du matin, l’ennemi distribue à profusion sur nos lignes des projectiles de tous calibres. À 7 heures, notre artillerie ouvre le feu, cette fois compter les coups est impossible, la canonnade est trop nourrie. Pendant la distribution des vivres vers 7 h 30, un premier projectile fusant éclate à courte distance, puis un second. Je rentre à la maison, l’arrivée continue, nous sommes bombardés. À 8 heures, un percutant tombe en face de ma porte et à quelques mètres sur une écurie contenant 2 chevaux qui sont tués net. Le pot au feu cuit. Nous allons par mesure de précaution retrouver dans un endroit plus sûr nos camarades.[…] ».
Henri Cazin, à droite sur ce cliché

Avril 1915 
Jeudi 1er avril : « Je ne sais pas si j’écris avec toute ma lucidité car le bruit de l’artillerie nous étourdit et on vit dans un état d’esprit fait d’espoir et d’inquiétude, à la fois d’énervement et de langueur, c’est presque indéfinissable. Cependant les projectiles n’arrivent pas jusqu’à nous. Que doit être en ce moment le cerveau d’un combattant de première ligne ? J’apprends que mon camarade Portier est blessé, peu grièvement heureusement. Ce matin, après avoir dormi normalement malgré le vacarme, je suis réveillé par le bruit des pièces voisines à 3 h 30 jusqu’à sept heures ça tonne partout. Jusqu’à 11 heures accalmie. Puis vers midi l’artillerie de part et d’autre fait rage. Il est certainement impossible à qui n’a pas assisté à pareille chose de se faire une idée d’un pareil bombardement, c’est à devenir fou. Nous avons avancé d’après ce que je puis déduire des renseignements plus ou moins contradictoires d’un kilomètre sur le front, le village de Fey est dépassé, la bataille continue acharnée d’après ce que j’entends. Il est 15 heures, je viens de l’église où 9 malheureusement sont déposés, parmi eux un jeune lieutenant tué par un schrapnel au front. Quelle tragique semaine Sainte » ! 
Vendredi 2 : « Quittant Mamey pour aller cantonner à Montauville : « […] Nous traversons le fameux Bois Leprêtre qui a coûté tant de braves enfants à la France et tant et tant d’Allemands à la Germanie. Les compagnies du 169e descendent des tranchées où elles soutenaient depuis 3 jours les attaques répétées de l’ennemi. Certaines ont des vides, mais les hommes même des compagnies les plus éprouvées disent que les pertes sont chèrement payées par l’ennemi. Un officier prussien, prisonnier, déclare que si l’attaque se répète encore plusieurs jours, l’ennemi sera forcé de lâcher prise. Il serait temps » ! 

Ce déplacement inaugure une série de sept déménagements (en ce qui concerne le carnet 1) qui mèneront Henri Cazin à Liverdun en juin 1915. Des mouvements de quelques kilomètres avec parfois des retours sur des positions précédemment occupées. C’est l’occasion pour lui de nous décrire ces vastes paysages de Lorraine - on pense à Barrès (2)

À suivre...
(1) La brune : le crépuscule.
(2) Maurice Barrès (1862-1923) : écrivain et militant nationaliste républicain attaché aux racines, à la famille, à l’armée et à la terre natale.

La Grenouille n°22 - Janvier 2014

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Au cours de la lecture de ses notes, on apprend à mieux connaître Henri Cazin. C’est un homme discret : il n’y a pas de remarques sur sa vie familiale que l’on devine pourtant intense. Il interrompt ses notes durant les périodes de permission qu’il passe auprès des siens à Cour-Cheverny. C’est aussi un homme fondamentalement sociable. Au cours de ses affectations, il recherche les amis du pays qu’il aide à l’occasion. Dans les carnets suivants, on le verra consacrer ses moments de temps libre à aider dans leurs travaux des civils avec lesquels il est momentanément en relation. Et, chose très surprenante, on n’a jamais l’impression de la présence d’une discipline militaire pesante et imposée. 
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Avril 1915 
Samedi 3 
Henri Cazin : « Il est 4 heures du soir, j’écris par le plus terrifiant bruit d’artillerie qui puisse exister. Nos pièces sont devant nous, les projectiles nous passent par dessus la tête, c’est à devenir sourd. […] On m’a dit tantôt que Jules Portier est mort des suites de sa blessure au ventre. J’en suis affligé pour sa malheureuse famille. Quel malheur ! Quelle triste et terrible chose que la guerre mon Dieu .[…] La fête de Pâques sera-t-elle plus calme, ce n’est pas dit ? J’ai oublié hier de noter les points désormais historiques où je suis passé. L’auberge Saint-Pierre, la Fontaine aux Serbes à Clos-Bois, autant d’étapes héroïques du 169e sous la direction du colonel de Riberpray, (1) colonel du Génie faisant fonction de général ». 
Dimanche 4 : « Les percutants ennemis nous réveillent. Une petite accalmie succède puis, vers midi, le bombardement réciproque recommence. Quel fracas, et cela dure jusqu’au soir. Les nouvelles arrivent confuses, elles se contredisent plus ou moins. Les villages de Reguiéville et Remenonville sont pris par nos troupes. On signale deux compagnies trop avancées dans une situation critique. Il faut les dégager, y parviendra- t-on »? 
Lundi 5 : « À la pluie d’hier succède un temps couvert un peu plus clément. Les hommes relevés des tranchées ne sont qu’un paquet de terre. Ils lavent leurs fusils dans les bassins des fontaines. Les canons ont tonné toute la nuit, presque sans interruption et ce matin jusqu’à midi. Cette fois nous sommes bombardés. […] Nous avançons paraît-il, mais on a peur que nos soldats un peu grisés de l’avancée ne recommencent les fautes du commencement de la campagne, toujours trop ardents et oubliant un peu la discipline si nécessaire en ces instants. Neuf heures du soir, une attaque a lieu encore à Bois Leprêtre, vers la Croix des Carmes, canonnade effroyable près de nous, les coups succèdent aux coups, c’est indescriptible. Quelle nuit s’annonce pour terminer le lundi de Pâques ! 
Mardi 6 : « Le canon donne toute la nuit. Les nouvelles du matin sont bonnes. On annonce que six compagnies sont entrées dans le Bois de Mortmare. Les lignes allemandes sont enfoncées sur plusieurs points du front ». 
Mercredi 7 : « […] Nous apprenons que la situation est bonne en général mais qu’entre Pont-à- Mousson et Mortmare y compris, que le choc est rude et que nous maintenons difficilement l’ennemi. Voici 9 jours à minuit que les canons tonnent sans arrêt ou presque, à raison de plus de 100 coups par minute. Quelle profusion de projectiles, c’est inimaginable ». 
Jeudi 8 : « […] Nos lignards (2) de retour des tranchées passent, couverts des pieds à la tête de cette vilaine boue jaune de laquelle je n’oublierai jamais la couleur. Le mauvais temps dérange sérieusement les opérations très rigoureuses qui avaient commencé ces jours derniers avec un plein succès. Espérons que ce ne sera qu’un retard au succès décisif. Les pertes sont sérieuses sans être comparables à celles de l’ennemi. Une attaque, cet après-midi, nous a produit un vacarme épouvantable. 400 hommes sont arrivés du dépôt pour combler les vides. J’y retrouve avec le plus grand plaisir quelques camarades du pays ». 
Vendredi 9 : « Le réveil, c’est la pluie. […] Les blessés descendent, toujours nombreux ». Samedi 10 : « Les nouvelles du 169e ne sont pas drôles, grandes pertes en hommes puis de 2 mitrailleuses sont le bilan de l’attaque d’hier soir. Ce soir, réconfortantes nouvelles, le 167 a repris le terrain perdu et plusieurs mitrailleuses allemandes. Un poilu du 167 en rapporte une sur son épaule. Les attaques et contre-attaques à la Croix des Carmes se succèdent à courts intervalles ». 
Mardi 13 : « une attaque a lieu l’après-midi. Beaucoup de blessés descendent ». 
Mercredi 14 : « Nous quittons Montauville à 8 heures, nous nous installons rue de Prêtres à Pont-à-Mousson. Malgré de nombreux bombardements, la villa a encore bon aspect. Peu de civils hommes, mais beaucoup de femmes, le pays est hospitalier. Tous les jours, visite des taubes (3) qui aujourd’hui laissent tomber des bombes aux environs de la gare ». 
Vendredi 16 (à Pont-à-Mousson) : « Un fait qui me frappe et que je note en passant car à mon avis il montre bien l’esprit militaire français. Nous sommes, le sergent Lebert et moi, dans un petit bistro bien tenu. Un groupe de soldats rentre. Trois ou quatre qui sortent des tranchées où ils ont laissé de nombreux camarades et accumulé des tas d’Allemands, viennent tour à tour mettre deux sous chacun pour entendre la musique d’un piano automatique en buvant leur canette de bière. Quel contraste de voir l’esprit si gai de ces hommes en des instants si tragiques ! Il faut paraît-il qu’il en soit ainsi, sans quoi il n’existerait plus d’énergie à opposer à l’opiniâtreté désespérée de nos adversaires. » 
Vendredi 30 : « Furieux bombardement l’après-midi, un de nos camarades, Thioust surnommé l’adjudant, a la cuisse traversée par un schrapnel (4) ; c’est notre premier blessé ». 
Henri Cazin ne se plaint jamais. C’est un magnifique exemple d’adaptation aux situations inattendues, dangereuses, voire tragiques, avec en toile de fond une grande confiance dans l’issue de ce déplorable conflit : « En observant les conversations des combattants de première ligne, on se sent en sécurité derrière mais on est aussi obligé de se convaincre de la gravité du premier choc ou plutôt du premier pas en avant puisque le contact est permanent. Malgré soi on a confiance dans le succès et la victoire apparaît plus certaine. » 

(1) Le colonel Riberpray tombera à Verdun au Bois des Caurières en 1917.
(2) Lignard : soldat du front.
(3) Taube : Avion militaire allemand surnommé la colombe (en allemand : Taube)
(4) Schrapnel : obus qui projette des billes de plomb.

La Grenouille n°23 - Avril 2014


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Mai 1915
Jeudi 6 : « Nous quittons Pont-à-Mousson et remontons à Montauville. Nous logeons à un vieux moulin délaissé, dans une grange très spacieuse. Ça sent la guerre ici plus qu’à notre logement d’hier. Nos canons tonnent en avant et en arrière et de temps en temps les réponses qui pour nous sont plus que dange­reuses. La campagne est superbe. Les bois ont pris leur belle couleur vert tendre. Un morceau de vigne tout proche, bien entretenu, permet toutes les espérances.
Les nouvelles des tranchées sont bonnes, nos attaques ont réussi et nous avons une avance à signaler. Si mince que soit le résultat, il a sa valeur, c’est de bon augure. Un prisonnier allemand déclare que 20 000 des leurs vont être amenés pour reprendre le quart en réserve ».
Dimanche 9 : « Nous devions attaquer ce matin du côté du quart en réserve mais 3 attaques ennemies repoussées au cours de la nuit ont épuisé les approvisionnements, la partie est remise ».
Jeudi 13 : « La nuit a été terrible, on dit que notre gain n’a pu être maintenu, nous avons beaucoup de blessés. L’ennemi a contre-attaqué toute la nuit en force. Ce soir, au crépuscule, la fusillade s’est tout à coup déchaînée, puis les canons entrent dans la danse et pendant une demi-heure le plus terrifiant bruit de bataille nous casse les oreilles ».
Vendredi 14 : « […] Ici c’est toujours dur, dans les deux derniers jours le 169e a eu près de mille hommes hors de combat. Une attaque est proje­tée pour demain matin par le 167e ».
Samedi 15 : « Journée mouvementée, les nouvelles sont mauvaises. Nous avons perdu le terrain conquis et les pertes sont sévères. Beaucoup de blessés. On s’étonne qu’aux attaques comme celle-ci, les renforts ne suivent pas immédiatement. Ce soir on annonce une nouvelle avance. Le 167e est attaqué, le 158e est monté. Nous devons changer de cantonne­ment, les ordres ne sont pas encore précis. Je viens de voir 60 prisonniers allemands, la plupart ont le sourire et ont l’air tranquilles sur leur sort. Ils ne sont pas à plaindre ».
Dimanche 16 : « Quelques contre-attaques ennemies sont repoussées. Les nouvelles sont meilleures, nous serions en possession du ter­rain perdu. Nous sommes cette fois-ci prévenus d’avoir à quitter Montauville cette nuit pour aller cantonner à Jezainville ».
Mardi 18 (Jezainville) : « Nous avons hier pris possession de notre cantonnement dans une maison qui a reçu un obus. La cuisine est petite et fume à ne pas y tenir ; cela ne fait rien, c’est la guerre » !
Mercredi 19 : « Je me rends à la 1ère Compagnie prendre des nouvelles du fils Drugeon. Un de ses camarades m’assure qu’il est prisonnier et proba­b lement blessé ».
Jeudi 20 mai : « Douce journée de mai, tout pousse à vue. Arrive un détachement d’évacués, je retrouve l’ami Portier (1). Nous passons une heure le soir avec Leloup et Richard ».
Vendredi 21 : « […] Un détachement de 600 hommes arrive pour reformer le 169e. Les nou­velles d’Italie sont plus favorables. La Chambre italienne vote son acceptation à l’intervention possible. Quand ce ne serait qu’au point de vue moral, l’effet est satisfaisant. Ayant appris que le fils Dutertre et René Drussy étaient à la 12e Compagnie, je m’y rends prendre des renseigne­ments. Hélas, je n’ai pas de chance pour mes petits compatriotes […]. Drussy est évacué, me dit un sergent et Dutertre est tué... ».
Lundi 24 : « Par un temps splendide, j’escalade le coteau de Cuitte en compagnie des cama­rades Maunier et Prévost. Le long des pentes, nous visitons les tranchées, les abris abandon­nés. De-ci, de-là, quelques tombes attestant la violence du combat déroulé précédemment. Nous arrivons au point culminant du sentier suivant le bois et contournant le coteau. L’herbe drue et le point d’ombre offert par une touffe de noisetiers nous engagent à faire une petite pause. Nous nous asseyons et, tout en fumant une et même plusieurs pipes, nous admirons le splendide panorama qui s’étend devant nous. À droite Sainte-Geneviève, le premier coteau fai­sant partie du Couronné de Nancy. À gauche le coteau et le village de Mousson. Entre ces deux sommets, une vaste plaine, forêts et champs, s’étendant sur les pays annexés. Encore à gauche et plus au nord, le signal de Xon et les hauteurs occupées encore par l’ennemi. À nos pieds, la Moselle, très sinueuse avec une vallée assez plate garnie de cultures luxuriantes. Nous avons sous les yeux passant de gauche à droite les villages de Jézainville, Maidières, la ville de Pont-à-Mousson, puis Blénod, Atton. En face Loizy, Ste-Geneviève, Beaumont et plus loin Pagny et d’autres encore que je ne puis nommer, tant à cause de leur nombre que du manque de connaissance de la région et aussi du manque d’une carte. Nous quittons Jézainville pour retourner à Pont-à-Mousson. »
Mercredi 26 : « La ville est furieusement bom­bardée. Un obus de gros calibre tombe rue des
Prêtres à une cinquantaine de mètres blessant grièvement deux petits enfants, il est dix heures
et quart. Un autre, rue du Four, tue une femme et fait plusieurs blessés tant civils que militaires. Ordre est donné de descendre dans les caves au premier bombardement nouveau ».
Jeudi 27 : « Après une matinée calme, nous subissons le plus furieux bombardement qu’ait encore reçu Pont-à-Mousson, vers 6 heures les obus arrivent par rafales serrées. Des ordres ont été donnés pour que tout le monde se mette en sécurité. Une attaque faite à la Croix des Carmes laissait prévoir le bombardement de la ville puisque, règle générale, l’ennemi se venge ainsi de ses échecs ».
Samedi 29 : « Journée plus calme. Quelques grosses marmites l’après-midi, c’est tout ! Les grandes voitures automobiles sont reparues afin d’emmener les personnes de la ville qui éva­cuent. Il y en a sept qui peuvent emmener plus de 100 personnes ».
Lundi 31 : « Nous quittons Pont-à-Mousson pour Montauville. Nous reprenons notre can­tonnement au moulin. Le pays est bombardé souvent et sérieusement. Le régiment a encore subi des pertes importantes, surtout en blessés. J’apprends à l’arrivée que Leloup est blessé. Après une attaque réussie nous reperdons le terrain gagné ».

Juin 1915
Mardi 1er : « […] Les nouvelles des journaux sont assez bonnes sur tous les fronts. Les Russes paraissent se venger de leur recul ».
Jeudi 3 : « Duel d’artillerie, combat d’aéroplanes, l’avion ennemi pourvu d’une mitrailleuse, le nôtre s’éclipse aussitôt. Combat de grenades et de cra­pouillauds, raquettes, etc. Beaucoup de blessés descendent encore ».
Dimanche 6 : « […] Nous quittons Montauville pour retourner à Jézainville. […] Arrivée à minuit».
Lundi 7 : « […] Dans la soirée, la ville de Pont-à-Mousson et les pays environnants, Blénod, Maidières et Boseville sont soumis à un bom­bardement en règle. Des incendies s’allument et
on compte des victimes, une trentaine dont quelques tués ».
Mardi 8 : « […] Une sérieuse attaque de notre part a lieu à la Croix des Carmes que le prési­dent de la république a visitée le matin. On n’en connaît pas le résultat ».
Mercredi 9 : « […] le tonnerre gronde et rem­place le bruit des canons entendu hier. Monté sur le versant nord du coteau dominant le village du côté sud-ouest, j’ai suivi des yeux le bom­bardement. L’ennemi répondait rigoureusement et balayait les côtes de Xon et de Mousson, marmites et fusants éclataient simultanément à de courts intervalles. L’attaque d’hier a été menée par les Grecs du 1er Étranger, dirigés et appuyés par une compagnie du 168e. Bon résul­tat et pertes absolument insignes. La Croix des Carmes est enlevée et nous occupons la route de Norroy. Je renouvelle seul ma promenade sur la côte de Cuitte, je ne me lasse pas d’admirer le panorama qui se déroule à perte de vue en face et à droite ».

La Grenouille n°24 - Juillet 2014


Suite...

Juin 1915 
Lundi 14 : (quittant Jezanville) « […] À notre départ les obus de 77 tombent sur le village et nous suivent au départ. Les premiers projectiles percutants tombent devant nous et à droite, nous quittons la route et le tir heureusement n’est pas suffisamment allongé car il est précis en direction et les fusants éclatent à 100 mètres derrière nous. Nous suivons au plus court la vallée de l’Ache, très encaissée à certains endroits. Nous passons à Griscourt, Villers en-Haye, nous laissons sur la droite Rosières-en-Haye pour atteindre Seizerais, puis arrivons à Liverdun à 6 heures le soir. Avant l’arrivée, un splendide panorama s’offre à la vue sur le sud-ouest. On a vue sur le fort St-Michel au bas duquel s’étale la ville de Toul. La vallée de la Moselle se rétrécit jusqu’à Liverdun et fait une boucle autour du pays très agréablement situé. Nous dévalons plus vite que ne le demanderaient nos jambes fatiguées avec de nombreux détours jusqu’à une usine de nettoyage située près le pont du chemin de fer sur le bord de la Moselle. Ici, c’est la vie calme. On semble revenu en pays civilisé en voyant passer les trains pour Toul et Nancy, pleins de voyageurs civils et militaires ». 
Mercredi 16 : « La concierge de l’usine, très aimable, s’en remet à nous pour la bonne tenue de l’établissement et nous aide dans la mesure de ses moyens pour faciliter notre installation. Très causeuse, elle vient à la cuisine tailler une bavette. Voilà plus de six mois que je n’ai tenu aussi longue conversation avec une femme ».

Fin du carnet n° 1 terminé à Liverdun le 22 juin 1915 


Carnet n° 2 : Henri Cazin quitte Liverdun le 23 juin. Après une étape à Villiers-en-Hayes, il rejoint la forêt de Pucenelle le lendemain. 

Samedi 26 : […] « On complète l’installation de plein vent. On entend fréquemment le canon du côté de l’Auberge St Pierre. […] Le campement est assez curieux comme aménagement. De grands abris couverts de terre et toute une quantité de petites huttes en feuillages ou toiles de tentes. Une chapelle est installée au pied d’un gros chêne. Une croix de bois clouée à l’arbre, un culot d’obus rempli de fleurs pour tout ornement. L’autel est formé de deux planches soutenues par des piquets, c’est réduit à la dernière simplicité. 
Lundi 28 : […] « L’artillerie est assez active. L’ennemi déverse quantité de projectiles de gros calibre du côté de l’Auberge St Pierre » 

Juillet 1915 
Le 1er juillet 1915, nouveau déménagement, plus important cette fois puisque, le 4 juillet, Henri Cazin s’installe dans la Marne, en forêt d’Argonne. L’ambiance est toujours celle du « proche arrière », c’est-à-dire près du front avec la canonnade comme bruit de fond, la possibilité permanente de l’arrivée d’obus ennemis, le ciel occupé par des avions des deux camps et une vie quotidienne dans des conditions matérielles bien précaires. Mais le 29 juillet, meilleure installation à Moiremont, toujours dans la Marne. Le mouvement des troupes s’intensifie.
Guerre-1914-1918-Henri-Cazin
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Jeudi 29 : « J’ai couché dans l’écurie aux chevaux, malgré les rats j’ai reposé. Nous trouvant dans la direction du parc d’aviation de Ste Menehould, matin et soir, quantité d’avions nous survolent ». 

Août 1915 
Lundi 2 : « Anniversaire de la mobilisation. Une douzaine d’obus passent au-dessus de Moiremont pour tomber sur la route de Ste Menehould. Ce n’est encore qu’une peur ». Vendredi 6 : « Belle journée où les avions sont très actifs . L’ennemi a multiplié les attaques au cours de la dernière nuit, nous avons des pertes mais elles sont loin d’égaler celles de l’adversaire. Les positions sont conservées. L’artillerie a été et est encore très active ». Samedi 7 : « L’artillerie a donné constamment toute la nuit et toute la journée. Le temps nuageux et sombre nous prive de la vue des avions ». 
Dimanche 8 : « Les autos sont passées, chargées de troupes, toute la nuit. Les canons se font entendre fréquemment ». 
Lundi 9 : « Le mouvement de troupes continue. On parle de relever le 32e Corps auquel notre division est attachée. Nous dépendons de la 128e Division, 256e brigade ; nous serions rattachés maintenant au 10e Corps. Les aéros sont d’une activité anormale ces jours-ci. Ils sont aussi vigoureusement canonnés par l’ennemi. 
Mardi 10 : « De grands convois automobiles de 100 à 200 voitures passent encore la nuit, l’artillerie donne avec intensité sur un large front. La journée est chaude et le temps orageux. Le soir, nouveau convoi de troupes, le 28e territorial passe en auto, puis le 136e. On se fait difficilement une idée du mouvement qui se produit ici ». 
Mercredi 11 : « Toute la nuit, l’artillerie est violente et elle n’arrête pas encore ce matin. Les Allemands ont avancé et ont été repoussés, les blessés sont nombreux. Quelques prisonniers ont été faits ». 
Jeudi 12 : « L’artillerie est toujours active. Un grand mouvement règne à Moiremont. Le 10e Corps arrive par toutes les voies ». 
Vendredi 13 : «Le temps est orageux, ce qui nous prive d’avions. Les ballons observateurs ne sont pas montés. L’ennemi attaque toujours obstinément sans toutefois gagner du terrain». 
Samedi 21 : « Alerte de nuit à la cuistance. En brûlant les mouches hier soir, j’ai provoqué un commencement d’incendie qui me détruit mon rabiot de café plus une dizaine de paquets de tabac. Heureusement les dégâts ne sont pas graves. Dorénavant je laisserai les mouches tranquilles ». 
Mardi 24 : « Le 169e commence sa relève pour aller au repos. J’assiste à la descente d’un ballon observateur, placé dans le voisinage. Manoeuvre intéressante, vivement effectuée » 
Vendredi 27 : « Bombardement, l’église de Moiremont est encadrée de deux obus, celui tombé du côté nord n’a pas épargné les vitraux de deux fenêtres, l’autre a fouillé deux tombes au midi ». Le 29 août, mouvement sur Nubécourt, dans la Meuse. 
Lundi 30 : « Le pays est bien endommagé un peu partout. On y remarque la maison des parents du président de la République ». 

Septembre 1915 
Le 1er septembre 1915, Henri Cazin, qui souffrait de maux de tête depuis une semaine, est « reconnu malade ». Il est évacué sur Bar-le-Duc et soigné dans un hôpital qu’il quitte le 28 septembre pour le Mont-Dore, près de Clermont-Ferrand. Là, c’est vraiment « l’arrière » et à l’hôtel Gallia, devenu hôpital temporaire 59, il reconstitue ses forces tout en bénéficiant de liberté et de sorties qui lui permettent d’explorer La Bourboule et ses environs. Le 20 octobre, il est reconnu convalescent et, le 21, il est transféré dans un autre hôpital à Chamalières d’où il part le 24 en permission de convalescence de 30 jours qu’il passe à Cour-Cheverny. Seule mention au sujet de cette permission : « Du 26 octobre au 24 novembre, 30 jours chez moi passés très vite ». 
Les carnets de Henri Cazin sont un journal de campagne qui occulte totalement sa vie personnelle.

La Grenouille n°25 - Octobre 2014


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Jeudi 25 : « Arrivée à Montargis à 3 h du matin.[…] Je me fais inscrire à Durzy...»
Samedi 27 : « Je pars de garde aux prisonniers allemands travaillant en forêt.».
Mardi 30 : […] « La garde n’est pas très dure, les prisonniers sont tranquilles et ont l’air satisfaits de leur sort qu’ils préfèrent, disent-ils, à celui de leurs camarades en tranchées. Tous les métiers sont représentés : cocher de fiacre, étudiant en chimie, paysan, menuisier, etc., travaillent avec une certaine dextérité. Ils sont en général plus gros mangeurs que nous et acceptent avec plaisir notre excédent de pain ».

Décembre 1915
Mercredi 1er : « Je garde le cantonnement. Je passe la journée avec les cuisiniers. Le cuisinier allemand m’offre une tasse de bouillon que j’accepte plus par curiosité que par goût. Il est quand même appétissant et fait très proprement. Nous sommes relevés à 6 heures et réintégrons la caserne Gudin ».
Samedi 4 : « Départ de la caserne Gudin à 5 heures. On passe à Sens, Laroche, Auxerre pour arriver à Vincelles à 2 heures. Arrêt place de l’église et départ à 4 heures pour Vincelottes ».
Dimanche 5 : « J’ai passé une bonne nuit après avoir rencontré Lemerle et quelques connaissances. Nous allons à Irancy où j’espérais trouver un camarade de régiment. J’apprends qu’il a été tué le 20 août. Je vois sa famille qui n’en a plus que le souvenir ».
Lundi 13 : « Départ en permission agricole de 15 jours à 13 h 30. Passé et arrivé à Paris à 18 h 30, arrivée à Blois à 23 h 30. Je parcours à pied 14 kilomètres et arrive à 2 heures à Chercherelle ».
Mercredi 29 : (De retour de permission) « Arrivée à Auxerre à 1 heure, 13 kilomètres à pied, je retrouve mon logement moins les camarades partis au front...».

Janvier 1916
Samedi 1er : « Je suis prévenu de mon changement, je dois regagner le dépôt de Montargis comme conducteur d’artillerie ou du train ».
Lundi 3 : « Je m’enquiers de mon changement d’arme au bureau du major et je dois quitter Montargis le lendemain ».
Mardi 4 : « Je reçois mes papiers pour partir à Valence au 329e d’artillerie. Je retrouve le camarade Bezançon ».
Mercredi 5 : « Nous arrivons à Valence à 1 heure 30 et regagnons le 32e. Nous sommes habillés de suite. Nous voilà devenus artilleurs ».
Vendredi 6 : « Nous partons au pansage et à la fonderie à Bourg-lès- Valence. […] Nous restons de garde-écurie, nous sommes 6 pour soigner 100 chevaux. Le travail est dur ».
Départ de Valence pour Fontainebleau le 28 janvier. Au service du cantinier la journée, Henri Cazin sort le soir au Caroussel où il retrouve quelques camarades : Gendrier, Touchain et Lallement. Le 1er février, départ pour Montigny-sur-Loing où il rejoint son cantonnement.

Février 1916
Mercredi 9 : « Je monte à cheval et prends part à la promenade en forêt. La ballade se passe bien à part un peu de cuisson aux fesses. Nous avons fait 10 à 12 kilomètres ».

Mars 1916
Dessin (inédit) réalisé par un poilu
Légende : "Qu'est-ce que tu as mon vieux ?"
- "C'est ma femme qui m'a écrit une lettre lacrymogène"
Jeudi 23 : « Déménagement et départ. Je monte un attelage et arrive assez bien à Fontainebleau. N’empêche que pour un retard dû à un défaut de commandement, je suis menacé de 4 jours de salle. Il n’y a guère que quatorze ans que cela ne m’était arrivé ».
Dimanche 26 : « De planton pour les trains de blessés, je ne peux sortir qu’à 6 heures. Je vais au Carroussel où je trouve Gendrier et Léon Guillon. Je passe un bon petit moment avec eux ». 

Avril 1916
Vendredi 7 : « Arrivage de chevaux d’Amérique. Des animaux lourds très forts en membres, de bons chevaux de trait de 4 à 6 ans, très doux en général. On en touche 65 par batterie, c’est de l’ouvrage ».
Mardi 18 : « Corvée de fourrage le matin. Enterrement d’un petit fantassin le tantôt, je suis de service, pénible cérémonie ».
Dimanche 23 : « Jour de Pâques, qui n’est pas un vrai jour de fête pour nous. […] Les promeneurs sont nombreux, les promeneuses, surtout. Les robes courtes à la nouvelle mode sont sorties et généralisées. C’est assez gracieux quand ce n’est pas exagéré ».

Les mois de mai et juin 1916 se passent, pour Henri Cazin, en corvées et gardes successives : corvée du Génie au quai d’Avon, garde à la poudrière, service d’écurie avec pansage des chevaux, corvée de charbon... Après une permission de 15 jours, il rentre à Fontainebleau où il est transféré au 121e régiment d’artillerie lourde.
Mardi 1er : « Nous quittons Fontainebleau pour Lyon. Je fais partie de la 9e section automobile, en formation, capitaine Perault ».
Mercredi 2 : « Arrivée à Lyon à 10 heures, suis caserné à La-Part- Dieu. Sortie le soir avec les camarades Avrain et Beaujouan tous deux Loiréchériens » .
Mercredi 16 : « Nous sommes inscrits au bureau de la 62e batterie du 86e ».

Septembre 1916
Samedi 2 : « Nous touchons le matériel de la section. Camions (Fiat) qui nous donnent passablement de mal ».
Lundi 4 : « Chargement des camions au parc d’artillerie, avec obus de 155 ».
Mardi 12 : « Quittons Châlons pour Suippes à 8 heures. Arrivée à 10 h 30. C’est ici que nous devons cantonner. Le pays est bien détérioré, assez tranquille en ce moment, paraît-il ».
Mercredi 13 : « Après le réveil, nous nettoyons les voitures et nous passons une revue par le commandant. Le commandant Pousse, maigre avec une figure froide et énergique a l’allure d’un vrai soldat. On lui reproche de ne pas ménager son monde, de trop l’exposer, comme il s’expose luimême, en tous cas ce n’est pas un peureux ».
Samedi 16 : « Je commence mon apprentissage d’automobiliste. La première leçon se passe assez bien ».

Samedi 30 : Arrivé la veille à Hardivilliers (Oise) « Nous allons entre Péronne et Albert vers Bray-sur-Somme. Le voyage est particulièrement intéressant. Les routes sont encombrées de voitures de toutes sortes ainsi que de troupes de toutes armes. Nous rencontrons des centaines d’automobiles, camions, camionnettes, voitures touristes. Nous arrivons à 3 h 30 à proximité de Bray-sur-Somme. Le spectacle est curieux, partout, partout, des campements et des troupes. À l’horizon, disposés en rond, 16 ballons observateurs et à chaque minute un ou plusieurs aéros au-dessus de nos têtes. […] Le canon a la parole, à l’arrivée il donnait faiblement, mais c’est un crescendo que j’entends ».

La Grenouille n°26 - Janvier 2015

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Octobre 1916
Dimanche 1er « J’ai passé la nuit dans mon camion et dormi une heure de plus grâce au c h a n g e m e n t d’heure légale ».
Mardi 3 : « Bonne nuit passée, mal­gré une canonnade intense. Nous sommes dans la boue et il pleut encore […] Les ballons observateurs montent et une trentaine d’aéros passent au-dessus. J’ai oublié de noter lundi le passage d’une auto-mitrailleuse blindée. Crème de menthe, comme on surnomme ce genre d’appareil. Elle est passée auprès de nous par dessus une tranchée d’un mètre cinquante de large. Ce phénoménal instrument ne craint ni les sauts ni la verse. Il est doté de six mitrailleuses tirant en tous sens et défiant les coups de fusil ».
Mercredi 4 : « De garde, j’ai dormi dans la voiture […]. C’est encore la boue partout et les autos dérapent sitôt sorties des routes ».
Jeudi 5 : « Nous partons à la gare de Cerisy et ravitaillons le parc de Bray. Canonnade effroyable toute la nuit dernière et ce soir c’est la même chose sur le côté anglais ».
Dimanche 8 : « Nous partons ravitailler à 11 heures par Maricourt, Suzanne, Capilly, Bray. À part ce dernier pays, tous les autres sont presque anéantis. Partout des troupes et des convois autant que la surface des routes per­met d’en placer. Nous allons charger à la gare de Bel-Air, bien nommée sur une hauteur et n’ayant que le ciel pour tout abri ».
Lundi 9 : « Canonnade effroyable encore toute la nuit ».
Samedi 14 : « Départ pour Proyart à 11 h par Hardecourt. Il faut bien remarquer le terrain pour voir que des villages ont existé car pas un mur de 50 cm de hauteur n’en subsiste. Le ter­rain est absolument culbuté par les marmites et les travaux de toutes sortes. La nuit n’est qu’un feu partout autour puisque nous nous trouvons dans un demi-cercle ».
Dimanche 15 : « Nous partons à 11 h charger à Bray, à 22 pour Hardecourt. Un peu au-dessus de Maricourt une marmite s’abat à 25 m de la voiture. Aucun mal, même pas peur. C’est épatant depuis si longtemps que je n’en ai pas vu de si près ».
Lundi 16 : « L’artillerie est plus qu’active. Les avions ennemis sèment des bombes dans les environs de Bray et tuent quelques chevaux. Départ à 6 heures pour Proyart B 26. Mangeons en passant à Bronfay et partons gare de Maurepas. Marmitage en règle au retour qui se passe bien quand même ».
Jeudi 19 : « Réveil à 1 heure. 1000 coups à transporter. Arrivons à 3 h à Proyart, chargeons par la pluie 500 coups de 155 à destination du parc A 22. Déchargement au petit jour par pluie battante. Retour à Proyart, 500 coups à des­tination de Terminus auto. Départ à 3 heures l’après-midi toujours par la pluie. Retour normal à 7 heures ».
Vendredi 20 : « Bonne nuit réparatrice. Je n’ai pas entendu le canon qui pourtant n’est pas muet ».
Lundi 30 : « Nous partons à Proyart B. 22 et transportons 500 coups à Terminus. Chesnay a la jambe prise sous la roue d’un camion. Je le conduis le soir à l’hôpital de Maricourt par un temps épouvantable. Me voici seul encore une fois ».

Novembre 1916
Samedi 4 : « Canonnade encore très active ce soir. Deux régiments d’infanterie arrivés tantôt partent immédiatement aux lignes. Serait-ce le prélude d’une sérieuse attaque ? Les obus encombrent les gares malgré un transport intense par tous véhicules »
Lundi 6 : « Le soir vers dix heures les avions ennemis passent au-dessus de nous et lâchent des bombes sur les diverses gares environ­nantes. Un formidable incendie se déclare à la gare de Cerisy qui est détruite. C’est pendant quelques instants un infernal charivari. Nous sortons tous du baraquement plus ou moins vêtus pour regarder et entendre, éclatement des projectiles tirés sur les avions, détonations des bombes et des obus éclatant sous l’effet de l’incendie, projecteurs, mitrailleuses, etc ».
Mardi 7 : « L’après-midi ma voiture reste en panne à la gare du plateau. Après une répara­tion par trop sommaire nous partons. […] Par suite d’insuffisance de renseignements, nous sommes égarés. Je vais aux renseignements jusqu’à Combles. Il fait nuit, un peu de clarté lunaire heureusement. Je patauge dans la boue plus haut que les chaussures et je finis par m’affaler dans un trou de marmite avec la boue jusqu’au mollet. Je me retire aussi vite que possible, plutôt malpropre. Je ne m’arrête pas pour si peu. Je retrouve les amis Doumergue et Goulin, je leur apprends notre erreur et leur demande de faire demi-tour, ce qui est diffi­cile présentement. Nous sommes embouteillés pour un moment. Je vais aux renseignements toujours. J’arrive après avoir frappé à diverses portes au poste de commandement AL. 32 où quelques aimables sous-off. du 116e me donnent des renseignements précis obtenus par téléphone. Un peu rasséréné malgré mon état pitoyable, je rejoins ma voiture. À l’arrivée, panne de radiateur à 200 m de Combles. Demi-tour normal et en route pour le Forest, destination de notre chargement. Route meil­leure, arrivée sans encombre. Déchargement accompagné de jérémiades et récriminations des artilleurs réveillés dans leur premier som­meil. Nous cassons la croûte avec une boule de pain cédée par des camarades compatis­sants. Départ pour le retour, la nuit est calme relativement à l’endroit où nous sommes. Après Maurepas, panne d’essence produite par la rupture du tuyau insuffisamment réparé tantôt. Après une heure d’arrêt nous repartons. J’oublie de dire que nous sommes interrompus par une ondée de laquelle nous nous serions passés. Le reste du trajet s’accomplit normalement sans toutefois pouvoir arriver à destination. Environ 100 m avant d’entrer au parc, nouvelle panne d’essence. Encore 15 litres dans le réservoir et nous rentrons. Inutile de dire qu’on se met au pajot véritablement soulagés. Il est 2 h passé, nous avons dépensé 230 litres d’essence. C’est la guerre ! »
Mercredi 8 : « L’après-midi nous sommes bombardés. C’est la première fois que nous recevons des obus si près de notre campement. Par le vaguemestre on obtient des renseigne­ments sur le bombardement et incendie de Cerisy. C’est un désastre partiel bien entendu et duquel on ne peut trop s’émouvoir en temps de guerre. Le pays a beaucoup souffert et des dizaines de mille d’obus ont sauté avec bois, paille, fourrages, etc. L’incendie a duré toute la nuit et la journée ».
Jeudi 9 : « J’ai appris hier que mon départ en permission était avancé d’un tour en qualité de cultivateur et en vertu d’une circulaire du G.Q.G ».
Vendredi 10 : « Jolie journée ensoleillée, trop belle pour la saison. De nombreuses sau­cisses sont montées, on en compte 33. Léger bombardement et nous nous trouvons en plein objectif. Nous aménageons des abris pour nous protéger des marmites. La nuit est encore assez claire, les avions volent un peu de tous côtés. Nouveau tintamarre des 75 et mitrailleuses tirant dessus. Bombardement intense par les pièces anglaises pendant toute la nuit ».
Samedi 11 : « Le temps est brumeux, c’est bien le temps de la Somme. Les canons anglais tonnent sans arrêt depuis hier soir. Les troupes montent en assez grande quantité. Est-ce une relève ou une attaque en perspective ? »
Dimanche 12 : « L’artillerie est toujours active un peu partout. […] Le temps brumeux empêche les avions de sortir. Nous sommes tranquilles, on dit même que la pièce allemande qui nous bombardait a été repérée et démolie. C’est bien fait ! ».


Lundi 13 : « Nuit d’artillerie. Je dors très bien au son du canon. […]Les permissions sont suspendues, ce qui me touche particulièrement, la mienne étant établie »

La Grenouille n°27 - Avril 2015


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Novembre 1916
Mardi 14 : « Intenses actions d’artillerie sur les fronts anglais et français pendant la nuit. La journée se passe dans l’attente du départ, cette fois c’est pour demain matin ». 
Mercredi 15 : « On se lève à l’heure normale, un peu tard même pour la besogne d’un départ. Le froid est assez vif. Nous quittons Broufay vers 9 heures et arrivons à Etinehem une heure et demie après. Parc au bord de la route et cantonnement en plein champ le long d’un talus orienté du nord au sud. Je suis mobilisé pour la cagnat des officiers et toute la journée on joue de la pelle et de la pioche. Je couche dans mon camion. Je passe une assez bonne nuit qui pourtant est loin d’être calme. Les Allemands attaquent toute la nuit, on dit même que nous prenons une passagère pile. C’est une canonnade ininterrompue et les avions viennent ajouter leur note au terrible concert ». 
Jeudi 16 : « Toujours à la construction, ce n’est pas le moment de rester inactif. Le froid est de plus en plus vif. On vide les radiateurs de peur de la gelée. Avec les camarades Laval, Bonald et Auber, nous commençons la terrasse d’un abri. Je ne puis que donner des conseils mais on fait un bon travail. Je couche encore sous la bâche du camion dont le plafond est couvert de givre le matin. C’est égal, je n’ai pas eu froid. Les avions ennemis ont été plus qu’actifs et toute la nuit leur passage a été signalé par les détonations de leurs bombes et par celles de nos 75 tirant dessus ainsi que par le crépitement des mitrailleuses. Les nouvelles du front sont meilleures ». 
Vendredi 17 : « .../... on termine l’installation des officiers. Je travaille en fin de soirée à notre abri. C’est une belle journée d’hiver ». Lundi 20 : « Nous couchons pour la première fois dans notre abri, nous sommes bien et faisons l’inauguration avec 4 litres de vin chaud. Je suis mobilisé par les sous-officiers pour la construction de leur cagnat ». 
Samedi 25 : « .../... Nous touchons un poêle pour l’abri et on est heureux de profiter de sa bienfaisante chaleur qui nous défend contre l’humidité ». 
Mercredi 29 : « .../... on m’annonce ma permission pour après demain ». 
La permission de Henri Cazin l’amène à Blois le dimanche 3 novembre à 5 h 20 pour rejoindre Cour-Cheverny à 7 h. Il repartira le 12 novembre et retrouvera sa section le lendemain. 

Décembre 1916 
Lundi 25 : « C’est Noël, triste fête plutôt. J’étais de garde cette nuit, les Anglais me souhaitent la bonne année. Aujourd’hui ils font provision de Champagne et de gâteaux. Notre menu est un peu plus corsé et le souper fait goûter la fête ». 
Jeudi 28 : « Départ à 11 heures pour déménager le parc mobile de réparations du 6e Corps à Laneuville. Nous arrivons en plein bombardement. Une automobile anglaise est à la sortie du pont, l’avant dans un trou d’obus. A côté de l’église, une maison vient d’être démolie. Dans Bray, des maisons sont également rasées avec plusieurs victimes civiles et militaires. Nous rentrons sans encombre et apprenons notre départ pour le 31 ». 
Vendredi 29 : « Réparation des freins du camion ce qui nous évite le chargement des obus pour le départ ». 
Dimanche 31 : « Il ne reste plus guère que nous comme section au nord de la Somme. Les Anglais arrivent de plus en plus et remplacent notre infanterie. Depuis Noël on les entend chanter, ils fêtent la nouvelle année ». 

Janvier 1917 
Jeudi 4 : (Sacy-le-Grand) « Je suis nommé planton en liaison avec le commandant et je vais prendre mon poste ». 
Dimanche 21 : « Je suis nommé brigadier, je sors le soir pour chercher l’arrosage de mes galons. Peine perdue, le pays est à sec ». 

Mars 1917 
Mercredi 7 : « .../... nous nous dirigeons sur Epernay. En doublant une colonne d’artillerie, la voiture s’enlise dans le côté de la route. Nous déjeunons et avec le secours de 4 attelages nous repartons. Soit surcharge ou mauvais état des routes, le moteur fatigue et nous avons une bougie hors d’usage. Sur trois pattes, nous gagnons le parc de Dizy par une assez forte bourrasque de neige. Nous repartons assez bien, passons avec beaucoup de mal à Hautvillers, pays très accidenté. Entre ce dernier et Nanteuil-la-Fosse, le chemin est défoncé littéralement, nous nous attelons avec des câbles et sortons nos camions non sans peine.../... La voiture atelier est enlisée à son tour et notre moteur nous lâche pour tout de bon. La neige tombe toujours. Après un frugal souper, nous nous couchons avec les camarades Goulin et Nourian dans le camion au bord de la route. Les attelages sont gênés par la neige, la circulation est difficile. On voit de réels tableaux de guerre. Pauvres bêtes et pauvres gens ». 
Dimanche 11 : « Nous passons à Ville-en-Tardenois où les Russes sont à la prière dite par le pope en face du drapeau. Tous tête découverte, jeunes, très bien équipés et impeccablement alignés, ils ont l’air de réels soldats. Ce spectacle est très imposant ». 
Mercredi 14 : (Jonchery-sur-Vesle) « .../... C’est un point de ravitaillement très important. On a ici l’impression d’une sérieuse préparation, c’est aussi important que dans la Somme et plus méthodiquement préparé à beaucoup de points de vue ». 
Jeudi 15 : « L’aviation est active et l’artillerie aussi. Tous les jours les avions ennemis nous survolent. Ils sont canonnés et mitraillés. Ils répliquent ». 
Vendredi 16 : « .../... Je grimpe la côte qui est au nord du cantonnement. On a un horizon superbe. On voit Reims à 16 km. et tous les pays environnants, le long de la Vesle ». 
Dimanche 18 : « Je prends la bécane, les routes se solidifient. Ravitaillement. Un avion allemand est abattu et son vainqueur tombe à son tour ». 
Dimanche 25 : « Journée d’aviation au cours de laquelle cinq avions ennemis sont abattus. J’en vois tomber trois, deux allemands et un des nôtres, le pilote se tue en atterrissant, son appareil avarié étant incapable de tenir l’air ». 
Dessin (inédit, non signé) réalisé par un poilu

Avril 1917 
Mardi 3 : « Je remplace le cycliste agent de liaison et je me rends aux échelons. J’y passe la journée. J’assiste à des opérations de télégraphie entre projecteur et avion. Repérage de positions de batteries ennemies ». 
Mercredi 4 : « Liaison encore, vilain temps pour se promener. Les routes sont presque impraticables par suite du mauvais temps et de la boue gluante qui en résulte. Marmitage de la route l’après-midi, c’est l’habitude. L’artillerie ennemie devient plus active. On s’aperçoit sans doute de préparatifs anormaux. Certains indices sont en effet le prélude d’une attaque importante. Beaucoup d’artillerie approvisionnée et qui ne tue pas. Beaucoup de 75 qui montent, des avions plus nombreux, une observation plus fournie, etc. On va sans doute rééditer la Somme avec peut-être plus de méthode d’après mes observations personnelles ». 
Vendredi 6 : « La route est moins boueuse qu’hier. Quelques nuages au ciel qui n’empêchent pas les avions de se mitrailler au-dessus. Nos canons travaillent de plus en plus. Le soir, deux ballons observateurs ennemis sont flambés par les aviateurs. Je quitte Chalons à 7 h 30 salué de près par deux obus ».


La Grenouille n°28 - Juillet 2015

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Avril 1917
Samedi 7 : « Notre artillerie devient de plus en plus active. L’aviation et l’ob­servation augmentent aussi en action. Le soir, au retour de Chalons, un avion ennemi nous survole à très faible hauteur, il est paraît-il abattu aux environs. Reims est en flammes, de la butte de Prouilly on voit 4 à 5 foyers d’incendie ».
Dimanche 8 : « Tout l’après-midi les aviateurs des camps adverses se poursuivent dans les nues et on entend la mitrailleuse à chaque instant../... Je rencontre le 313e et plusieurs connaissances, Auguste Davaud, Hermelin, entre autres ».
Jeudi 12 : « De toutes parts les pièces tonnent .../... Devant, derrière, sur les côtés, partout, c’est un bruit infernal, c’est grandiose et ter­rifiant. À ce moment notre infanterie attaque sans doute. Des fusées spéciales s’élèvent des lignes ennemies et les projectiles tombent dru sur les nôtres situées à 2 500 m environ de l’endroit où je me trouve. Retour au son de la terrible musique, on ne se lasse pas d’être là. Il est vrai qu’aucun obus ennemi ne trouble la fête, si fête il y a».
Vendredi 13 : « Notre artillerie est toujours active, aussi les Allemands ne nous gênent pas dans notre travail. De jour en jour, on pressent plus proche l’attaque devinée grâce aux préparatifs monstres qui sont faits dans la contrée. Ces jours-ci de nombreuses colonnes d’infanterie encombrent les routes. Maintenant c’est la cavalerie qui garnit le voisinage. Les sections sanitaires sillonnant les routes pré­sagent la moisson d’hommes qui est forcé­ment consécutive à pareille chose. Les avions aussi sont nombreux, mais ce sont les nôtres. Ceux de l’ennemi deviennent de plus en plus rares depuis plusieurs jours ».
Samedi 14 : « Je travaille au bureau une par­tie de la journée. À 5 heures, ordre de porter 500 coups à la Chapelle de Cormicy. Je vais prévenir les échelons à Châlons. Je reviens à D 23 et je pars au coucher du soleil. Au retour, la route est encombrée de voitures se touchant sur 10 km de long. L’infanterie monte par les sentiers et les champs, fractionnée par petits détachements ».
Dimanche 15 : « J’attends avec une grande impatience ma permission qui arrive à la nuit. Le bombardement est commencé à 8 heures et l’attaque commence à 4 heures demain. Le ciel n’est qu’un feu et le grondement de notre artillerie est plus fort qu’aucun orage entendu de vie d’homme ».
Lundi 16 : « La section part à 1 h du matin, je me lève à 4 heures ».

Fin du carnet II
Début du carnet III
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Avril 1917
Vendredi 27 : « Rentré de permission le 27 avril. Arrivé Jonchery à 3 h après déraillement et bombardement du train par les avions. Les coups n’ont pas porté, heureusement ».

Mai 1917
Le quotidien de Henri Cazin reprend son cours : convois, corvées diverses, quelques travaux chez les habitants. D’une façon générale, le nombre de relations avec les civils augmente.
Mercredi 2 : « Je travaille dans un champ où l’on plante des pommes de terre. J’y rencontre un compatriote, Vaillant. ».
Samedi 5 : « L’artillerie tonne sans arrêt toute la nuit. Chaude journée. Je fais la lessive et travaille au moteur du camion 3 ».
Jeudi 17 : « Je m’aperçois que c’est l’Ascen­sion en voyant les femmes en toilette aller à l’église ».
Lundi 21 : « Je commence à travailler aux vignes pour me distraire ».
Dimanche 27 : (est-ce la Pentecôte ?), Henri Cazin exprime pour la première fois de la nos­talgie, sa famille lui manque : « On laisse un peu le service de côté, c’est un peu la fête. Je m’ennuie en songeant à ma Fernande qui fait sa Première communion. Je tue le temps à ma façon en travaillant dans les champs voisins ».
Mercredi 30 : « Ayant vu ma patronne, je donne une bonne journée aux pommes de terre et j’avance le morceau ».

Juin 1917
Dimanche 3 : « Les avions ennemis viennent encore troubler notre sommeil. Heureusement encore à peu près sans résultat. Au cours de la journée, un appareil ennemi est abattu près de Trigny. Quel mouvement pour l’aller voir ! Je me couche à la nuit, mais l’aviation ennemie n’a pas l’air de vouloir nous laisser reposer, quel tintouin ! »
Mardi 5 : « Je travaille dans les vignes avec Mme Delozanne, l’après-midi s’écoule vite »
Mercredi 6 : « Je vais en courses à Prouilly et je rends visite à mes patrons, c’est-à-dire aux personnes pour lesquelles j’ai travaillé ».
Samedi 9 : « Je fais mes adieux à mes proprié­taires, Mme Rochette et la famille Delauzanne. Au passage à Savigny, je rentre saluer Mme Ponsart, parente de la famille précitée ».
Mercredi 27 : « Départ à 10 heures pour les environs de Verdun. Passons à Passavant, Souilly. Arrêt de plusieurs heures en pleine nuit. Arrivons à Haudainville, passons au fort du même nom pour camper dans la forêt du Tremblay à 5 kilomètres de Verdun ».

Juillet 1917
Mardi 3 : « J’assiste à une noyade dans la Meuse. Un homme du 29e Génie coule sous mes yeux à 8 h du soir, on ne le retrouve pas. Je termine la soirée par un long courrier ».
Samedi 14 : « Malgré la fête, il faut aller cher­cher le courrier. Les Allemands se chargent du feu d’artifice. À Dugny vers neuf heures les obus de gros calibre arrivent à 8 ou 10 minutes d’intervalle. Le 2e tombe à une cinquantaine de mètres de moi dans un jardin. Je veux faire mes provisions mais les commerçants dispa­raissent vite. Une 3e marmite arrive assez près dans une maison, je quitte le pays ».
Dimanche 15 : « La journée d’hier et la nuit a retenti sans cesse le bruit des canons. En arrivant à Dugny, je vois quelques dégâts notamment une maison dans laquelle j’étais cinq minutes avant qu’elle soit démolie. On signale des victimes ».
Lundi 16 : « Lourde journée, feu roulant d’artil­lerie, jour et nuit ».
Dimanche 22 : « On m’a dit hier à Dugny qu’on était prévenu de bombardement pour aujourd’hui. En effet, à 7 h 30 je quitte le can­tonnement et peu après j’entends le premier coup. J’attends dans les prés une accalmie et je cours au secteur où je ne moisis pas longtemps. Avec raison : peu après ça recom­mence ».
Mercredi 25 : « À Dugny, on déménage de peur des bombardements. Hier c’était Ancemont qui récoltait. Aujourd’hui la brume empêche le repérage ».
Henri Cazin bénéficie d’une permission du 30 juillet au 12 août.

Août 1917
Dimanche 12 : « Arrivée à Dugny à 3 h du soir. J’arrive au cantonnement où je retrouve tout le monde à sa place. L’artillerie tape dur sur la rive gauche. Je vais voir Benjamin et Chesnay et j’assiste de loin à l’explosion d’un dépôt de 75 ».
Lundi 13 : « L’après-midi. Dugny est bom­bardé. Je vais voir Maxime Maulny le soir et rentre à la nuit ».
Mardi 14 : « Pluie au réveil. Le canon tonne sans arrêt Je vais à Verdun en corvée, la ville est lamentable, des quartiers ne sont que ruines. Ce soir l’artillerie est encore plus active toujours de notre côté et prend les proportions d’un feu roulant continuel. Il est 10 heures du soir et quelques obus passent au-dessus de nous à destination de Dugny ».
Vendredi 17 : « Je ne suis pas de service ce soir. Je fais un tour dans les taillis. Nombreux combats d’avions, on entend à chaque instant crépiter la mitrailleuse dans les nues ».


La Grenouille n°29 - Octobre 2015



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Août 1917 
Lundi 20 : « Grosse corvée, chargement à Lempire et transport de 500 coups au Ravin des Dames. On annonce un succès à la côte 304 et environs, on voit des prisonniers ».
Mercredi 22 : « Le chargement est prêt, on retourne au Ravin des Dames. Les avions ennemis bombardent et mitraillent les environs, sans accroc pour nous jusqu’à ce moment. Nous partons à 10 heures, marmités et mitraillés par les avions entre Haudainville et Verdun. Embouteillés sur toutes les routes, nous rentrons à 4 heures du matin ».
Samedi 25 : « Nous fêtons la Saint-Louis en la personne du camarade Laval par un copieux déjeuner fortement arrosé. Feu roulant d’artillerie par intermittences. Les pièces ennemies bombardent les environs. Le soir, de 9 h à minuit, les avions nous sèment des bombes un peu partout, surtout sur Dugny ».

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Dimanche 26 : « Nous partons à 5 h charger à la Carafiole et partons au Ravin du Héli où nous arrivons à la nuit noire. L’artillerie donne sérieusement au-dessus de nos têtes, c’est un vacarme assourdissant et la nuit n’est qu’un feu ».
Mercredi 29 : « Je prends les fonctions de brigadier d’ordinaire ».
Jeudi 30 : « Forte activité d’artillerie hier soir, on parle encore d’un coup de main réussi de notre part ».

Septembre 1917
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Mardi 4 : « On voit relever des troupes, l’effervescence va peut-être se calmer sur le front de Verdun ». À partir du 5 septembre, Henri Cazin multiplie les déplacements pour un cantonnement plus prolongé à Potangis (près de Villenauxe), via Périgny, Saint-Étienne (près de Vitry-le-François), Fère Champenoise, Sézanne et Les Tuileries (Territoire de La Celle). Le séjour de Henri Cazin s’y déroule dans le calme jusqu’au 3 octobre. Il bénéficie ensuite d’une permission de 10 jours pour participer aux vendanges. Le 17 octobre, Henri Cazin rejoint son cantonnement qui, entretemps, a quitté Potangis pour Charleville, à 12 km de Sézanne. Puis se succèdent à nouveau une série de déplacements à partir du 8 décembre.



Décembre 1917
Mardi 4 : « Cantonnement à Erize-la-Petite. Direction Verdun, anciennes positions. Je couche dans le camion et on entend fortement le canon dans la direction de notre futur domicile ».
Jeudi 13 : « Venons cantonner route de Dieue à Hauteville, sur le bord du canal ».
Vendredi 21 : Le temps est plus clair. Les avions ennemis nous surveillent et quelques obus de gros calibres s’abattent sur les environs. L’artillerie est assez active depuis cette nuit ».
Samedi 22 : « Le temps se refroidit. Les enfants des péniches commencent à patiner sur le canal. Je vais avec le capitaine faire des achats à l’occasion de Noël à la coopérative de Dieue. Nous rentrons bredouilles, tout est retenu ».
Dimanche 23 : « Le thermomètre descend de plus en plus, tout le monde traverse le canal solidifié. Grande séance de patinage, grands et petits s’en donnent. Un avion tombe en flammes au sud de Dugny. Je retourne à la coopé pour avoir de la volaille, retour à vide. L’ennemi marmite encore dans les environs. Ce soir on s’approche du poêle qui ne garde pas assez de chaleur pour garantir les pommes de terre de la gelée ».
Lundi 24 : « Il a gelé très fort, le temps est brumeux et se radoucit. La neige tombe un peu dans la soirée. Le canon tonne assez sérieusement à toute heure de jour et de nuit ».
Mardi 25 : « Le temps est radouci, précurseur de neige. On fête légèrement Noël, nous mangeons des oies à dîner avec supplément d’un demi-litre de pinard. Quelques coups de canon seulement, on semble se reposer ».
Jeudi 27 : « Toujours un peu plus de neige. On patine sur le canal avec les fantassins et les gamins des péniches ».
Vendredi 28 : « La neige tombe toute la journée. Ceux qui vont par les routes sont à plaindre, les chevaux marchent difficilement. La section ravitaille et ça ne va pas tout seul. On n’entend pas le canon, il est vrai que la visibilité manque totalement ».

Janvier 1918
Mardi 1er : « On se la souhaite bonne et heureuse, réciproquement. La formule la plus employée est : « Bonne année et la paix ». On fête un peu avec les petits suppléments offerts par l’intendance, oranges, cigares, champagne et jambon ».
Jeudi 3 : « Belle journée très claire. La visibilité est très grande, on voit partout les ballons observateurs ennemis. Journée d’aviation ».
Mardi 8 : « On dit ce soir que l’ennemi a attaqué sur quatre points différents. Que cherche-t-il ? »
Mercredi 9 : « Quelques avions ennemis paraîssent. Activité d’artillerie sur la rive gauche, le soir à la nuit par une tempête de neige et de vent. Quel temps pour ce triste métier ! »
 Dimanche 13 : « La Meuse déborde et couvre la vallée, le dégel continue lentement. Ce soir, l’artillerie fait rage. Que se passe-t-il ? »
Samedi 19 : « Douce journée de printemps succédant aux pires rigueurs de l’hiver. La Meuse est en crue passant sur les levées et passerelles. L’aviation ennemie est très active. Deux ballons observateurs sont incendiés au cours de la journée. On dirait que le trafic s’intensifie, trains de ravitaillement et camions garnissent les routes. Serait-ce aussi la crue qui intercepte certains passages et oblige la plupart des véhicules à passer sur cette route ? »
 Lundi 21 : « Les tracteurs militaires montent chargés de troupes. Offensive ou défensive, quelque chose d’anormal se prépare ».
Mardi 22 : « Saint-Vincent qu’on oublie de fêter. Comme distraction, lessive. Je commence à forer un abri de bombardement dans la carrière derrière la cuisine ».
Jeudi 24 : « Le mouvement est toujours intense (renforcé ?) du passage des camions portant des troupes. Je me fais photographier devant la cagnat ».


La Grenouille n° 30 - Janvier 2016

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Janvier 1918
Vendredi 25 : « Splendide journée. Les aviateurs ennemis sont très actifs. Le temps embué ne permet pas de suivre les péripéties des combats dans les nues ».
Les poilus sur le départ.
Dessin original de Marcel Capy,
dessinateur de presse (1865-1941)

Février 1918
Dimanche 17 : « Journée froide et enso­leillée. Activité des avions ennemis. L’un d’eux est abattu par l’artillerie et tombe aux environs.».
Mercredi 20 : « Le front manifeste une plus grande activité ».
Mercredi 27 : « Un obus près de Dugny nous réveille au milieu de la nuit ».

Mars 1918
Lundi 4 : « Forte canonnade du côté des Eparges. Le temps ne permet cependant pas de grandes opérations ».
Lundi 11 : « Cette fois nous avons des ordres fermes pour le départ fixé au 13 à 4 heures du soir. Nous embarquons à 5 h le 14 à Sommeilles- Nettancourt ».
Mardi 12 : « Préparatifs de départ, lessive, paquets, etc. L’aviation est active et le front prend de l’activité ».
Mercredi 13 : « On travaille ferme. Départ à 4 h 30 pour embarquement à Sommeilles-Nettancourt où nous arrivons à 7 h le soir. Coucher dans un baraquement de permissionnaires sur la dure ».
Jeudi 14 : « Embarquement à 7 heures. Départ à 10 h 50 par Chabris, Vitry-le-François, La Ferté-sous-Jouarre, Compiègne. Arrivée à minuit à Mercin-Pommier, 3 km de Soissons ».
Vendredi 15 : « Débarquement par une belle nuit sombre. Jus en plein air en attendant le départ. Départ au lever du jour. Nous traversons Soissons, jolie ville, endommagée mais ce n’est rien en comparaison de Verdun. Nous arrivons à Acy à 8 km. Le froid est vif, on bat la semelle à tous les arrêts. Nous sommes cantonnés à la ferme du Pavillon sur une hauteur. Une partie des locaux libres sont occupés par des Américains, il ne nous reste pas grand-chose de convenable. Installation sous un hangar au milieu des instruments aratoires. Nous prenons contact avec nos alliés qui paraissent très sympathiques et le soir nous sommes familiarisés. Séances de foot-ball, boxe, chant, etc. Tous jeunes, joueurs, passionnés de sport, leur attitude est superbe. Très militaires, disciplinés naturellement, ils ne souffrent pas des rigueurs de leurs règlements ».
Samedi 16 : « Hier soir des escadrilles ennemies sont passées, lâchant quelques bombes et se dirigeant sur Paris. Ce soir, le front est très animé, le ciel n’est qu’un feu. Qu’est-ce qui se passe »?
Lundi 18 : « Je fais une promenade aux environs sur les anciennes positions. Les champs sont encore coupés de réseaux de fil barbelé et de tranchées, etc. ».
Jeudi 21 : « Depuis 3 h l’artillerie tonne avec intensité sur un large front. On entend parler d’une attaque ennemie sur Saint-Quentin. Les détails sont encore imprécis ».
Vendredi 22 : « Le bombardement n’a pas cessé jusque dans la journée. Une forte attaque ennemie a eu lieu. Je ne crois pas à des résultats très graves pour nous. On parle de prisonniers ennemis ».
Lundi 25 : « Le temps s’est refroidi. Le canon tonne sans arrêt. Soissons est bombardé. Nous recevons l’ordre de partir immédiatement aux positions chercher les munitions pour partir cette nuit. Le départ aura lieu demain matin à 5 h. C’est la guerre de mouvement qui va commencer. Les Anglais ont dû céder du terrain, 18 à 20 kilomètres ».
Mardi 26 : « Réveil à 4 h, café et départ à 5 h. Nous traversons Soissons et prenons la route de Noyon. Ce pays est paraît-il occupé par l’ennemi. Nous passons à Belle-Fontaine, nous sommes au milieu des pièces d’artillerie lourde qui tirent sans interruption. Nous faisons la cuisine sous un hangar crevé au pignon d’une maison démolie. Nous hâtons le repas du soir pour ne pas être pris à l’improviste. Nous sommes au milieu des Anglais qui ont sans doute besoin de renforts puisqu’ils ont battu en retraite ».
Jeudi 28 : « Après la soupe, nous quittons le cantonnement. Nous arrivons à la ferme de Puisieux, toute en ruines, peu d’abri et pas d’eau. Quelle désolation ! rien ne saurait donner une idée de l’impression de détresse et de solitude que l’on éprouve à la vue de ces ruines ».
Vendredi 29 : « L’artillerie a fait rage toute la nuit, on porte des muni­tions, encore des munitions... ».
Samedi 30 : « Très violente canonnade du côté de Noyon et au nord-ouest, hier soir. Ce matin, un peu avant le jour, elle reprend plus intense encore. C’est paraît-il une attaque de notre part. D’après les nouvelles, l’ennemi aurait évacué Noyon et nous aurions repris Guiscart. Il est midi passé, la canonnade paraît s’éloigner.

Avril 1918
Mardi 2 : « Les nouvelles du front sont contradictoires, en général plutôt inquiétantes sauf de notre côté qui tient bon. Je rencontre un compa­triote, Lemaire, de Vineuil, maréchal-des-logis chef au 306e d’A. L. ».
Mercredi 3 : « Arrivée à Bitry, ferme Gamet à midi. Installation assez bien. Nous sommes dans une vaste et magnifique exploitation aban­donnée. Les toits sont quelque peu endommagés par les obus, mais les bâtiments sont intacts et nous sommes à l’abri... / ... J’y ramasse quelques violettes à l’intention du mariage de ma cousine Hélène ».
Samedi 6 : « Depuis minuit, la canonnade a repris et ce soir elle est très intense. Je fais une promenade aux environs dans la plaine, il s’y fait peu de labours, les terres ont l’air de moyenne qualité, moins bonnes qu’à la ferme de Puisieux où j’ai séjourné précédemment. Ce soir, six avions concernés sont venus jeter des bombes sur Vic-sur-Aisne et ces bombes sont tombées aux environs. La section venant de partir se trouvait dans le parage visé ».
Samedi 27 : « On dit ici que de Vic jusqu’en face une nombreuse artil­lerie est en place. Est-ce là le signe d’une attaque prochaine ou d’une diversion en cas de pression sur Amiens, l’avenir nous le dira ».
Henri Cazin part en permission du 25 mai au 6 juin à Cour-Cheverny. Puis il retrouve sa section le dimanche 9 juin à Anglure.
Mardi 11 : « Départ à 5 h 30, ravitaillement à Epinal, cantonnement à Docelle. Nous couchons chez la sage-femme ».
Mercredi 12 : « Changement de cantonnement. Je suis environné de voisines collantes. Nous restons deux jours paraît-il ».
Jeudi 13 : « Journée calme qui se passe agréablement. Les femmes du pays travaillent en général à la broderie en perles. On va de l’une à l’autre intéressé par ce travail entièrement de luxe et qui n’a pas l’air de chômer ».

De la mi-juin jusqu’à fin août, Henri Cazin participe en divers endroits de la région aux travaux des champs et aux récoltes. 
Ce qui nous vaut ce com­mentaire de sa part : « La seule récolte qui soit abondante en cette région, c’est la pomme de terre qui, plantée serrée, donne de gros rendements.../...Toutefois je n’y viendrai pas faire de culture. J’observe et j’admire la façon économique de se nourrir. Il faut être de la région pour y vivre ».


À suivre...

La Grenouille n° 31 - Avril 2016


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Septembre 1918
Vendredi 23 :


Aquarelle de F. Dumont.

Octobre 1914
« Nous sommes depuis quelques jours en Champagne, à la Cheppe. Cantonnement au milieu des bois. Nous sommes là quelque chose comme peut-être mille camions qui marchent toutes les nuits. C’est inconcevable ce qui passe de grosse artillerie et d’automo­biles chaque nuit. Une grande attaque doit être imminente, on l’attend de jour en jour. Le temps est couvert, il pleut un peu trop pour le roulage, peut-être ce temps sera-t-il favo­rable pour dérober les préparatifs à la vue de l’ennemi. Espérons la réussite.
J’arrive de Chalons. Les coopés sont littéra­lement assiégées, on ne trouve pas tout ce qui est nécessaire. Les troupes sont tellement nombreuses que cela est presque naturel ».

Novembre 1918
Samedi 9 : Destination Mazerny : « Après déjeuner, je visite un peu le pays et j’essaie d’apprécier à sa valeur le tempérament bar­bare, la volonté destructrice de nos ennemis. Si j’ai quelquefois tenté de leur trouver des qualités, cette impression tombe entièrement devant mes observations. L’église, dont la façade est entièrement démolie, sollicite la première ma curiosité. Elle a été minée et c’est miracle qu’elle ne soit pas complètement anéantie.On y remarque l’emplacement d’une mine qui n’a pas joué.
Je dirige mes pas vers la gare. La ren­contre d’une dame âgée avec qui j’ai un moment d’entretien m’édifie complètement sur la mentalité allemande. Mes souvenirs seront toujours assez précis pour me rappeler cet entretien que mes notes succinctes m’em­pêchent de résumer ici. Je vais jusqu’à la gare où j’observe la destruction systématique des voies, des aiguilles, de la gare, des abris, etc. Ceci, c’est la guerre, les routes minées, même les puits, je ne discute pas.
Ce qui me frappe le plus, c’est cette remarque. L’église, la mairie et ce qui existait de beau comme habitations particulières ont été minées et sont sautées. Pourquoi ? Dans quel but ?
Je rentre et j’écris ce qui précède. Je n’ai jamais manifesté que de l’indifférence en pré­sence des prisonniers ennemis. La vue de ces ruines m’impressionne défavorablement à leur égard et je sens que je ne serai jamais acces­sible à aucun sentiment de pitié et encore moins de bonté, voire même de tolérance à leur endroit, ainsi que pour la nation allemande entière ».

Le “banquet du retour” a été organisé par la municipalité
de Cour-Cheverny le 14 juillet 1919. Il réunissait
les hommes du village revenus de la guerre 1914 - 1918
Henri Cazin n’écrit pas un mot au sujet de l’ar­mistice du 11 novembre 1918. Il se contente de décrire les périples qui suivent à travers une région dévastée par la guerre.
Jeudi 21 : « J’habite Flize à 12 kilomètres de Sedan. Joli petit pays sur le bord de la Meuse. Possède un château et une vaste usine. Cette usine a produit du matériel de chemin de fer en quantité pour nos ennemis. Tous les produits neufs sont sabotés, mais il reste une énorme quantité de matériaux de toutes sortes.
Nous avons passé quelques jours à Lametz, le pays a souffert, la bataille a été dure et a laissé sa terrible empreinte ».
Samedi 23 : « Il fait nuit, nous traversons Bazeilles, devant la Maison des Dernières Cartouches, souvenir héroïque de 70 ».
Dimanche 24 : « Je pars avec la camionnette de l’équipe pour faire le logement à Fontenoille (Belgique). Les gens sont très hospitaliers, très polis et patriotes. Là aussi on a pavoisé avec drapeaux et sapins enrubannés. Les gens du pays nous font part des souffrances maté­rielles et morales endurées pendant l’occupa­tion allemande ».
Vendredi 29 : « Je suis à Etalle depuis 5 jours. Je ne puis souhai­ter mieux comme c a n t o n n e m e n t . La popote des sous-off. est chez madame Huart. Laquelle avec sa fille et son fils, tous très délicats, nous constituent une vraie famille. Notre logement, partagé avec les collègues Giraud et Leclercq, dans la maison Genin est très confortable. On peut passer l’hiver et attendre la conclusion de la paix ici ».


Henri Cazin

Inauguration du monument aux morts de la guerre de 1914-1918
 à Cour-Cheverny en 1923."Pour que nous puissions vivre
1 585 000 sont morts. Souvenons-nous toujours"

La Grenouille n° 31 - Juillet 2016

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